Après Lise Vaillancourt, l'auteur, comédien et professeur Gilbert
Turp réagit à la controverse TEF/Espace Go. Dans sa lettre, que je viens de
recevoir, il porte un regard plus large sur la situation, avec le recul et la
mise en perspective qui s'imposent. On y reconnaît une idée que Turp défend
depuis longtemps, à savoir qu'un «artiste ne trouve sa véritable liberté qu'à partir de sa
culture et de son histoire» et «qu'on ne peut créer un théâtre réellement
pertinent de nos jours qu'en incluant dans nos matériaux de travail notre
conscience historique.» À l'instar de Pol Pelletier, il se désole que cette conscience historique soit quasi absente du théâtre contemporain québécois, et reconnaît
qu'il y a eu une véritable rupture entre le Théâtre Expérimental des Femmes et
l'Espace Go. «C'est pour bien paraître, dit-il, que l'Espace Go se réclame
d'une continuité historique avec le Théâtre expérimental des Femmes.» Rien de
moins. Je vous offre son texte complet. Bonne lecture.
Je
m'attendais à ce que des gens de théâtre prennent parole sur la petite affaire
Espace Go vs Pol Pelletier qui a surgi dans le Devoir, mais non. Au risque bien
mineur d'aller à rebours du désir général du milieu d'occulter cette histoire,
mon intérêt pour l'histoire du théâtre, que j'enseigne au Conservatoire, me
pousse à intervenir. Car cette petite affaire a des aspects exemplaires.Sur
le fond des choses, c'est-à-dire le mandat artistique, il me semble que Pol
Pelletier a raison. Le passage du Théâtre expérimental des Femmes à l'Espace Go
est le fruit d'une rupture. Une rupture douce, certes, mais non moins
effective. En payant de sa poche une demi-page dans le Devoir, Pol Pelletier
n'a pas lancé une guerre, comme l'a écrit Le Devoir, elle n'a fait que
rectifier des faits historiques connus et avérés. Le TEF a vécu dix ans, il est
né d'un schisme radical et est mort d'une rupture douce. L'Espace Go est né de
cette rupture, il y a vingt ans. Telle est l'histoire.Ce
qui est exemplaire dans cette petite affaire touche justement au rapport
malaisé que nous entretenons entre la culture et l'histoire au Québec. Ce
rapport malaisé rejaillit sur la pratique artistique. Je suis convaincu qu'un
artiste ne trouve sa véritable liberté qu'à partir de sa culture et de son
histoire, quitte à en avoir une vision critique. Je suis également convaincu
qu'on ne peut créer un théâtre réellement pertinent de nos jours qu'en incluant
dans nos matériaux de travail notre conscience historique.Dans
le monde du marketing, l'histoire semble plutôt avoir une fonction cosmétique.
On y met en valeur les faits qui nous servent à bien paraître. Et c'est pour
bien paraître que l'Espace Go se réclame d'une continuité historique avec le
Théâtre expérimental des Femmes. Il n'y a pourtant rien de mal à reconnaître
que l'Espace Go s'est présenté dès son ouverture comme le porteur d'une
approche féminine plutôt que féministe du théâtre, exprimant ainsi le désir
d'intégration de nombreuses femmes artistes à l'ensemble du réseau du théâtre
institutionnel et d'accès à ses postes de pouvoir et ses lieux d'influence.S'il
y a déjà eu à Montréal des théâtres radicalement différents d'une salle à
l'autre, on constate aujourd'hui qu'il y a quelques déclinaisons nuancées d'un
théâtre plutôt généraliste qui se dissémine d'un espace à l'autre. On fréquente
aujourd'hui l'Espace Go de la même façon que le TNM, les Écuries ou le Théâtre
d'aujourd'hui. De même, on voit les artistes circuler fluidement d'un lieu à
l'autre sans que cela nous paraisse étrange ou contradictoire.Quant
à Pol Pelletier, elle a toujours été une femme et une artiste dérangeante dans
le bon sens du terme. Elle fait partie de ces êtres qui nous obligent à sortir
de notre zone de confort et à questionner notre propre degré de liberté et
d'engagement. Pour cela, je la remercie. On s'attend généralement à ce que les
milieux d'art chérissent ces artistes entiers, parfois malcommodes, et animés
par une démarche à la fois cohérente et surprenante. Mais il faut croire que
même les milieux d'art n'ont pas toujours envie de se faire déranger.
Monsieur Turp,
Je partage largement vos allégations, et ne puis réprimer l’envie d’y ajouter quelques notes disparates…
Les nouvelles générations, tout particulièrement, ont assurément perdu pied face à l’Histoire. Étant jeune trentenaire, j’oserai affirmer qu’une volonté de rupture participe à cet effritement de l’identité culturelle. Nécessité de rompre avec quelques cuisants échecs : idéaux sociaux des générations précédentes qui n’ont pas trouvé leur terme souhaité. Idéaux à raviver. De leurs cendres. Dans les meilleurs délais.
Et je l’affirmerai ainsi : c’est un défi actuel – dont je ressens intimement l’urgence – que de renouer avec d’inspirants idéaux collectifs.
Pour ce faire, il faudra notamment redonner un sens noble au rôle de l’artiste dans la société. Plus près de son intégrité que du divertissement. Plus près de l’Art que de l’Industrie.
Les artistes sont nombreux. Mais les défricheurs sont rares! Travail de longue haleine…
Permettez-moi enfin de sauter du coq au zèbre, fier des défis que je mène de front (avec quelques comparses pugnaces) et relevant votre court commentaire à propos des Écuries : suite à ses rénovations immobilières (août 2010 à mars 2011), je suis d’avis que notre nouveau théâtre saura être un lieu inspirant, où artistes et concitoyens auront envie de s’enraciner, avant, pendant et après les spectacles. C’est le but visé. Vous viendrez nous revoir.
N.B.: Pour ceux qui aimeraient en savoir plus sur l’Histoire du théâtre au Québec, allez faire un tour sur le site web de Carte Prem1ères, et inscrivez-vous à la conférence de Paul Lefebvre qui s’amorce le 22 février prochain.
Au plaisir de poursuivre ce dialogue, avec qui que ce soit.