Le trentième anniversaire d'Espace Go est moins paisible
que prévu. À lire dans Le Devoir ce matin, un article de Luc Boulanger dans
lequel la comédienne Pol Pelletier remet en question la date de fondation de la compagnie.
Cofondatrice du Théâtre Expérimental des Femmes qui a muté
en Théâtre Espace Go dans les années 90, Pelletier dit que c'est une «fraude
intellectuelle» d'inclure les premières années du TEF dans le calcul. «Le
Théâtre des femmes est mort en 1990», poursuit-elle.
Tiens, tiens. Au-delà de la guerre de dates, Pol Pelletier n'a pas tout à fait tort. Les
perceptions de l'histoire de la compagnie peuvent varier selon les sources, mais
il est faux de croire qu'Espace Go poursuit la mission du TEF. En suivant l'air
du temps, les dramaturgies abordées par la compagnie ont cessé d'être
strictement féminines ou féministes, et son rappport à la litigieuse question
du féminin sur scène s'est transformé en vaste questionnement sur l'identité. Il
suffit de lire la directrice artistique Ginette Noiseux dans nos pages cette
semaine pour le constater. «À Go, je travaille beaucoup sur l'identité, les
relations entre les hommes et les femmes. La question du désir est au coeur de
notre démarche.» On conviendra aussi que l'Espace Go est davantage un
lieu de valorisation des écritures dramatiques contemporaines au sens large qu'un
lieu de célébration de la dramaturgie féminine.
Qu'en pensez-vous ? Y-a-t-il ici malhonnêteté
intellectuelle ? Ce débat-là vaut-il la chandelle ? Doit-on revoir quelques chapitres de cette histoire tumultueuse ?
À lire aussi pour vous rafraîchir la mémoire, cet article d'Alexandre Cadieux sur l'histoire d'Espace Go, ainsi que la Petite histoire du théâtre des femmes au Québec par Pol Pelletier.
Photo: Urbania
Intéressant! Pol Pelletier lance un pavé dans la mare qui vaut absolument la peine d’être examiné. Quelques idées… Ainsi, on ne parle plus, ces années-ci, de théâtre ou d’art féministe, mais plutôt d’art «au féminin». Cet euphémisme permet probablement à d’autres voix de s’ajoutent à celle du militantisme. La pièce Les fées ont soif, par exemple, a marqué la génération de ma mère. Pour moi, c’est une référence d’une autre époque, mais j’en comprends certes toute l’importance. Par ailleurs, être femme, ou même fille, en 2010 comporte son lot de défis et je ne crois certainement pas qu’il faille baisser la garde; notre place n’est en rien immuablement acquise et il faut rester vigilantes. Mais la donne a changé. Les questions que les femmes ont envie d’explorer à travers leur art ont aussi changé et elles incluent certainement la place des hommes, les relations de couple et les questions de sexualité (sexualité qui s’est infiniment complexifiée à partir des gains des années ’70). Maintenant, cette histoire de date de fondation : si Ginette Noiseux se dit fille spirituelle du TEF, auquel elle a légitimement participé, ne peut-on accepter qu’elle ait envie de se placer personnellement dans une certaine continuité avec ce théâtre, même si ses préoccupations visent maintenant large, sans parler pour autant de malhonnêteté? Mais on peut aussi se demander à quel point, techniquement, l’histoire d’un théâtre inclut ses changements de charte, de mission et d’orientations artistiques?