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Faire du théâtre engagé aujourd’hui ?

En table ronde à l'école supérieure de théâtre de l'UQAM
hier (mardi 16 mars), les auteurs et metteurs en scène Olivier Kemeid, Alexis
Martin
et Annabel Soutar discutaient théâtre engagé. Que signifie faire du théâtre
engagé aujourd'hui ? Doit-on encore s'engager pour la sauvegarde d'une
identité nationale en péril, près de quarante ans après la période de théâtre d'affirmation
nationale des années soixante-dix ? Le théâtre est-il en soi un acte d'engagement ?
Est-il possible de faire preuve d'engagement par la voie de l'esthétique plutôt
que par les propos du texte dramatique ? Autant de questions adressées par
les professeurs Yves Jubinville et Marie-Christine Lesage aux trois panélistes.
Voici des bribes de leurs propos; morceaux à rassembler pour un début de
réflexion sur le sujet.

 Olivier Kemeid, auteur, metteur en scène et directeur artistique d'Espace Libre :

«L'affirmation nationale au théâtre, je crois qu'elle existe
encore, mais elle peut aujourd'hui cohabiter avec d'autres préoccupations. Notre
société est plongée dans le monde global, à la recherche de nouveaux repères,
même si elle est encore très complexée et plus ou moins capable de s'affirmer
pleinement. Pour moi, le débat sur les accomodements raisonnables, par exemple,
pourrait constituer une matière théâtrale très forte. On ne l'a pas encore vu
sur scène, hélas. Ce qui est certain c'est que le débat fait peur au Québec. C'est
le lot des petites nations, comme le disait Kundera, et on est empêtrés là-dedans.
Ça rend peut-être notre théâtre tranquille ou frileux. […]  Mais je crois quand même qu'aujourd'hui l'engagement
s'accompagne toujours d'un désengagement. Le théâtre s'accroche au réel pour
mieux s'en désaccrocher, c'est un va-et-vient continuel entre le politique et
le poétique. […] En début de carrière, mon attachement à l'épique et au
baroque allait à contre-courant des normes de ma génération, qui faisait
surtout du théâtre réaliste à l'américaine en s'attardant à des thèmes
urbains contemporains. C'était aussi un engagement, une volonté de bousculer l'ordre
établi par l'esthétique.»

 

Annabel Soutar, auteure et directrice artistique de Porte Parole,  théâtre documentaire :

«Je trouve qu'on a trop emprisonné le théâtre engagé dans
une posture radicale. Pourtant, le théâtre est toujours engagé lorsqu'il est
fait par des gens bouleversés par un monde qu'ils cherchent à comprendre.  Cela dit, je fais du théâtre documentaire en
puisant dans le réel, et c'est là certainement une manière de s'engager
fermement. Il existe dans les paroles réelles des opportunités en or de
raconter des histoires. On peut facilement extraire du désordre humain une matière
théâtrale vivante et engagée, parce que derrière chaque enjeu politique ou
social se cache un drame humain. […]  Quand on parle d'identité, je trouve moi que
le bilinguisme du Québec est une incroyable opportunité théâtrale. J'utilise le
bilinguisme dans mon théâtre pour témoigner d'une réalité linguistique
changeante.»

 

Alexis Martin, auteur, acteur, metteur en scène et codirecteur artistique du Nouveau Théâtre Expérimental :

«Au NTE,
notre programme a toujours été de ne pas avoir de programme. C'est en soi une
forme d'engagement, car il n'est pas facile de résister aux pressions exercée
par les subventionneurs pour nous caser dans une catégorie précise et exiger de
nous qu'on produise des œuvres très formatées. […] Je pense qu'aujourd'hui on
est plus engagés quand on traque les ruptures et les zones d'ombre de la
société ou de la scène théâtrale, quand on s'attaque aux sujets importants qui
sont escamotés par tous. C'est ce qu'on a fait avec Lortie l'an dernier. […] Et
oui, l'esthétique est aussi une manière de s'engager. L'acte poétique extrême
est souvent très politique.»

 

Qu'en pensez-vous ?