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FTA 2010: Mon bilan

Quatre jours déjà que le FTA est terminé. C'est l'heure des bilans, après avoir pris un peu de temps pour décanter tout ça. Pour ce genre d'exercice, j'aime bien la formule Approuvé/Réprouvé, que je vous sers à nouveau cette année, en vous invitant bien sûr à commenter mes choix et à partager vos propres impressions de cette quatrième édition du Festival Trans-Amériques. 

APPROUVÉ

  • Tragédies Romaines, d'Ivo Van Hove et son Tonelgroep Amsterdam. Cette pièce, très attendue, demeure le sommet inégalé de cette édition. Une pièce d'envergure, s'élevant au plus haut de cette programmation théâtrale plus modeste que d'habitude. On remerciera Marie-Hélène Falcon d'avoir fait des pieds et des mains pour nous faire  voir cet incontournable spectacle dont il aurait été honteux de se priver. On sait qu'il a fallu une subvention spéciale pour réussir à accueillir cette pièce et son imposante scénographie, obtenue après les efforts acharnés de l'équipe du FTA, en collaboration avec le Carrefour international de théâtre de Québec. Heureusement, car la scène montréalaise est rarement bousculée par une si brillante relecture du répertoire shakespearien. Il est fort dommage qu'une telle pièce, accueillie à bras ouverts par les plus grandes scènes européennes, ait rencontré si fort l'obstacle du manque de budget avant de se rendre jusqu'à nous. La situation va-t-elle se reproduire chaque fois que le FTA désirera faire venir un spectacle européen de plus grande échelle que la moyenne? Ce serait dommage, car les plus grandes mises en scène actuelles sont souvent produites par des compagnies nationales ultra-subventionnées, qui ne rechignent pas à la démesure et dont on ne mérite pas pour autant d'être privé de ce côté-ci de l'Atlantique. Pour que parvienne jusqu'à nous les plus récents spectacles du suisse allemand Christoph Marthaler ou du polonais Kristof Warlikowski, par exemple, il faut que les organismes subventionnaires cessent d'être trop chiches. Surtout que ça n'arrive qu'une fois par année… 
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  • La mise en valeur de l'œuvre de Wajdi Mouawad. J'ai beau ne pas être convaincu par Ciels, pour des raisons qui vont de la mauvaise intégration des codes du thriller jusqu'au ton moralisateur du spectacle et à l'inutilité de la scénographie intégrant les spectateurs, Mouawad est un grand artiste, un poète grandiose dont j'admire plus que tout la rigueur et la capacité à créer sans compromis. La trilogie, que j'ai vue à Avignon, constitue une expérience rare. Je me réjouis aussi qu'elle mette autant en lumière les qualités que les défauts de l'œuvre de Wajdi, qu'elle nous permette enfin un regard moins complaisant sur son travail. Ses défauts, enflure, excès de pathos, émotions surfaites, récurrences stylistiques pas toujours réinterrogées ou réinvesties, ne méritent pas d'être passées sous silence. Ils sont d'ailleurs emblématiques du théâtre québécois et partagées par plusieurs autres auteurs d'ici, nous invitant à nous interroger sur les excès émotifs de notre dramaturgie. Chez Wajdi, toutefois, le formidable sens du récit, le regard vif sur la guerre et sur les filiations, le souffle épique, compensent largement.
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  • La main tendue à Jérémie Niel, metteur en scène brillant, rigoureux, cohérent, dont l'esthétique contemplative est tout à fait unique dans le paysage montréalais, et à qui le FTA a offert une plus grande attention publique et médiatique en programmant sa nouvelle pièce, Cendres. Il y a fort à parier que cette première reconnaissance majeure du milieu théâtral propulsera le travail de Jérémie vers de plus hauts sommets. Cendres, pour ceux qui l'auraient raté, reprend l'affiche du Théâtre La Chapelle la saison prochaine. Vous pouvez aussi relire le dialogue critique que ma collègue Aurélie Olivier et moi avons publié à ce sujet.
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  • Comme Alexandre Vigneault, de La Presse, j'apprécie les efforts fournis par le FTA pour transporter le théâtre dans la cité et réinterroger la place du spectateur. Les propositions de théâtre in situ n'ont pas manqué. Je n'ai pas eu l'occasion de toutes les expérimenter, mais voilà une manière intelligente de décloisonner et démocratiser les arts de la scène. Qui sait, dans un futur plus ou moins éloigné, le FTA pourra peut-être programmer tout une programmation extérieure gratuite en complément de ses spectacles en salle: déambulatoires, théâtre de rue, danse hors-les-murs. Il est permis de rêver. Loin de moi l'idée de suggérer au FTA de jouer dans les plates-bandes du festival de théâtre de rue de Lachine, mais sachant que ce type de créations foisonne et se développe à vitesse grand V en France, je me dis qu'il y a de la place pour tout le monde et qu'on est capables d'en prendre.
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  • Vous savez que je suis particulièrement préoccupé par la vitalité des partys du FTA, que dans mon esprit un festival ne s'envisage pas sans sa dimension festive et rassembleuse. Il y a encore beaucoup de travail à faire de ce côté-là pour le FTA. Le lieu (Agora du Cœur des Sciences de l'UQAM) est trop vaste, pas du tout chaleureux, presqu'invisible derrière les gros bâtiments de l'UQAM et les chantiers de construction. Je persiste à croire qu'il est du devoir du festival d'animer ce lieu en y faisant jouer des bands de la scène locale et en invitant des vrais djs, pas seulement des comédiens montréalais qui s'improvisent djs pour une soirée (le OFFTA l'a d'ailleurs fait pour son party de clôture en invitant le groupe Random Recipe à faire une prestation). Je sais bien que le budget, encore une fois, manque à l'appel. Pour cette raison, je serai indulgent et vous parlerai plutôt de la nette amélioration que j'ai ressentie cette année. Même si on est loin de la coupe aux lèvres, le QG m'a semblé un peu plus fréquenté, et ses trois grosses soirées (party d'ouverture, ipod battle organisé avec le OFF et party de clôture) furent mieux réussis que l'an dernier. On est sur la bonne voie. Faut pas lâcher.

