Depuis quelques semaines, je me suis glissé dans la salle de répétition de Caligula
Remix, adaptation et mise en scène de Marc Beaupré à partir de la pièce
d'Albert Camus, qui prend l'affiche du Théâtre La Chapelle le 29 avril
prochain. Voici des échos de cette expérience d'observation, mais surtout
d'échange entre un jeune metteur en scène et un jeune critique.
Pardonnez-moi
de ne pas vous écrire assez souvent sur le processus de création de Caligula
Remix. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis mon dernier billet il y a
trois semaines.
Marc
Beaupré a d'abord passé une semaine à Paris avec le comédien Emmanuel Schwartz,
qui, depuis ce temps-là, a eu le temps de revenir à Montréal et de participer à
quelques répétitions avec le reste de l'équipe. Je n'étais pas à Paris avec ces
messieurs, mais il paraît qu'ils ont passé la semaine à discuter de Camus et de
la démesure de Caligula, histoire qu'Emmanuel s'approprie mieux le sentiment
d'absurdité vécu par Caligula, pour qui «les hommes meurent et ne sont pas
heureux.»
Moi,
pendant ce temps, j'assistais à la mise en scène de Caligula par Gill
Champagne, à Québec (Théâtre du Trident). Interprétation fougueuse et admirable
de Christian Michaud, dans une mise en scène toutefois assez conventionnelle,
située dans une sorte d'intemporalité qui ne mettait l'accent ni sur la
dimension absurde du texte, ni sur les extravagances artistiques de Caligula ni
sur sa tyrannie, mais sur un peu tout ça à la fois. Un flou confortable, en
somme, esthétiquement très léché et porté par un rythme soutenu, captivant à
suivre. Rien à voir, toutefois, avec le « remixage » que prépare Marc
Beaupré.
À
son retour de Paris, Marc s'est installé aux côtés du compositeur Louis Dufort
pour créerce qu'ils appellent des «systèmes», c'est à dire des sons
préenregistrés à partir des voix et des corps des acteurs, que Dufort va
ensuite transformer en musique ou en «climat sonore» (c'est moi, cette fois,
qui invente un vocabulaire météorologique, mais ça me semble approprié). Dans
l'esprit de Marc, ce «climat sonore» doit toujours naître de la scène et des
acteurs, donc du réel, pour se déplacer graduellement vers un « espace
virtuel» créé de toutes pièces par le son. Le gros dilemme : comment ne
jamais faire oublier que les sons proviennent des acteurs, alors qu'ils sont
préenregistrés? Où se trouve la liberté du concepteur sonore dans un tel
contexte, avec de telles contraintes? Car Louis Dufort, ne l'oublions pas, est
un petit génie du son qui, tout en poursuivant un doctorat à l'Université de
Montréal, collabore régulièrement avec la chorégraphe Marie Chouinard et crée
aussi ses propres œuvres de plus en plus reconnues à l'international. Peut-il
trouver, à l'intérieur du projet de Marc, un espace de création personnel
stimulant? Je crois que Marc se pose la question, parfois.
Puisque
le spectacle est un «remix sonore» de Caligula, les machines de toutes sortes
(consoles, micros etc) doivent-ils être présents et visibles sur scène ? Une
autre grande question qui taraude le metteur en scène. La réponse est
probablement oui, du moins les acteurs vont faire des tests en ce sens cette
semaine. Ça correspondrait bien, en tout cas, à l'idée que Caligula, dictateur
et artiste, orchestre lui-même la narration de sa propre histoire en dirigeant
des choristes, mais aussi des machines. À suivre.
Je
vous reparlerai du jeu des acteurs plus tard, mais là aussi, les choses
progressent. Presque tout le monde est désormais en ville et peut participer aux répétitions. Ça aide. Emmanuel Schwartz,
je vous le disais, a terminé sa tournée européenne de Littoral et les quelques
représentations de Ciels dans lesquelles il remplaçait Stanislas Nordey à
Paris. Alexis Lefebvre est de retour de la tournée d'Un peu de tendresse bordel
de merde. L'énergie des répétitions en est revigorée, et puis tout le monde
commence à chercher des moyens de travailler un jeu « désinvolte » et
à intégrer l'idée qu'ils doivent jouer leurs personnages à distance, comme des
acteurs au service d'une partition maintes fois recomposée. Ce n'est pas si
facile, car le texte demeure majoritairement composé de dialogues très
incarnés, en dehors des scènes de chœur qui, elles, sont plus narratives. La
première étape est de bien maîtriser les situations en jeu, avant de chercher
des moyens de les désincarner. Tout le monde cherche, cela dit, et c'est beau à
voir. Encore beaucoup de travail de table, parce que c'est avant tout un travail vocal et sonore, mais quelque chose se met doucement en place…
Une note
personnelle, en terminant. Il est bien difficile, vous le constatez sûrement en
me lisant, de demeurer l'œil extérieur dans ce processus. La formule que Marc
et moi avons choisie, qui met le dialogue au centre de l'expérience, me tient
très près du processus. Je ne vous cacherai pas que je m'exprime à l'occasion
en salle de répétition, même si je m'étais promis de n'en rien faire. Rien de
majeur. Des remarques anodines, des questions qui surgissent. Mais quand même, ça
montre que l'objectif de conserver une véritable distance critique n'est pas
facile à tenir dans le contexte. J'en ferai un combat de tous les instants.
LÉGENDES PHOTO
Photo 1: Louis Dufort
Photo 2: Emmanuel Schwartz et Iannicko N'Doua Légaré
Photo 3: François Blouin (scénographe), Marc Beaupré, Iannicko N'Doua Légaré et Emmanuelle Orange-Parent (de dos)
Photo 4: David Giguère et Ève Landry
Photo 5: Alexis Lefebvre (au micro), Iannicko N'Doua Légaré et Michel Mongeau (en arrière-plan)