Avez-vous vu comme ça discute fort sur le blogue danse de ma collègue Fabienne Cabado ?
Bon, ils ne sont que quatre à converser, mais à partir des tables rondes de l'événement Recommandation 63 organisé par le chorégraphe et ex-critique Normand Marcy, la discussion s'anime sur les questions de l'intégrité de l'artiste et de son rôle social. Les artistes sont-ils animés de véritables idéaux ? Désirent-ils vraiment témoigner d'une vision du monde plutôt que de se replier sur leur univers immédiat ? Comment favoriser un dialogue courageux entre l'artiste et la société ?
Ce sont toutes des questions qui ont d'abord été abordées ici grâce à David Lavoie et sa proposition de produire un manifeste en réaction au dernier budget provincial et de réaffirmer par là l'inscription de l'artiste dans le tissu social.
Dans le milieu du théâtre, ces idées-là semblent faire leur chemin. Dans le milieu de la danse aussi. Et les cinéastes, en réagissant au culte de la performance et aux inquiétantes déclarations du président de la SODEC, me semblent s'aligner sur le même astre. Leurs revendications ont l'avantage d'être franchement plus médiatisées que celles des danseurs et gens de théâtre. Bernard Emond, entre autres, évoquait plus tôt cette semaine la responsabilité sociale du cinéaste (voir cette chronique de Marc Cassivi dans La Presse).
Si tout ce beau monde se parlait un peu plus, qui sait, le beau rêve d'un nouveau Refus Global deviendrait peut-être réalité ?
Dans l'un de ses commentaire sur le blogue danse, Emmanuelle Sirois se demande pourquoi ne pas inclure les intellectuels dans la discussion. Effectivement, ce débat de fond devrait se faire à plusieurs voix. Je ne vous cacherai pas que certains critiques de théâtre, dont ceux qui participent cette année au stage de critique avec Robert Lévesque à Ottawa, ont aussi un grand désir de prendre position contre la disparition de la pensée et du rôle social du critique. La réflexion de ce côté-là est trop embryonnaire pour que je vous en dise plus, mais ce sera à surveiller.
Bref, prolétaires de tous les pays, unissons-nous!
Bien que j’aie envie de voir les artistes de ma génération se compromettre par un Manifeste, je ne suis pas certain qu’elle soit prête à poser un tel acte fondateur.
Pour émettre un Manifeste, il faut assurément ressentir un besoin viscéral, celui d’exprimer quelques idées fortes qui ne trouveraient pas, autrement, un juste écho dans le monde.
Le récent débat qui a eu lieu sur le Blogue danse de Fabienne Cabado est un bel exemple, pour moi, de la difficulté que nous avons à jeter un pavé sur la place publique. Les mots »vrai », »total », »seul » et autres affirmations radicales sont vitement jugés dangeureux. Avant même d’en estimer le sens et la portée. Comme si nous craignions une montée insidieuse d’un totalitarisme ou d’un intégrisme au Québec. Totalitarisme et intégrisme que ma génération ne connaît que par médias interposés, récits historiques et autres procédés de mémoires, inévitablement en décallage avec la (vraie ;0) réalité. Procédés qui alimentent subreptissement la peur, au détriment d’un sentiment collectif de responsabilité.
L’individualisme est une peur exacerbée de l’autre. L’altruisme est rare.
En somme, j’observe ma génération avec un optimisme volontaire, mais je ne me berce pas d’illusions à court terme.
L’idéalisme collectif se relèvera certainement un (autre) jour!
Je salue l’initiative de Normand Marcy et sa volonté de ramener sur la place publique l’idée de rédiger un Refus global, disons, prise 2. Il est temps. Pour ce faire, il serait souhaité que l’action ne se limite pas qu’au seul milieu de la danse contemporaine et ne s’engage pas dans un débat stérile, déclenchant les passions acerbes. Cela ne ferait que tuer l’initiative dans l’œuf.