 

RÉPROUVÉ

  • Beaucoup de déceptions cette année; le menu ne fut généralement pas des plus affriolants. Je ne vais pas détailler chacune de mes déceptions pour ne pas enfoncer le clou. Mais disons que la compagnie Lagartijas tiradas al sol, présentée comme la représentante fougueuse et avant-gardiste du «nouveau théâtre mexicain», a plutôt offert un théâtre documentaire tiède et maladroit. Même chose pour le Theatre Replacement de Vancouver, venu représenter la scène canadienne-anglaise avec une pièce anecdotique, superficielle, scolaire et désordonnée sur les contrastes de l'Amérique profonde. Si Sonia, d'Alvis Hermanis, et l'Effet de Serge, de Philippe Quesne, sont des pièces de grande valeur dont il faut reconnaître la qualité et l'importance, elles n'ont pas été à la hauteur des grands chocs théâtraux desquels on s'attend au FTA. Je suis conscient, toutefois, que le festival est aussi un haut lieu de risque et de rupture. Ces spectacles, inachevés ou moins fracassants que ceux des metteurs-en-scène-vedette, méritent pleinement leur place au soleil. Seulement, je ne suis pas certain que l'équilibre fut atteint cette année. Il ne faudrait pas que le bateau tangue trop d'un côté plus que de l'autre, il me semble…
  • Je sais que le FTA a sa personnalité propre. Qu'il a le devoir de porter un regard sur l'Amérique, même sur l'Amérique latine, et de favoriser un grand nombre de coproductions québécoises. Je ne voudrais pas que le FTA ne devienne qu'une pâle copie des autres festivals internationaux en se contentant de reprogrammer les succès d'Avignon, du Festival d'Automne à Paris, du Kunsten (Bruxelles),  ou du Spill (Londres). Mais, tout de même, le FTA est le digne équivalent québécois de ces gros festivals d'arts de la scène, et presque le seul moyen pour le public québécois d'avoir accès aux grands noms de la mise en scène occidentale. Je me désole donc de l'absence de plusieurs incontournables qui tournent en ce moment partout ailleurs que chez nous. Verra-t-on un jour la trilogie Paradisio-Inferno-Purgatorio de Romeo Castellucci ? Ou les deux plus récentes pièces de Jan Lauwers ? Pourquoi pas une visite du Wooster Group de New York ? Ou le dernier Claude Régy, le dernier Guy Cassiers, ou la plus récente provocation de Rodrigo Garcia ? Et même un retour du Brésilien Enrique Diaz, qui, depuis Seagull Play (vu au FTA en 2007), tourne vraisemblablement en Europe avec deux nouvelles pièces. Ou Toshiki Okada, représentant du «nouveau théâtre japonais» ? Et Robert Wilson ? Et la compagnie flamande Tg Stan ? Bon, bon, je vais m'arrêter parce que je sais bien que toutes sortes de bonnes raisons empêchent le FTA de programmer tout ça, et parce que les prochaines années nous réservent assurément de très belles surprises, et aussi parce que je sais que Marie-Hélène Falcon n'a pas besoin de moi pour faire de formidables découvertes. Mes suggestions sont d'ailleurs assez cliché; j'ignore encore tout d'un très grand nombre de créateurs contemporains qu'elle a la chance de croiser dans plusieurs théâtres du monde. Mais voilà. Pour moi, le FTA doit occuper ce créneau-là. Celui d'être le passeur québécois, et souvent nord-américain, de toutes ces esthétiques radicales et excitantes qui ne se rendent pas souvent jusqu'à nous.

