Petit retour sur mon dernier billet, qui a causé des réactions assez violentes, bien malgré moi.
Je veux redire ici que si j'ai utilisé les propos de Brigitte Haentjens, sans trop les contextualiser d'ailleurs (et je m'en excuse), c'était surtout comme point de départ à une réflexion plus large sur la critique. Si Haentjens réclame une meilleure critique, avec raison, ce n'est pas par vanité ou parce qu'elle se croit supérieure à ses collègues. Ce n'est pas non plus parce qu'elle considère la critique indigne d'elle et de son travail. Au cours du laboratoire de critique auquel je participe à Ottawa, elle a d'ailleurs passé quelques heures à discuter avec nous de son spectacle et reçu de bon coeur nos commentaires, questions et réflexions. Une discussion ouverte et intelligente entre une artiste chevronnée et de jeunes critiques. Le genre de discussions qu'il faudrait répéter plus souvent. Qu'une artiste réclame une critique plus exigeante, il me semble que c'est plutôt bon signe. C'est bon pour la santé de la scène théâtrale, et même pour la santé de la vie intellectuelle québécoise. Mais je sais bien que peu de gens se préoccupent de la santé de la vie intellectuelle québécoise.
En fait, même si les déclarations contre la critique de théâtre m'interpellent toujours et me poussent à défendre certains collègues dont je connais les compétences, elles me réjouissent aussi, parce qu'elles mettent le doigt sur des réalités indéniables: la critique est souvent complaisante, elle manque souvent de rigueur et ne résiste pas fort aux barrières qu'on lui impose pour des raisons de rentabilité et de manque d'espace rédactionnel. En ce sens, le commentaire du blogueur Yves Rousseau est très juste: on ne peut pas exercer une critique solide dans de telles conditions, dans la misère et l'absence de reconnaissance. Ne nous leurrons pas, rares sont les médias québécois qui accordent aux critiques la place qui leur revient, et surtout le salaire qu'ils méritent. Ça ne contribue pas à créer les conditions favorables à l'exercice de la critique, même si ce n'est pas la seule raison des problèmes actuels de la critique.
Tout ce dont je rêve, c'est que des déclarations comme celles de Haentjens, de Choinière et des autres nous poussent à un examen de conscience et à quelques remises en question, ou même à une revalorisation de la critique de théâtre montréalaise.
Voilà.
Comme vous l’avez déjà mentionné, le débat ne date pas d’hier. Il y a beaucoup de chroniqueurs au Québec, et très peu de véritables critiques de théâtre. Triste, car la majorité des artisans du milieu apprécie la vraie critique, lorsqu’elle honnête, fouillée, bien construite et non complaisante. J’ai pratiqué ce merveilleux métier pendant plusieurs années, principalement à Québec. J’ai le souvenir de discussions animées mais toujours respectueuses, avec des metteurs en scène et des comédiens. Échanges, débats et bonification de nos pratiques respectives.
Pourquoi avoir quitté ce job que j’aimais? T’as beau adorer ce que tu fais, quand ça ne paie pas le loyer et les couches du petit et qu’en plus, tu lis le papier merdique d’un chroniqueur « artistique » qui n’y comprend rien mais qui gagne au moins dix fois ton salaire, tu finis par te dire que ça ne vaut pas la peine de se battre pour la qualité.
Triste. Je vois que les choses n’ont pas vraiment changées.
Le débat roule sa bosse depuis très longtemps… et qu’est-ce qui a changé? Je déplore également le manque de ressources, mais qu’attendez-vous? Relancer la problématique du fric et de l’espace ne changera strictement rien! Mendiez… allez! Et puis quoi après? Prendre les moyens de vos paroles restent encore la plus belle preuve de votre volonté.
Est-ce que le théâtre s’est déjà empêché de créer? Est-ce que les arts se sont déjà empêchés de trouver des nouvelles pistes de solutions? Ne restez pas là niais devant la problématique en attendant une aide financière quelconque. N’attendez pas que l’opinion public change… changez en premier, le reste suivra!
Le rythme sans relâche cause très certainement des problématiques. Manger du tartare une fois par semaine c’est bon… en manger 5 fois par semaine, c’est autre chose! Comment rester objectif? Comment encore y voir clair…c’est impossible… vous êtes humains vous aussi! Et c’est dans ces situations que la complaisance embarque… et la paresse intellectuelle aussi.