Quelles sont les questions fondamentales qui aujourd’hui refont surgir ce trop plein, cette grande désillusion, cette grande noirceur qui semble revenir nous accabler, cette déception, cette détermination à vouloir voir nos conditions de pratiques professionnelles s’améliorer ? États de faits que partagent nombreux praticiens, artistes actuels, las de veines batailles et de hurlements dans le désert ? Je n’ai nullement l’impression de détenir les réponses. Je souhaite simplement témoigner de mon questionnement survenu sur le terrain à titre de travailleur culturel.
Dans les années 80 et 90 le milieu des arts d’abord au Québec et ensuite au Canada s’est attablé à définir et à légiférer sur le statut socio-économique de l’artiste au sein de notre société. Dans un document que publiait la Conférence Canadienne des arts, ABC sur le statut de l’artiste un modèle pour les relations professionnelles dans la nouvelle économie créative, nous pouvons lire le préambule suivant :
« Il existe une école de pensée, en pleine croissance, selon laquelle les modèles économiques des pays développés seraient en pleine mutation. La nature même du modèle, passant d’une économie de type industrielle/grégaire à une économie basée sur l’information ou d’une économie du savoir à une économie créative. En contrepartie, le cadre de la politique publique demeure fermement ancré dans le paradigme d’une économie industrielle/grégaire dans lequel dominent les notions de relation employeur / employé et de carrière chez un unique employeur. Malheureusement, ces concepts sont désuets dans le contexte de l’économie créative.
Dans l’économie créative, un individu peut aisément opter pour le statut de travailleur autonome comme mode de travail, recherchant et retirant des revenus d’une variété de sources et d’activités reliées au processus créatif. De par la nature et la diversité des activités exercées, cet individu doit souvent s’investir dans une éducation continue ou parfaire sa formation professionnelle afin de maintenir son niveau de compétence avec les nouvelles technologies ou les médias pour soutenir ses activités de création et de subsistance.
Le défi confrontant les législateurs et les politiciens consiste à adapter le marché du travail à ces nouvelles réalités tout en encourageant la créativité et l’innovation alors que les transformations menant vers une économie créative sont en cours. Ces changements au marché du travail doivent également tenir compte des secteurs ne répondant pas aux nouveaux modèles, par exemple le secteur manufacturier et le secteur agroalimentaire. Ces défis ont été relevés aux niveaux fédéral et provinciaux, et le gouvernement du Québec a développé une série de mesures formant une politique du statut de l’artiste ».
En réponse à ces batailles et victoires d’un passé fort récent, je serais tenté d’affirmer : Grand bien nous fasse. Mais voilà, l’adoption de ces lois sur le statut de l’artiste n’a pas encore résolu entièrement la question. Loin de l’école de la rhétorique idéologique européenne et plus près d’une pensée économique américaine, le débat et la législation qui en résulte à porter principalement sur un rapport marchand, souhaitant ainsi répondre à l’urgent besoin de reconnaître les activités professionnelles de nos créateurs et de nos artistes. Ai-je besoin de souligner au double traits rouge que l’acte de création est beaucoup plus qu’une relation économique à nos contemporains ?
Parallèlement au Québec, l’école de pensée de François Colbert a fait son œuvre. Nous avons largement discuté les questions artistiques en termes « d’industrie culturelle ». Il ne faut pas en douter un seul instant. Il existe bien ici une industrie de l’art et de la culture de par le nombre toujours croissant de propositions artistiques qui nous sont offertes annuellement et d’un réseau d’équipements culturels dans lequel nous avons investi collectivement des centaines de millions de dollars afin d’implanter des structures de béton. L’apport des émules de l’école des Hautes études commerciales, a bonifié notre professionnalisme d’un point de vue organisationnelle et marchand. Mais nous n’avons pas encore assisté à l’éclosion systématique de directions artistiques dans nos centres de diffusion multidisciplinaires favorisant l’épanouissement des disciplines. Ils sont encore trop rares les centres qui effectuent un véritable travail de développement et d’éducation populaire. Heureusement ils existent des initiatives. Elles sont à féliciter. Mais majoritairement nous demeurons dans l’industrie du divertissement. Je n’ai rien contre. Je souhaite simplement plus.
