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Pol Pelletier s’explique

Par voie de communiqué ce matin, Pol Pelletier explique son
point de vue sur la «fraude intellectuelle » que constitue le 30e
anniversaire d'Espace Go. Je vous le laisse lire en intégral et vous reviens
là-dessus demain.

 

Je crois que le peuple québécois est en voie de disparition.

Il tue ses femmes.

Il tue sa mémoire.

Il détruit ses vieux théâtres.

L'art est devenu une farce, un divertissement vide de sens.

Je crois que le peuple québécois porte en lui beaucoup de
féminin et qu'il ne le supporte pas.

Dans 10, 15, 20 ans, nous ne serons plus là.

Un petit cours d'histoire

Ce texte est un appel à l'honnêteté intellectuelle et au
respect de l'histoire.

En 2009, le ministère de la Culture a démoli l'ancienne
synagogue qu'était le Théâtre de Quat'Sous, un monument historique, un bijou.
Une perte irréparable remplacé par un building moderne sans âme. La même année,
Espace Go proclame partout « Espace Go a 30 ans ! »  Je ne connais pas d'autre pays au monde où l'on propage de
telles fraudes intellectuelles et où l'on détruit le passé avec un tel
acharnement.

« Espace Go a 30 ans »…

Espace Go est né en 1990, c'est-à-dire il y a 20 ans.  Il a été précédé par le Théâtre
expérimental des femmes qui a existé de 1979 à 1990 et qui avait pour but de
donner la parole et les moyens de création aux femmes. En 1990, la direction de
l'Espace Go a changé le nom du Théâtre expérimental des femmes et a abandonné
la vocation de ce théâtre féministe. Espace Go, pendant ses 19 ans de
programmation, a monté 75% d'auteurs masculins, a donné du travail à 64% de
metteurs en scène hommes et 54% de comédiens hommes. Il est devenu un théâtre
patriarcal. Il ne reste aucune trace du Théâtre des femmes dans le lieu Espace
Go : aucune photo des fondatrices ni des nombreuses productions faites par des
femmes, aucun vestige d'une esthétique qui cherchait des formes nouvelles
fondées sur une mythologie féminine. 
Avec Espace Go, il y a rupture et mort du concept qui sous-tendait le
Théâtre des femmes.

Pourquoi utiliser le prestige d'un passé tout en cachant son
identité véritable ?

Et pourquoi le mensonge est-il repris et validé par d'autres?
L'Actualité de janvier 2010 titre « Espace Go a 30 ans » et pose des questions
à l'actuelle directrice d'Espace Go sur « ses » dernières 30 années et lui
demande ce qu'elle prévoit pour « ses » 40 ans. Pourquoi les journaux
acceptent-ils de transmettre une fausseté grotesque comme la publicité d'Espace
Go, « La 30e saison d'Espace Go », sans en avoir vérifié l'exactitude ?

Remettons les pendules à l'heure : il y a bientôt 31 ans, en
1979, dans une vieille maison historique, est né, grâce à mon acharnement, le
premier théâtre de femmes au Québec et au Canada. Un théâtre où la notion de «
saison » n'a jamais existé, de même que celle d'abonnement : des concepts de
commercialisation qui nous étaient complètement étrangers. Nous étions contre
les méthodes de travail des institutions.

Depuis la fin des années 60 et le début des années 70,
j'écrivais des textes sur une vison esthétique révolutionnaire, fondée sur une
nouvelle représentation des femmes au théâtre. En 1975, cette vision a commencé
à se concrétiser, par des activités de femmes, dans l'ancien Théâtre
expérimental de Montréal dont j'étais une des fondatrices. L'actuelle
directrice d'Espace Go ne connaît rien à cette époque; elle était alors une
très jeune fille qui étudiait à l'École nationale de théâtre. Elle ignore les
faits entourant la création du Théâtre expérimental des femmes – où elle est
entrée des années plus tard, en 1981 – et il est inacceptable qu'elle se
prononce en son nom.

C'est simple : Espace Go n'a jamais créé 30 saisons. Il y a
30 ans, Espace Go n'existait pas.

La falsification de l'histoire au Québec

Je suis très interpellée par ce qui semble être une
caractéristique de notre monde moderne ou post-moderne : la malhonnêteté
intellectuelle, la capacité de dire et de faire n'importe quoi pour servir ses
intérêts. Et de se sentir 
parfaitement crédible tant que le marketing est efficace.

Au Québec en particulier, nous adhérons facilement aux
travestissements et aux détournements de sens. Par exemple, on a souligné le
400e anniversaire de la ville de Québec avec des spectacles qui dénaturent le
sens de cet événement historique, comme celui du Britannique Paul McCartney,
venu enflammer le peuple avec des belles chansons en anglais. Un peu plus et
l'anniversaire des Plaines d'Abraham était travesti en joyeuse opérette qui
évacuait les notions de Conquête, de guerre entre les peuples, de perte, de
blessure.

Espace Go s'approprie un passé qui n'est pas le sien.  Il occulte et pervertit une histoire de
femmes infiniment précieuse. On 
attribue à la directrice actuelle d'Espace Go un rôle qu'elle n'a pas
eu, comme si elle avait été la directrice de ce théâtre de femmes qui a été
mené, je le précise, par un collectif très puissant de femmes jusqu'en
1987.   Dans l'article de
L'Actualité paru en janvier, la directrice d'Espace Go raconte  des faussetés sur notre ancien théâtre:
« dans la salle, on plaçait les gars d'un côté, les filles de l'autre », comme
si elle évoquait la façon habituelle de fonctionner. Mensonge. Il y a eu une
seule expérience de ce type: en 1979 pour le spectacle La peur surtout dont
j'étais l'idéatrice. L'organisation de l'espace faisait en sorte que le public
hommes étaient assis dans des gradins d'un côté de la salle et le public femmes
dans des gradins de l'autre côté en face d'eux. Entre les deux blocs de
gradins, il y avait un couloir où se déroulait le spectacle, ce qui faisait que
les hommes et les femmes voyaient le même spectacle de deux points de vue
différents, en ayant toujours en face d'eux les visages, les corps et les
réactions du groupe en face. Ce fut troublant. Une véritable expérience
artistique, une révélation, qui transforme les artistes et le public.
L'actuelle directrice d'Espace Go ne sait rien de cette aventure; elle est
entrée au théâtre des femmes des années plus tard.

