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Encore un peu de Wildside

Au Centaur, le Wildside Festival se poursuit. J'en ai
profité à plein pendant le weekend, histoire de mieux prendre  le pouls de la jeune scène
anglo-montréalaise. Comptes-rendus.

TIES

J'avais très envie de voir cette pièce, surtout parce qu'elle
est mise en scène par Ariana Bardesono, jeune metteure en scène d'origine
italienne qui travaille à Montréal dans les deux langues officielles et dont je
n'ai pas souvent eu l'occasion de voir le travail même si elle a joui, il y a
quelques années, d'une rumeur favorable. La rumeur s'est tue après sa terne relecture
des Mondes Possibles de John Mighton au Quat'sous en 2008, mais ma curiosité est
demeurée intacte. Ici, elle s'attaque à un court texte de Christine Aubin
Khalifah
, qui y joue également le rôle principal. Sorte de patchwork mémoriel,
la pièce raconte les tentatives d'une jeune femme de faire le deuil de son père
en revisitant ses souvenirs et en reconstruisant des bribes de leur histoire.
Le comédien Greg Gale y joue l'ami compatissant, lequel prend graduellement les
traits du défunt père comme dans un étrange jeu de rôle, jusqu'à s'y confondre
totalement. Souvenirs fidèles ou fabulations de l'imaginaire ? Nul ne le
saura. L'écriture de Christine Aubin Khalifah est plutôt économe, discrète et réaliste,
mais elle fait s'enchaîner les souvenirs par petites touches, dans une douce progression
qui rappelle le fonctionnement de la mémoire affective, avec répétitions et retardements. On regrette un peu,
toutefois, que lesdits souvenirs manquent de consistance. Il y persiste des
flous qui auraient pu être compensés par l'imaginaire sans en altérer la séduisante
dimension énigmatique. Quand les origines libanaises du père sont évoquées, on
cherche à en savoir plus, on espère l'émergence d'un véritable propos, d'une quête
plus fondamentale, d'une résonnance plus large. Ça ne vient jamais. Cela dit, Bardesono s'approprie ce texte avec panache, commandant à ses acteurs
un jeu retenu, qui fait la part belle aux non-dits, aux silences
chargés et aux zones d'ombre. Si la comédienne principale y excelle moins que son
partenaire (d'ailleurs d'une impressionnante précision physique dans une longue scène où il n'est plus que chair inanimée à la merci de la jeune femme), on reçoit en général leur
interprétation de manière plus sensorielle et cérébrale qu'émotive, aidé en
cela par les caressantes notes de guitare du musicien Sacha Semienchuk. La
musique est quasi constante, mais jamais ponctuante, ce qui force une écoute
différente et baigne la scène d'une certaine nostalgie sans la faire sombrer dans
la sensiblerie. Bref, si le texte avait daigné aller un peu plus loin, on aurait
eu affaire à un spectacle intelligent et bien dosé. Vous pouvez encore voir ce spectacle de la
compagnie Odelah Creations les mardi 12, vendredi 15 et samedi 16 janvier.

 

SOMEONE BETWEEN

L'identité. Dans la littérature et le théâtre québécois, c'est
le thème fondamental, la récurrence inévitable, peut-être même la pierre d'assise.
Pour Chantria Tram, jeune comédienne d'origine cambodgienne qui a vécu la
majeure partie de sa vie en Ontario avant de débarquer à Montréal en pleine
soif de liberté, la question de l'identité se pose bien différemment. Et de façon
hélas bien timide. Son solo, dans lequel elle revient sur les étapes de son
cheminement vers l'épanouissement identitaire et sur son sentiment d'écartèlement
entre la culture cambodgienne et canadienne anglaise, ne quitte pas souvent l'anecdote.
Du traditionnalisme de ses parents et leur attitude un peu butée contre les
valeurs occidentales, la jeune Chamtria évoluera vers une plus grande liberté
individuelle et un sentiment de plénitude dans la mosaïque canadienne. Elle
présente les choses, en quelque sorte, à travers le prisme de l'opposition entre
tradition et modernité, via une série de récits anecdotiques, ce qui a le fort
désavantage d'être réducteur et mièvre. L'étape de la réflexion et de la mise
en perspective n'est que discrètement présente, embryonnaire et hésitante. Or, sans
être mise en relation avec des questions plus larges, l'accumulation de faits
vécus ne résonne pas aussi fort que voulu, même si la relation difficile entre Chamtria
et ses parents a de quoi toucher les cordes sensibles de bien des familles. La
mise en scène de Milena Buziak, sobre et très peu personnelle, n'arrange rien. Sur
scène, des tissus servent à la fois de rideaux et d'accessoires, découpent des
lieux ou jouent un rôle symbolique, mais apparaissent souvent superflus et
encombrants, au final peu signifiants . Il reste encore trois représentations les mercredi 13, samedi 16 et dimanche 17 janvier.

 

PENUMBRA

Au Fringe, déjà, cette pièce de Katharine Dempsey avait fait
fort bonne impression. Avec raison. La jeune auteure a une écriture très
cinématographique, alternant dialogues réalistes et  narrations incarnées pour raconter les rencontres
nocturnes d'une jeune fille (Catherine Bérubé) avec un couple mature (Howard
Rosenstein et Michelle Boback
) dans la maison voisine, après qu'elle ait découvert
leurs penchants pervers sur Internet et réussi à éloigner temporairement d'elle son envahissant
petit ami (Christopher Moore). Au cœur de ces rencontres érotiques qui prennent
des chemins inattendus, les masques tombent et la jeune fille, comme l'homme mûr,
dévoilent des facettes insoupçonnées d'eux-mêmes. Perversités et fragilités
sont abordées sans tapage, sans provocation inutile, sans morale préfabriquée,
dans un texte qui se révèle de plus en plus subtil et profond. Rien de bien
nouveau dans le propos, finalement plus porté sur les dérives du couple et de
la sexualité que sur la problématique des rencontres virtuelles, mais tout est
dans la manière. Il semble toutefois que le metteur en scène Paul Van Dyck ait
eu du mal à saisir la théâtralité de la pièce. Sa direction d'acteurs est
précise et nuancée, mais son traitement de l'espace et du temps demeure la
plupart du temps sage et conventionnel, alors que la structure du texte est
plus ouverte, elliptique et contrastée. Les scènes érotiques, jouées en ombres
chinoises, évitent le spectaculaire et évoquent le voyeurisme en clair-obscur,
mais le procédé manque cruellement d'inventivité et apparaît ici un peu désuet.
Écueils mineurs pour une production à très petit budget, j'en conviens. Vous
pouvez encore voir ce modeste mais intéressant spectacle les mardi 12 et
mercredi 13 janvier.

Je n'aurai pas le temps d'aller voir My Pregnant Brother et
Dust, mais sachez que la première a été récipiendaire du prix Off The Main au
dernier festival Fringe (prix décerné par le Théâtre Centaur) et que la deuxième
est l'œuvre d'un jeune diplômé en écriture dramatique de l'École nationale de
théâtre, Jason Maghanoy, dont les personnages évoluent en pleine guerre en
Irak.

Bon Wildside à tous !