Depuis quelques semaines, je me suis glissé dans la salle de
répétition de Caligula
Remix, adaptation et mise en scène de Marc Beaupré à partir de la
pièce
d'Albert Camus, qui prend l'affiche du Théâtre La Chapelle le 29 avril
prochain. Voici encore des échos de cette expérience d'observation, mais
surtout
d'échange entre un jeune metteur en scène et un jeune critique.
Le spectacle prend l'affiche dans deux semaines. Ça va vite. Il y a deux semaines,
tout était encore à l'état de chantier. Aujourd'hui, en très peu de temps, la
pièce est presque déjà présentable. Je l'ai déjà dit, mais je vais le répéter,
les conditions de production du théâtre québécois sont impossibles. Trop peu de
temps, trop de conflits d'horaires à cause des activités variées des acteurs et
pas assez d'argent, on le sait. (D'ailleurs, personne n'est payé pour les
répétitions de Caligula Remix et l'équipe ne recevra qu'une partie des profits
de la vente des billets, si profit il y a.) Mais quand le metteur en scène sait
ce qu'il veut, qu'il a l'esprit vif comme Marc Beaupré, et quand les acteurs,
habitués à ce rythme fou, font preuve de dévouement et de discipline, le
miracle est possible. J'ai l'air de faire dans la flatterie complaisante, peut-être,
mais croyez-moi c'est justifié.
Deuxième
enchaînement complet de la pièce, hier. Hormis quelques petits problèmes
techniques qui parasitent le travail d'Emmanuel Schwartz et lui causent
assurément quelques inquiétudes, tout va très rondement.
Les acteurs
sont-ils parvenus à ce jeu «désinvolte» que Marc aurait souhaité favoriser ? Pas
exactement, mais le nouveau dispositif scénique et les exigences du remixage
sonore placent les comédiens dans un état de tension entre leur personnage et
leur fonction de narrateur/choriste/bruitiste. Pendant les scènes de choeur, l'acteur
est en état de disponibilité et d'obéissance, répondant aux commandes qui lui
viennent de Caligula/Schwartz, ce qui lui demande une grande concentration mais
ne lui impose pas l'attitude et la fermeté d'un personnage incarné. Cet état semble
plus difficile à maintenir dans les scènes dialoguées, ou des personnages se
dessinent plus clairement. Mais à faire ainsi l'aller-retour entre l'état de
disponibilité et l'incarnation, parfois très rapidement, les acteurs se situent
clairement dans un niveau de jeu autre, qui n'est pas vraiment du non-jeu, qui
n'est ni réaliste, ni tragique, ni déréalisant, pas non plus tout à fait
désinvolte. Le bon qualificatif demeure à trouver. Je vais méditer là-dessus. Mais
c'est tout à fait réjouissant à regarder, et puis il est si rare que le jeu
soit à ce point bousculé dans le théâtre québécois contemporain que je ne peux
que m'en réjouir.
Emmanuel
Schwartz, aux commandes de sa console de son, vit la même tension. Les
manipulations sonores et l'orchestration du chœur lui demandent une extrême concentration,
pour ne pas dire une grande virtuosité, tout comme il doit redevenir par
moments l'empereur passionné et tyrannique, déterminé à soutenir sa logique absurde
jusqu'à sa limite. C'est lui qui doit faire l'aller-retour le plus fréquemment
entre les deux états de jeu, et il est par conséquent celui qui se rapproche le
plus d'une intégration des deux états en simultanéité. Vous vous doutez à quel
point sa partition est exigente. En si peu de temps, il a fait un travail
admirable.
En termes
strictement sonores, si la pièce ne révolutionne pas grand-chose et n'étonnera
peut-être pas les afficionnados du son (quoique je ne sais pas), j'ai été
frappé en enchaînement de la variété des utilisations des voix amplifiées. Création
de lieux et d'ambiances, distorsions et répétitions de certaines répliques
emblématiques, commentaires amusés ou critiques sur l'action en cours, les
manipulations sonores sont d'une grande richesse et permettront aux spectateurs
les plus allumés toutes sortes de points de vue sur le spectacle. Quand la voix
de la choriste Emmannuelle Orange-Parent chante en latin l'amour de Caligula et
Drusilla, c'est la dimension lyrique de la quête de Caligula qui est mise de l'avant,
même si Beaupré veut explorer cet aspect avec grande retenue. Tout ça sans
prétention et sans que ce ne soit emphatique, car la distance installée par le
remixage crée souvent des effets ludiques.
Parfois, le
micro devient l'oreille de l'autre, dans laquelle on chuchote quelques paroles
même si l'autre est physiquement éloigné. Dans ces moments-là, très rares cela
dit, on pourrait presque rapprocher le travail de Marc à celui du metteur en
scène Jérémie Niel, avec qui il a déjà collaboré et collabore toujours. C'est
fait dans un autre esprit, en dévoilant des ficelles que Niel s'attarde
toujours à dissimuler, mais tout de même… La séance de remixage de Caligula
peut aussi parfois ressembler à une séance de doublage cinématographique, mais
en bien plus signifiant, puisque chaque nouveau bruitage ou chaque nouvelle réplique
lancée au micro constitue un nouveau regard sur l'œuvre de Camus, ou alors une
recontextualisation qui va plus loin que la stricte redistribution des voix.
Je vous en
reparle très bientôt. Promis. Les choses bougent très vite à deux semaines de
la première, et je ne cesse de remodeler mon regard.
Sur les photos, de haut en bas:
Photo 1: Emmanuel Schwartz (Caligula), Eve Landry (Ceasonia) et Alexis Lefebvre (choriste)
Photo 2: David Giguère (Scipion) et Iannicko N'Doua (Hélicon)
Photo 3: Eve Landry et Alexis Lefebvre
Photo 4: Emmanuel Shcwartz (Caligula) et Mathieu Gosselin (choriste)
Photo 5: David Giguère (Scipion)
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