Pour en revenir à l’acte de création, ne nous faudrait-il pas nous remettre à la table de travail et développer davantage cette notion du rôle de l’artiste au sein de notre société, de sa contribution et surtout de la compréhension de nos actions professionnelles par nos contemporains, de nos méthodes de création, des raisons qui nous motivent à se consacrer à cette carrière ?
Bien entendu, notre questionnement sur un statut économique et au cœur de nos revendications, mais à ce jour n’est-il pas d’abord question d’une reconnaissance sociale et le désir de manifestation d’un respect face à la profession ? N’aurions-nous pas un véritable travail d’éducation populaire à effectuer ? Ne sous-estimons pas l’intelligence du public. Sincèrement, je crois que c’est à nous d’entreprendre cette éducation et d’ouvrir les portes de nos ateliers, de nos imaginaires. Le simple mot artiste est actuellement un mot générique, un mot fourre-tout où se côtoie des pratiques fortes différentes, de la performance pointue à la variété, de la musique savante à la musique populaire, du peintre du dimanche à l’installateur, sculpteur. Ne serait-il pas temps de bien faire la part des choses entre le divertissement des foules et une contribution à l’évolution de l’imaginaire humain universel ?
Pour bifurquer et amener le débat dans une autre direction, je voudrais simplement témoigner du nombre de carrières, de talents qui ont été détruits ici. Effectivement, la pratique et le besoin d’assurer sa survie, le phénomène de l’élimination naturel, du « que le meilleur gagne » exigeant une santé à toutes épreuves et un système nerveux blindé, des nerfs d’acier, des conditions de travail qu’aucun travailleur n’auraient accepté dans quelques profession que ce soit, de la serveuse à l’ingénieur, auront eu raison de plusieurs. N’avez-vous pas, comme moi, été témoins quotidiennement des profondes remises en question de la part de nos artistes, souvent parmi nos plus renommés et toutes catégories d’âges confondues ? Combiens auront reçu une excellente, une savante formation dans nos meilleures institutions, auprès des meilleurs maîtres et auront été obligés de déclarer : j’abandonne n’ayant pu trouver ou maintenir leur niche ? Combien ?
Au fil du temps, au contact de nombreux artistes, je serai venu à considérer que nous délaissons, laissons pourrir une de nos plus grandes richesses naturelles : le talent, le savoir, la connaissance, l’intelligence.
En sommes-nous toujours à un questionnement identitaire ? Quelle est mon identité à titre d’artiste ? Quel est mon rôle ? Quelle est ma place ? Suis-je entendu ? Suis-je compris ? Qu’elle est cette volonté de m’inscrire dans les courants de l’histoire de l’art, de la danse, du théâtre, de la littérature ? À coups sûrs nous contribuons collectivement à l’histoire de notre civilisation marchande et nous éprouvons tant de difficulté à sortir de ce rapport économique, totalement légitime, mais trop souvent réducteur. Nous demeurons à la recherche d’une reconnaissance autre que narcissique, autre que l’idée romantique de l’artiste souffrant dans sa misère. Nous portons le souci d’apporter une véritable contribution à l’intelligence de notre société.
Aurions-nous peur de porter le débat hors de notre milieu artistique ? Le travail n’est plus à faire entre nous. Nous ressassons les mêmes litanies depuis tant d’années. Le Refus global, prise 2, oui en ce sens qu’il nous faudra porter un coup d‘éclat et interroger les pouvoirs publics et nos concitoyens. Comme Marcy, je préconise un Refus Global, mais en une performance collective. Je souhaite cette performance sortie de nos tanières, de nos antres théâtrales et de nos lieux de diffusion, de nos espaces réservés, de nos chapelles. Il faut prendre la place publique et créer un grand rassemblement pour sortir le débat d’entre les artistes et réveillés les conscience qui dorment au fonds de leur lit, puisqu’aucune personnalité politique actuelle ne semble comprendre ces enjeux liés au respect et à la reconnaissance que nous souhaitons voir poindre à titre de professionnels hautement spécialisés.
