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Le marketing tue le théâtre

A la mi-février, la blogosphère culturelle s'est animée
autour de la question du marketing culturel. C'était dans le sillon de la
conférence d'Infopresse sur le marketing des organismes culturels, et ça s'est
surtout passé sur le blogue d'Arnaud Granata, qui travaille comme directeur des
contenus aux éditions Infopresse. Réagissant au message d'un artiste qui le
sommait de cesser de le «présenter comme du détergent», il a expliqué que le
marketing des «produits culturels» était essentiel parce que «le nombre de
billets vendus dicte bien souvent la réussite d'un projet auprès d'un
producteur.»

Sur cette épineuse question, je dois dire que je pense un
peu comme Wajdi Mouawad. Depuis qu'il est en poste à la direction artistique du
Théâtre français du CNA à Ottawa, Wajdi milite pour un changement de
vocabulaire au sein de son équipe, alors que ses collègues ont la fâcheuse
habitude d'appeler les spectateurs des «clients», les spectacles des
«produits», le théâtre un «bureau» (voir le billet de blogue dans lequel il
explique tout ça). Wajdi, en fait, voudrait que le théâtre redevienne un art et
non une activité commerciale. Il a déjà dit aussi, dans le programme de soirée
de la pièce Don Quichotte au TNM en 1999, qu'il n'avait «pas été capable
d'aller saluer lors de la première parce que la présence des cartons des
commanditaires [lui] levait profondément le cœur.»

Si le marketing est
«essentiel» et inévitable dans notre société de consommation, il a tendance à
s'insinuer, bien malgré les artistes, dans les esthétiques théâtrales et à
faire du théâtre contemporain québécois un «marché» d'œuvres lisses et
uniformes. Car, c'est inévitable, les principes du marketing se sont plus ou
moins insérés dans les critères d'octroi de subventions aux artistes, puis dans
les départements de «développement de public» des institutions, et puis aussi
un peu dans les écoles de théâtre. Bienheureux aujourd'hui l'artiste qui
pourra articuler sa démarche sans se laisser influencer par les codes du marketing
et les lois de la rentabilité.  

Vous me direz,
comme Simon Brault dans son essai intitulé Facteur C, qu'il faut être
déconnecté de la réalité pour entretenir une vision si romantique et ne
valoriser que «l'idéal de l'art pour l'art». Qu'il faudrait être tout aussi
inconscient, comme il le dit plus loin, pour croire à la «mythologie américaine
du show business» dans laquelle ne compte que le profit et le divertissement.
Il doit bien exister un entre-deux. Oui, mais dans cet entre-deux, y-a-t-il une
place pour le véritable risque théâtral, pour les artistes ultraspécialisés,
pour les paroles subversives, pour les innovations profondes, pour la pensée
complexe, bref pour tout ce qui mène le théâtre vers le haut au risque de
déplaire à une grande partie du public ou de la «clientèle» ? Je pose la
question.

La vérité, c'est
que, comme me le disaient récemment Pierre Lefebvre et Evelyne de la Chenelière
en entrevue, «le souci de la rentablité pervertit la nature de la parole
artistique et c'est très dommageable, car les artistes finissent par se
conformer aux goûts prétendus du public. Et cela, même si ça ne se fait pas de
façon consciente et qu'aucun artiste n'a l'intention d'adapter son
travail aux critères du marché. Aujourd'hui, au-delà des oeuvres, tout le
discours autour du théâtre s'articule selon des principes de rentabilité. Il
n'existe presque plus, dans l'espace public, d'autres manières d'appréhender
l'art.»

Alors, aux énergiques défenseurs du marketing culturel, je
ne saurais rien dire d'autre que : Attention de ne pas tuer l'art à
petits feux.