Mardi 19 janvier 2010. Je vais assister ce soir à Limbes, le
nouveau spectacle de Christian Lapointe. En attendant, je parcours Le Souffleur, le
volumineux cahier dramaturgique concocté par le metteur en scène et son équipe.
Lecture très pertinente, que je vais mettre plusieurs jours à achever.
Lapointe m'informait récemment par courriel qu'il ne reste
que 500 exemplaires à distribuer gratuitement aux spectateurs pendant la série
de représentations montréalaises. Je vous conseille de ne pas rater votre
chance d'être parmi les détenteurs de ce cahier. Si vous aimez et suivez le
travail de Christian Lapointe et que vous appréciez, comme moi, sa rigueur, sa
radicalité, son exigence et sa vision artistique, vous aimerez cette lecture.
Coordonné et rédigé en grande partie par le dramaturge du
Théâtre Péril, Hanna Abd El Nour, le cahier comprend un dossier sur William
Butler Yeats, auteur des trois pièces constituant Limbes, dans lequel on peut lire
des textes très éclairants sur le symbolisme et sur le processus de création de
la pièce. La deuxième partie aborde des questions plus larges, en lien avec le
dixième anniversaire de la compagnie. Des propos échangés dans une table ronde
sur les enjeux du 21e siècle au théâtre jusqu'à des textes et poèmes
inédits de Christian Lapointe, il y a de quoi nourrir vos temps libres pour
quelques jours. Quiconque s'intéresse au travail du brûlant metteur en scène
lira aussi avec plaisir l'autoportrait qu'il y signe; un retour sur ses dix
années de travail acharné et de création sans compromis. C'est aussi une
occasion de réfléchir au sens global de son œuvre. Car si plusieurs metteurs en
scène québécois ne jurent que par la diversité et ne se soucient pas tellement de
bâtir une œuvre cohérente et de créer des spectacles qui se répondent, Lapointe
n'est pas des leurs. Malgré la diversité des approches et des dramaturgies qu'il a favorisées,
malgré qu'on puisse clairement identifier trois différentes esthétiques dans
son œuvre, tout se tient et s'emboîte.
Par
moments, Le Souffleur a même des airs de manifeste. Faire du théâtre, chez
Christian Lapointe, c'est toujours prendre position et militer pour un art
intelligent et nécessaire. Je vous laisse sur un passage de l'intro où cette
posture-là s'exprime particulièrement.
Résistance
à l'ignorance, à la médiocrité et à la bêtise, le théâtre s'affirme comme une
nécessité vitale à notre société, il confirme sa pertinence comme un lieu de la
parole, du dialogue et du questionnement sur l'histoire, sur l'art et la vie. Résistance
aux mensonges et à toute vérité absolue, résistance à tout ce qui peut réduire l'humanité à une force barbare
donnant victoire aux systèmes qui bafouent les utopies, le théâtre fait corps à
corps avec le monde, il devient un champ de liberté qui lutte pour une humanité
de justice et d'espoir. Résistance aux lois du marché, aux lumières
commerciales et du vedettariat, loin des pièces à divertissement ou à message,
le théâtre doit être fulgurant, provocateur et sans concession.
Photo Guillaume D. Cyr