Pourquoi semer des mensonges qui alimentent le mythe des
méchantes féministes qui détestent les hommes  ?

Pourquoi ne pas honorer et tenter de comprendre une démarche
artistique  infiniment riche qui a
transformé l'ensemble de la pratique théâtrale québécoise ?

Les  historiques qu'Espace Go a publiés au
cours des années déforment le Théâtre expérimental des femmes. On en arrive
même à raconter l'histoire de ce théâtre, de 1979 à 1990, sans jamais utiliser
le terme « féminisme ». Dans l'historique officiel, on relate qu'en 1991, on
change officiellement le nom et la charte de la compagnie pour instaurer le
concept « Espace Go ». On dit ceci : « Le Théâtre expérimental des femmes
appartiendra dorénavant  à l'histoire
d'Espace Go. » Cette phrase constitue un véritable vol d'identité et un vol de
propriété intellectuelle. C'est très grave. En se substituant au Théâtre
expérimental des femmes, Espace Go fait disparaître de la mémoire collective un
idéal et un travail artistique, un morceau d'histoire essentiel pour comprendre
notre collectivité. Il efface une réalité fondamentale :  jusqu'en 1989, le Théâtre expérimental
des femmes était un théâtre féministe qui voulait instaurer une nouvelle
théâtralité fondée sur le pouvoir créateur des femmes.

Espace Go a poursuivi un tout autre chemin. Pendant les
années 90, il a monté de très nombreuses œuvres d'auteurs homosexuels mâles,
québécois et français. Normand Chaurette, Michel-Marc Bouchard, René-Daniel
Dubois, Koltès, Lagarce, Copi… Je crois d'ailleurs que le mouvement des femmes
au théâtre, en général, a servi à propulser les dramaturges homosexuels qui se
sont mis à occuper toutes les scènes et ainsi remplacer la parole émergente des
femmes. En tant que société, il est temps qu'on se penche sur ce phénomène et
qu'on se demande : pourquoi ? Espace Go a aussi présenté tout ce que le
patriarcat compte de noms importants, de Sophocle à Marivaux, Beckett et
Ionesco, sans compter les étrangers contemporains en vogue comme Heiner Muller
ou Howard Barker. Espace Go affirme que sa nouvelle vocation se concentre sur «
les auteurs ». Mais quels auteurs ? Le travail de presque tous les théâtres au
monde est fondé sur des textes d'auteurs. Qui, aujourd'hui, se consacre à la
création collective ou à une recherche formelle sans paroles? Espace Go a
parfaitement le droit de proposer la politique artistique de son choix, je ne
conteste rien de cela, mais je refuse que le passé du Théâtre des femmes soit
récupéré par un organisme qui a des objectifs entièrement différents.

En 2010, apothéose ! Espace Go fait une grande fête pour «
son » 30e anniversaire  et offre,
en « cadeau » au Québec, une « comédie érotique », Sextett,  écrite et montée par des hommes, des
Français! Dans ce spectacle, comme le dit le critique parisien Jean-Pierre Léonardini
(de L'Humanité), on assiste à une démonstration de ce qu'est le théâtre: «
faire faire de jolies choses à de jolies femmes »!!! Le personnage central de
cette comédie est un jeune homme charmant (un acteur français) qui fait l'objet
de la convoitise de CINQ femmes, dont l'une est une poupée gonflable et une
autre, une chienne lubrique. À la une du Voir du 14 janvier, l'une des
actrices, Maria de Medeiros, portugaise, se tient debout en position dominante
et tient en laisse, accroupie à ses pieds une actrice québécoise, Marie-France
Lambert, placée dans une position parfaitement dégradante et portant un collier
et une laisse de chienne. Ce spectacle, pensé par des hommes français qui
s'amusent à humilier des femmes d'ici, et qui en plus sont payés par notre
gouvernement, ce spectacle serait le « cadeau » d'Espace Go pour fêter la
naissance, il y a 31 ans, d'un théâtre fait par des femmes québécoises
féministes ??? !!!

Pendant que se déroule cette joyeuse comédie française,
Haïti brûle et sombre.

Et Jovette Marchessault, dramaturge québécoise qui nous a
donné de nombreuses pièces avec des rôles sublimes de femmes – pièces qui ne
sont plus jamais montées -, est âgée et malade, à moitié aveugle, seule et
pauvre dans sa campagne isolée. Et toutes les autres créatrices d'ici, non
soutenues, qui se découragent, arrêtent d'écrire, changent de métier,
disparaissent, meurent. Face à ce panorama, il m'arrive de penser que l'argent
de l'État pourrait servir à des fins, mettons…  plus inspirantes ?

Le commun dénominateur des falsifications de l'histoire que
je viens de nommer, celle du Québec et celle des femmes, est la souffrance.
Pour comprendre et nommer son histoire, il faut pouvoir entrer dans la
souffrance. C'est l'un des objectifs de la compagnie que j'ai fondée en 2009,
L'École sauvage : comprendre la souffrance.

Un
autre objectif est de promouvoir la rigueur intellectuelle, la quête de vérité
et le sens éthique.