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Du TNM à Godard: droits d’auteur en liberté

Complexe, la question des droits d'auteurs dans un contexte d'œuvre collective…

Entre le groupe Audubon et le TNM, le conflit ne m'apparaît pas soluble. Même s'il ne semble pas que le collage Et Vian! Dans la Gueule ait fait l'objet d'un enregistrement officiel auprès des organismes responsables de la gestion des droits d'auteur et que dans ce contexte le TNM n'est peut-être pas légalement fautif, on peut supposer que Lorraine Pintal et Carl Béchard avaient l'obligation morale de prévenir plus tôt le groupe Audubon de leurs intentions.

En tout cas, heureusement pour le groupe Audubon, le TNM n'a pas été aussi désinvolte que le cinéaste Jean-Luc Godard, dont la définition de la propriété intellectuelle semble assez élastique, du moins si l'on se fie à ce qu'il raconte au journaliste des Inrocks dans cet entretien publié dans le sillon de l'actuel festival de Cannes. Godard affirme tout de go qu'un auteur «n'a pas de droits» et réclame le droit à «l'emprunt», comme il semble permettre aux autres de piger dans son travail.

C'est fort intéressant tout ça. Vous me direz ce que vous en pensez.

 

 

MISE À JOUR, mercredi 19 mai 19h44:

Après discussion avec l'avocat Georges Azzaria, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, il m'apparaît clair que les questions soulevées par ce débat entre le TNM et le groupe Audubon touchent à un aspect peu légiféré de la pratique théâtrale et qu'il n'est pas aisé de gérer les droits d'auteurs d'oeuvres collectives ou d'oeuvres de collaboration. Il ne semble pas exister d'obligation légale ou de mécanismes de reconnaissance des droits des différentes personnes impliquées dans un projet de création collective. Cela dit, il n'est pas nécessaire d'avoir "enregistré" ses droits auprès d'un organisme officiel pour les réclamer s'il est possible de prouver par des témoignages et des documents (coupures de presse ou autres) la prééxistence de l'oeuvre originale. C'est le cas ici, mais pour savoir si le collage est bel et bien l'oeuvre de Carl Béchard et non le résultat d'un processus collectif dans lequel chaque membre du groupe Audubon aurait fait sa part, il aurait fallu être dans la salle de répétition. Si le groupe Audubon n'a pas prévu, à l'époque, signer des documents dans lesquels chaque membre affirmerait sa participation au collage ou, au contraire, consentirait à en donner la paternité à Carl Béchard, nul ne saura jamais qui a raison. À moins d'un long processus juridique où des preuves seraient analysées en bonne et dûe forme…

Je doute qu'on en arrive là.
Le conflit va donc perdurer…

 

MISE À JOUR, jeudi 20 mai 15h25

Le TNM a-t-il ou non fait des changements majeurs au collage du groupe Audubon ? Si l'on se fie à la comédienne Marika Lhoumeau, qui était de la première version d'Et Vian dans la Gueule et qui est allé voir la production actuelle du TNM, "les changements sont cosmétiques. Carl Béchard nous dit depuis le début quil a modifié le tiers des textes, et ça me semble juste. Mais pour nous, ça ne change rien. Le coeur de l'oeuvre est le même, et il est clair que ce collage est une oeuvre collective que nous avons bâtie ensemble au cours des 600 heures de répétition, peu importe que le collage final ait été ou non coordonné  par Carl Béchard. Évidemment, on ne va pas se lancer dans un long processus judiciaire pour le prouver, car nous n'avons ni le temps ni l'argent pour mener une telle bataille. Il reste que de notre point de vue, le TNM a manque d'éthique en agissant comme il l'a fait, et on ne peut rien faire d'autre que de le redire. Cela dit, nous ne désirons pas adopter un ton violent et entrer dans les attaques personnelles. Ce n'est pas notre manière."

Cette histoire va donc en rester là. Mais, dans un sens, il est dommage qu'Audubon ne se rende pas jusqu'au tribunal, car il y aurait eu là un cas exemplaire propice à enrichir la jurisprudence québécoise. Sur la question du partage des droits d'auteurs d'oeuvres collectives, le droit québécois semble nager dans le flou. Il semble que ce dossier-là, si la Justice s'y penchait, constituerait un précédent et contribuerait à mieux sensibiliser les artistes à l'épineuse question des droits d'oeuvres collectives et la nécessité de protéger ses arrières.