L’autre question à soulever est aussi à savoir si la critique existe pour le spectateur ou pour le créateur. Présentement, les journaux s’adressent intimement aux spectateurs. Plus vrai qu’autrement, ils visent à démontrer leurs appréciations ou leurs déceptions. C’est tout… et c’est aussi inintéressant.
Et si la critique est lié au processus créatif. Si la critique n’existe pas juste pour la popularité et la diffusion de spectacle…. qu’est-ce qu’elle attend? Les ressources? Par pitié cessez de gémir et agissez!
La critique que vous rêvez n’existe pas. Ou n’existe que très peu (mise à part peut-être la revue JEU). On citera des exemples des autres pays… d’accord… mais ce n’est pas la réalité d’ici et pour changer les choses il faut bouger. Ça fait trop longtemps qu’on nous casse les oreilles avec cette idéologie qui est tout à fait légitime. Maintenant, je la trouve amère et naïve.
Pour ma part, j’attends des preuves. J’attends que la critique fasse ses preuves. Présentement, je la trouve insipide… bien malheureusement.
La critique, lorsqu’elle est intelligente et fondée sur une réelle connaissance de l’art en question, est intimement liée au processus créatif. J’en suis convaincue.
Je manque de temps pour plonger dans ce débat essentiel. Alors j’ajouterai seulement ceci :
1) Vivement que les médias écrits (et virtuels – quoi que je préfère les imprimés parce qu’ils sont tangibles) accordent davantage d’espace à la réflexion et à la critique artistique.
2) Vivement que les critiques de théâtre puissent exercer leur métier sans jouer les relais promotionnels. Et qu’ils traitent davantage des spectacles qui les interpellent, que de ceux qui investissent le plus en publicités.
3) Et, surtout, vivement que le public aille lui-même se faire une idée de ce qu’il aime des Arts, en acceptant le risque d’être déçu, bouleversé ou heureux de son expérience. (Et qu’il confronte par la suite ses idées aux textes des critiques professionnels.)
Voilà tout.
Débat à garder sur un feu vif!
La tradition est en train de se perdre, beaucoup plus parce que la plupart des billets culturels, relèvent plus du publi-reportage que de la critique. Nous vivons dans un monde de culture prête-à-consommer où les long entretiens avec les réalisateurs ou les metteurs en scène, dérangent l’heure de tombée souvent expéditive.
La complaisance s’installe alors de façon insidieuse, car ce qui fait fonctionner la billetterie, devient garant d’un salaire hebdomadaie décent.
Il faut beaucoup plus de temps pour réussir à comprendre la démarche d’une metteur en scène et c’est ce qui fera souvent la différence entre une critique articulée fondée sur des faits et un compte-rendu…
Pour mieux focaliser ce débat fort pertinent sur la critique de théâtre il faut soupeser chacun des 2 mots de la question de Sylvain Schryburt « quel engagement pour quel milieu ? », c’est-à-dire 1°) le dessein et 2°) l’auditoire de la critique. Un paramètre crucial est cependant éludé. C’est celui de la liberté du critique, celle vis-à-vis de son employeur en particulier.
1. Dans le cas du théâtre, le but visé par une critique peut être multiple. En voici quelques-uns.
a. Il peut viser à objectivement améliorer le théâtre en général, donc à désirer que la qualité des pièces présentées devienne toujours meilleure. Il y a là une quête d’absolu. Qui en effet n’aspire pas à un certain idéal ?
b. Un autre objectif est celui de conseiller un public cible dans son choix. C’est là que le second mot de Schryburt s’ajoute au défi de critiquer. Quelle en est la cible ? Le public en général, un public branché ou un public désireux d’évoluer ?
c. Une critique peut aussi simplement être une réaction très émotive et personnelle à un œuvre à laquelle on vient d’assister.
Bien facile à disséquer, mais je crois impossible de dissocier ces trois niveaux dans une critique théâtrale parce qu’une bonne pièce nous prend en même temps tant par le cœur que par la tête. C’est en fait un caractère propre des grandes créations.
d. Enfin, un objectif de marketing pur et simple pour tout et n’importe quoi dans le genre « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. » Dans ce cas, c’est de la pure prostitution et les papiers qui sortent sont en fait des publi-reportages. On peut trouver manœuvre plus insidieuse où le mélange d’une critique d’apparence objective sous-tend une basse soumission à un diktat commercial de l’éditeur. Ce dernier cas relève de la fraude.