 

Et un mot sur le OFFTA

Que dire sur le OFF? D'abord, que j'y ai vu beaucoup de danse, un peu de performance, pas énormément de théâtre au final. Et ce, par conflit d'horaire, mais également parce que le OFFTA s'affirme de plus en plus comme un festival interdisciplinaire. C'est fort intéressant, et il me semble que le OFF parvient mieux que le FTA à mélanger les publics de chaque discipline dans une même salle. Simple question de perception, peut-être, mais la formule des programmes doubles privilégiée par le OFFTA y est aussi pour quelque chose. Évidemment, il faut être prêt à prendre des risques quand on fréquente le OFF: les spectacles sont souvent encore en chantier, hésitants et échevelés malgré leur grand potentiel.  Le danseur Frédéric Tavernini, par exemple, a proposé une courte pièce qui ne m'a pas semblé totalement aboutie. Même chose pour Gaetan Nadeau avec son solo Personal Jesus, une pièce repêchée dans la saison du Théâtre La Chapelle et qui mérite encore d'être beaucoup retravaillée pour atteindre son sommet (elle le sera d'ailleurs avant d'être présentée aux spectateurs du Théâtre français du Centre national des arts d'Ottawa en octobre prochain). Remarque générale: sans qu'il ne doive se dénaturer, j'ai le sentiment qu'en programmant plus de spectacles de plus grande envergure, le OFF s'arrimerait mieux au festival TransAmériques et pourrait mieux profiter du climat effervescent dans lequel baigne ses spectateurs. Pour l'instant, tous ne semblent pas curieux du OFF. Il ne manque presque rien pour propulser le festival à un autre niveau.

C'est une très bonne idée, par exemple, de permettre la reprise de certains spectacles qui ont fait du bruit pendant la saison. Je suis retourné voir Chroniques, d'Emmanuel Schwartz, avec grande joie. La salle n'était pas pleine, et c'était fort dommage étant donné l'exigence et l'intensité de jeu que ce spectacle demande aux acteurs. Mais il y a là un créneau que le FTA n'occupe pas: celui de faire revivre des productions québécoises qui, autrement, seraient mortes, leur donnant une seconde chance de rencontrer un nouveau public et d'attirer l'attention de nouveaux diffuseurs.

Très bonne idée aussi d'avoir confié l'animation et la coordination de la soirée d'ouverture à Olivier Kemeid, selon la formule du Cabaret CLIM (Cabaret libre international de Montréal). Par là, le OFFTA a évité l'aspect brouillon et chaotique des cabarets des dernières années. Sous la barre de Kemeid, et sous le thème des accommodements déraisonnables, la soirée fut cohérente, politisée, caustique et intelligente. Et drôle. Hilarante, même. À recommencer.