Auparavant, il faudra bien identifier les revendications. Pour avoir pratiqué, côtoyé, pour m’être dédié au développement de l’art en cette société, pour en avoir fait acte de foi, de patience et d’espérance, je sais que la liste de ces revendications est longue et risque d’être confuse à l’image de la complexité de ce débat. Il nous faudra peut-être établir un consensus et déterminer notre dénominateur commun. Les questions les plus simples sont parfois les plus difficiles à cerner. Nous retournerons inévitablement aux questions économiques et aux conditions favorisant le soutien du développement des carrières, puisque c’est de survie professionnelle, de reconnaissance dont il est question. Mais ne faudrait-il pas en amont débattre pour mieux faire saisir nos méthodes de travail afin de bien départager les étapes nécessaires entre la création, la production et la diffusion qui régissent les ressources financières actuellement disponibles aux soutien des pratiques artistiques ? Encore une fois, nous ouvrirons ici tout un autre débat. Est-ce que les programmes de subventions, dans leur cadre de juridiction actuel, répondent toujours à nos besoins ? Ne nous pousse-t-il pas trop rapidement dans des impératifs de production et à la confrontation publique d’un travail en développement ? Et ce public, avons-nous offert les clés permettant d’ouvrir les voies de la compréhension de nos démarches savantes ?
Et puis encore, la concentration des activités dans un marché restreint ? Tout se passe principalement à Montréal et Québec. La quantité de propositions est si importante lorsque nous observons toutes les disciplines rassemblées. Le travail n’a pas eu le temps de prendre son souffle, il est déjà retiré de l’affiche. Il vous faudra dès lors viser les marchés internationaux. L’œuvre est-elle suffisamment mature pour cette internationalisation ?
Ne nous faudrait-il pas abonder vers une véritable révolution culturelle et imposer une politique de décloisonnement et de développement à l’échelle du Québec ?
Finalement, pour ma part ce que je refuse de manière globale, et j’y reviens, c’est de voir mourir le talent qui s’est formé dans nos meilleures institutions collégiales et universitaires. En boutade, j’ai souvent questionné, mais pourquoi ne pas fermer quelques institutions de formation si cette niche professionnelle est trop restreinte ? Pourquoi ne pas contingenté ? Arrêtez de nourrir de vains espoirs ! Cela ferait l’affaire de certains qui pourraient abonder en ce sens. Loin de moi cette idée. C’était une boutade. Ce qui est à souhaiter par dessus tout, c’est de voir prospérer un Québec par sa richesse d’imaginaires électrisants à l’échelle nationale et internationale.
Place à l’intelligence, au développement de la pensée ! Non à l’assujettissement, aux règnes des lavages de cerveaux voués à la consommation à outrance ! Non au nivellement par le bas et à la fermeture de nos chaînes culturelles seules voies des intellectuelles, sans mot dire, sans rechigner, à peine quelques 300 000 personnes signant une pétition pour arrêter le massacre ! Laissons la tempête se noyer dans un verre d’eau, aux dires de la direction. Tout cela pour un remplacement d’un espace musique à gogo, temple supplémentaire du divertissement qui veut nous distraire de nos questionnements. Non à la fermeture de nos institutions pour nous réduire au silence, à la soumission. Place au choc des idées, simplement pour évoluer dans le respect et la compréhension d’autrui ! Place à la redéfinition de nos imaginaires ! Place au partage de nos richesses ! Place au respect du travail de nos pionniers qui ont lutté pour nous, pour faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui ! J’ai lu. À leur invitation, je me suis instruit. Je me souviens ! Je me souviens de ces luttes. Il nous faudra sans cesse les renommer. Allez, encore une fois courage ! Place à l’avant-gardisme ! Place aux artistes !