Dans l’évaluation globale, la critique s’effectue sur la totalité, sur l’ensemble que constitue la pièce, sur l’impression générale qu’il en retire. Mais tout critique avec un peu de recul et de culture théâtrale dissèquera plus à fond chacun des aspects de cet assemblage. Se dégagent alors des faiblesses et des forces qui auront compensé ou non pour le tout. En découlera alors une critique moins flatteuse.
Plusieurs cibles sont alors accessibles : propos de la pièce, forme du langage (poésie), mise en scène, jeu des acteurs (conditionné par leur talent, par la mise en scène et par le texte à rendre).
Je prends comme exemple les pièces de Robert Lepage qui sont des chefs-d’œuvre de mise en scène et de dispositifs scéniques qui enchantent l’œil mais dont le texte est moins fourni, plus réduit. Robert Lepage parle plus par le visuel que par le texte. C’est un choix qui ne me plaît pas particulièrement parce que j’aime les beaux textes (Pas moi de Beckett par exemple ou les textes de Daniel Danis). Ma critique ferait donc nécessairement état de mes réticences et mon opinion globale sur une création de Lepage serait « correct, pas plus » à cause de la faiblesse du texte.
J’ai un autre exemple d’une pièce cette saison qui avait deux excellents comédiens dans sa distribution mais qui était totalement d’un autre âge, sans réel intérêt actuel. Tellement que je suis sorti avant la fin. Et bien, elle n’a pas été vraiment critiquée dans les médias. Même le propriétaire de ce blogue à qui j’ai fait part de mes grandes réserves n’a pas répondu à ma charge. On peut croire que l’absence de critique sur certaines créations peut s’avérer une forme d’auto censure pour un critique qui tient à sa peau. On semble oublier le proverbe « Qui aime bien, châtie bien ». M’enfin !
On peut conclure que pour apprécier globalement une pièce, il ne peut y avoir de maillon trop faible comme le texte par exemple, même si les comédiens sont excellents.
2. Quant à la cible, elle peut s’étendre du public non-initié à un public très averti. Les mots et l’approche ne peuvent alors être identiques et doivent être adaptés. Le « problème » des publications généralistes comme les quotidiens est la diversité du lectorat. Ce qu’est à l’autre extrémité du registre le lectorat du périodique de théâtre Jeu. De là mon titre que pour un journaliste de quotidien la nécessaire critique devient presque impossible dû à la très grande diversité du lectorat.
Voilà le dilemme devant lequel se retrouve le critique qui ne peut faire abstraction de ses goûts personnels. C’est là que la perspicacité du lecteur doit intervenir. Il doit savoir lire un critique. Pour cela, il faut bien le connaître. C’est à le lire régulièrement qu’on arrive à décrypter ses goûts et le sens réel de ses textes. La pérennité du journaliste critique devient alors extrêmement importante. C’est une des faiblesses qui touche le milieu journalistique d’ici : Moins de permanents comme Robert Lévesque l’était. Pour avoir permanence il faudrait que les éditeurs donnent toute liberté à leurs critiques théâtrales. Ils gagneraient au change (vente de numéros auprès des amateurs) en acquérant une solide réputation et contribueraient ainsi à l’amélioration de notre scène. Comme Robert Lévesque l’a supporté, il devra cependant se résigner à faire face aux réactions de toutes parts et se blinder.
J’aimerais en conclusion soulever un point important. Il y a intérêt à former un public plus critique qui ne donne d’ovation debout que lorsque le spectacle est exceptionnel. Il existe en effet dans le public en général, une attitude de réserve, de politesse obligée, une attitude conciliante qui ménage trop à mon avis, les créations qu’on lui présente. Est-ce par manque d’expérience, manque de culture, excès de politesse ou absence de repères critiques ? Je n’ose me prononcer. Mais chose certaine, il a besoin d’une critique solide et crédible qui lui donne des références, des points de repère pour mieux juger par lui-même.
Voici la réaction d’un scientifique qui adore le théâtre et qui, pour avoir un peu fréquenté les théâtres parisiens, croit que la qualité de la scène théâtrale montréalaise est, toute proportion gardée, de qualité exceptionnelle. Nos créateurs, nos comédiens et nos artisans sont de calibre international. Comme la science, le théâtre a besoin d’une critique pour évoluer.