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Un critique en salle de répét: pure folie?

Passionnant de vous lire à propos de la rigueur de la critique montréalaise et les enjeux actuels de la pratique, dans les commentaires de mon dernier billet. Beaucoup d'éléments y sont soulevés. La critique telle que pratiquée actuellement dans la presse écrite n'est-elle qu'un «relais promotionnel», relevant plus du publi-reportage que de la réflexion artistique ? La critique s'adresse-t-elle au spectateur ou à l'artiste? À une masse de public général ou à un spectateur cultivé ou éclairé ? Vise-t-elle, comme le demande entre autres Denis Lebel, une amélioration générale de la qualité de la production théâtrale? Est-il encore possible d'aménager un véritable espace critique dans les médias de masse, en donnant aux critiques le temps, les moyens, la liberté et le soutien dont ils ont besoin pour faire un travail de qualité ?

Je crois pour ma part que si la critique s'adresse avant tout à un spectateur intelligent, elle doit aussi par la bande s'adresser à l'artiste, du moins à l'artiste soucieux de situer son travail dans l'ensemble de la création théâtrale québécoise et même occidentale, et à celui qui cherche à faire évoluer la pratique théâtrale dans son ensemble. Pour cela, il faut bien sûr une critique qui voit plus large que le spectacle lui-même, et il est vrai que ce genre de critique n'occupe pas une grande portion de l'espace médiatique actuel. Elle s'adresse aussi au spectateur qui se cache à l'intérieur de chaque artiste et qui, comme tout spectateur, cherche à faire du sens à partir de l'objet théâtral qu'il fréquente. Je crois aussi fermement qu'il est du devoir du critique de chercher des moyens de contourner les mécanismes promotionnels qui s'installent insidieusement dans son travail.

Pendant les deux prochains mois, je tenterai donc sur ce blogue une expérience. En presse écrite, l'une des manifestations les plus notables de la «marketing-isation» du journalisme culturel est le pré-papier, cette entrevue que l'artiste accorde au journaliste quelques jours avant la première de son spectacle. Car ne soyons pas dupes, même si le journaliste cherche à éviter de faire de la publicité pour l'artiste, le principe même du pré-papier l'emprisonne dans une posture promotionnelle. Il est pourtant essentiel de discuter de théâtre avec les metteurs en scène, et que cette parole soit entendue dans les médias. Pour éviter le ton promo, il faudrait orienter les entrevues différemment, en faisant par exemple se rencontrer deux artistes qui ont une pratique similaire autour de questions plus larges sur l'esthétique théâtrale ou les enjeux sociétaux qui les interpellent. Cela, le rythme de travail du critique de la presse écrite ne le permet pas tellement, et il faudrait une petite révolution dans les salles de rédaction pour que ça se produise. Le mieux, ce serait encore de faire les entrevues après que le journaliste/critique ait vu le spectacle, pour ainsi instaurer un dialogue franc entre les deux parties et confronter les points de vue. Encore là, il faudrait beaucoup de courage de la part des rédacteurs en chef pour renverser la vapeur.

Le dialogue entre critiques et artistes, je dois dire que j'en suis partisan, à condition que les deux parties s'imposent la règle de la franchise et de la liberté de parole. Je vais donc suivre, pendant les mois de mars et avril, tout le processus de répétition de la pièce Caligula Remix, qui prend l'affiche du Théâtre La Chapelle le 29 avril prochain, dans l'espoir de réfléchir très librement à certains enjeux de la création théâtrale et à de grandes questions esthétiques et politiques que m'inspireront l'observation des répétitions. L'idée, c'est de réussir à parler d'une création théâtrale autrement que par l'entrevue promotionnelle, de façon plus profonde, dans un souci d'accompagnement peut-être, mais surtout en toute indépendance d'esprit malgré la proximité avec le metteur en scène et les acteurs. En essayant aussi de dialoguer sans complaisance avec les artistes.

Quand le metteur en scène Marc Beaupré m'a approché pour me proposer l'expérience, je me suis bien sûr méfié. En me demandant d'écrire chaque semaine sur son travail, il aurait pu n'y voir qu'un moyen de s'offrir de la publicité gratuite. Sans compter que pour conserver mon indépendance d'esprit, il vaut mieux ne pas trop fréquenter les salles de répétition et devenir copain-copain avec les artistes. Mais Marc et moi on a discuté longuement, et j'ai bien vu que ses intentions n'étaient pas strictement promotionnelles. Qu'il consentait à me laisser dévoiler tout ce qui me plaira de son processus de création, et d'y réfléchir de la manière qui me convient. Même que Marc, metteur en scène très soucieux d'intellectualiser son travail et d'analyser son processus, a exigé que j'assiste à toutes les répétitions pour pouvoir ensuite échanger avec moi, partager ses doutes, ses craintes, ses intentions, ses réflexions personnelles. Un dialogue réel, en somme. Que je n'ai pas pu refuser. Et qui nous permettra d'aborder la relation critique/artiste en évitant les clichés qu'on y associe tout le temps, comme en témoigne cet article de Nathalie Petrowski dans La Presse d'hier.

J'ai des doutes. Je marche sur un terrain glissant. Mais je tente le coup. En plus de m'inspirer des billets sur ce blogue, l'expérience mènera à un pré-papier nouveau genre, dans lequel je pourrai faire une synthèse du processus de création de Caligula Remix et une véritable réflexion sur le spectacle. Ce qui, je suppose, permettra au lecteur de se préparer à la pièce sans sentir qu'on essaie de lui vendre un produit.

Évidemment, un critique de théâtre se tuerait à faire cela chaque fois, et en perdrait inévitablement son indépendance d'esprit. Mais je suis un jeune critique, toujours en construction, et je me dis que je dois l'essayer au moins une fois. Avec un artiste de ma génération qui manifeste, comme Marc Beaupré, une admirable ouverture et un étonnant désir de transparence, ça ne peut pas être une si mauvaise idée.

Qu'en pensez-vous ?   

 

Crédit photo: François De la Grave