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Le kitsch nous mange

Dans une table ronde sur le théâtre engagé à l'UQAM (sur
laquelle je reviendrai plus tard), Olivier Kemeid, auteur dramatique et
directeur artistique d'Espace Libre, disait ceci :

 «Nous n'avons pas de réelle institution théâtrale au Québec,
même si on se plait à appeler nos théâtres des institutions. On fonctionne dans
une logique de théâtre privé. Seulement 30% à 40% des budgets proviennent du
financement public, et nous sommes donc dépendants des revenus des entrées pour
survivre. La seule institution qui soit complètement libre de créer sans se
soucier de considérations commerciales est le Centre national des arts d'Ottawa,
qui reçoit un financement adéquat de la part du gouvernement fédéral.»

Peut-être ne le savait-il pas, mais Kemeid prononçait ces
paroles deux heures après que Wajdi Mouawad, directeur artistique du Théâtre
français du Centre national des arts,  ait
dit aux journalistes montréalais réunis dans un Tim Hortons du Plateau
Mont-Royal que «le Théâtre Français, en tant qu'institution, n'est pas là pour
développer un rapport mercantile avec le public. Le but n'est pas de convaincre
qui que ce soit de venir au théâtre, mais plutôt de poser des questions
insolubles et de chercher une multitude de réponses.»

C'était lors du dévoilement de la saison 2010-2011 du Théâtre
français, dont je vous laisse consulter les détails sur le site web officiel ou via le résumé qu'en fait mon collègue Christian Saint-Pierre. Vous
serez heureux d'y constater que la mise en scène des Justes par Stanislas
Nordey
, dans lequel Wajdi joue aux côtés d'Emmannuelle Béart, sera présentée en
septembre. Ainsi que quelques autres spectacles étrangers en exclusivité à
Ottawa, qui vaudront assurément un détour par l'Ontario l'an prochain.  Mais si j'en parle, c'est surtout parce que
les préoccupations qui ont guidé Mouawad et son adjoint Guy Warin dans la
concoction de cette saison sont fort pertinentes et ont été maintes fois discutées
sur ce blogue.

LE KISTCH NOUS MANGE. C'est l'affirmation qui décore la saison du Théâtre Français,
avec l'objectif assumé de lutter contre toutes formes d'aplanissement de l'art
pour des raisons de séduction d'un prétendu «grand public». «Le kitsch au sens
philosophique du terme, a expliqué Guy Warin, c'est l'attitude de vie de celui
qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre. Dans les cas extrêmes, ça
mène au despotisme, et dans ce sens Hitler est le phénomène kitsch par
excellence.» Et Mouawad de poursuivre : «Le gouvernement conservateur
actuel, avec son obsession pour la normalité, est dangereusement kitsch. Mais on
peut ramener le kitsch à tous les niveaux de la société, commercial, politique ou
social, jusqu'aux artistes qui sont souvent prêts à tout pour plaire. Ça me
fait réfléchir par exemple à notre rapport à la publicité. On vit dans un
monde où il faut toujours convaincre le plus de gens possible d'acheter le plus
de beignes possibles, à travers des biais émotifs. On s'est tellement pliés à
cette façon de voir les choses qu'aujourd'hui la moindre démarche artistique
qui s'écarte du tout-cuit vendable est considéré comme indigeste, impossible à
aborder, trop difficile pour le public. Comment en sommes-nous arrivés là ?
»

En voulant lutter contre le kitsch, et donc contre la
marchandisation et l'uniformisation de l'art, contre les principes de
développement de public, contre l'omniprésence du marketing et de la pub, le
Théâtre Français s'attaque à la maladie la plus répandue et la plus infectieuse
du milieu théâtral. Quand j'écrivais, il y a quelques jours, que «le marketing
tue le théâtre
», c'est exactement cette maladie que je dénonçais; celle de
vouloir plaire avant de chercher à développer un discours et une démarche
artistique forte.

Sur ce, je vous invite aussi à relire le texte Guerre au
kitsch
, de Guy Warin, que je publiais en décembre dernier. Ce même texte
servira de point de départ à un blogue qu'il animera sur le site web du CNA dès maintenant.

Et vous, est-ce que le kitsch vous mange ?