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Avignon 2010: des nouvelles de Guillaume Girard

Pendant que Montréal devient complètement cirque et entre dans le délire avec le Zoofest et Juste Pour Rire, tout
le milieu théâtral français et européen, pour ne pas dire occidental, tourne
ses œillères vers le festival d'Avignon. Là-bas, exit le rire léger, sauf dans
quelques salles du OFF où les comédies de théâtre privé font la loi. Histoire
de prendre des nouvelles de Provence, j'ai joint le comédien québécois
Guillaume Girard, qui joue dans la pièce Un nid pour quoi faire, d'Olivier
Cadiot
, artiste associé du festival cette année (avec le metteur en scène
Christoph Marthaler).

Un nid pour quoi faire marque une nouvelle collaboration
entre Olivier Cadiot, poète et romancier au style très sonore et au verbe
libre, parfois décousu ou déréglé, et le metteur en scène Ludovic Lagarde,
connu pour faire un théâtre de texte dans lequel les mots jaillissent et impriment
leurs marques avec persistance, de manière quasi performative, et souvent par
le biais d'un travail sonore approfondi. Lagarde, dont on a pu voir la pièce
Fairy Queen à Montréal en 2005, a d'ailleurs développé des liens durables avec
l'Espace Go (c'est dans ce contexte que Guillaume Girard l'a d'abord rencontré).
Cette nouvelle pièce, une production d'envergure, d'une dramaturgie peut-être
plus incarnée, montre les tribulations d'un roi et sa cour en exil à la
montagne, mais surtout ses démêlés avec ses conseillers en communication et ses
faiseurs d'image. Pièce politique, donc, forcément très critique, mais aussi
loufoque et bédéesque, si l'on en croit les critiques du Figaro, du Point, du
Monde et du Nouvel Observateur.

Mais voici plutôt ce que Girard m'en a raconté lors d'une
très sympathique séance de clavardage, que je vous propose de lire en intégral,
dans son aspect brut et fragmentaire, mais authentique.

 

Parathéâtre: Cher Guillaume, je commencerai notre
petite conversation en citant Ludovic Lagarde qui, dans un entretien accordé à Antoine
de Baecque du festival d'Avignon, dit que "ce texte d'Olivier Cadiot impose
de croiser énormément de genres, sans se situer précisément dans un seul et
unique: le burlesque, le boulevard, la cérémonie d'apparat, la scène de
ménage, le rituel de cour, l'orgie, le film de montagne, etc.». Il dit aussi que
«les acteurs, d'une certaine façon, ne
savent plus où donner de la tête"
À partir de ton expérience personnelle sur ce spectacle, peux-tu préciser ce qu'il
entend par là ?

D'abord, comme tu le sais peut-être, Olivier Cadiot est un poète qui écrit des romans
(dont la langue se rapproche d'une certaine oralité qu'il traffique, qu'il
réinvente) et en collaboration avec Ludovic et éventuellement Laurent
(Poitrenaux, l’acteur principa), une dramaturge et le reste de la bande
d'acteurs, ces romans sont adaptés pour la scène. Ça fait en sorte qu'a lieu
une réelle aventure – un travail de recherche pour «organiser» le texte et en
faire une pièce de théâtre. Ludovic a littéralement découpé des exemplaires du
roman de Cadiot en atelier et a par la suite distribué les répliques selon son
humeur, selon ce qui lui semblait juste. Ça donne un texte mystérieux,
inabouti, sur lequel on doit continuer de travailler. Il constitue en quelque
sorte un mystère, un genre de code qu'il faut démystifier. Comme acteur, je
découvre une langue inventée, un texte inscrit profondément dans la culture
française, une pièce dont les référents me sont inconnus… Avec Ludo et les
autres, il faut comprendre comment on va rendre intelligible ce texte-là. Quel
ton il va falloir adopter. À quel moment il est juste de le jouer comme un
drame réaliste ou une comédie plus décalée.  On travaille, on cherche… On fait des
lectures, on se trompe, on essaie. Puis à un moment donné, une forme de
justesse se dessine au loin. 

C’est donc un travail d'acteur à la fois
organique, sur le plateau, mais aussi très intellectuel, plongé dans le texte
et le questionnement de la forme ?

Oui. D'abord un travail intellectuel. À table. Avec
tout le monde. Un premier débroussaillage. Un moment où (en ce qui me concerne)
j'étais plongé dans un épais brouillard

À cause de référents obscurs de la culture française,
ou à cause du manque d'habitude avec ce genre de travail textuel collectif ?

À cause de la langue étrange. La langue que Cadiot
invente. À cause de la précision des référents. Aussi, à cause de la tonalité qu'il
faut trouver.  Je pense que c'est ce dont
Ludo parle. (pour en revenir à ta question) C'est une comédie, mais une
tragédie, mais un boulevard aussi, un peu bédé, mais avec des personnages qui
sont drôles à leur insu, comme dit Ludo

Justement. Quel jeu cela vous impose-t-il? Je n'arrive
pas à cerner si ça vous demande de passer sans arrêt d'un niveau à l'autre, ou
si vous êtes plutôt dans une sorte de distance qui permet à toutes ces
tonalités de, en quelque sorte, "glisser" sur vous ?

Bonne question. Je pense qu'il s'agit du principal
défi pour nous: incarner justement l'univers étrange et très décalé créé par
Olivier. Il s'agit (je pense) de jouer des personnages «monstrueux» (au sens de
plus grands que nature) mais avec sincérité. Des personnages qui disent ou qui
incarnent des énormités, mais sans trop s'en rendre compte. Ils sont fascistes,
racistes, extrêmement conservateurs, sclérosés, immergé dans des rituels
inutiles, mais -bien sûr- ne le réalisent pas.

Revenons à la langue réinventée d'Olivier Cadiot. Elle
t'a d'abord semblée obscure, ou disons "opaque". Quel rapport as-tu
ensuite développé avec cette écriture ? Comment tu la décrirais aujourd'hui,
comment as-tu fini par l'apprivoiser ?

Pour moi, ça a pris beaucoup de temps à comprendre
que cette écriture fuyante conçue pour la littérature, pleine d'expression
colorée, faite d'une suite de petits événements presque autonomes, doit
s'inscrire dans le concret. Aujourd'hui, je l'ai apprivoisée, je vois mieux ce
qu'elle veut faire sur la scène.  Aussi,
comme tu le sais, dans la pénombre de la salle de répétition, des codes se
créent, des conventions se bâtissent et on détermine lentement ce qui sera
juste, bon, souhaitable, etc. Au fil du temps, j'ai appris à mieux discerner ce
que Ludo attend de ses acteurs. Ce qu'il juge convenable, ce qui le fait chier,
etc. Le travail de mise en scène et d'écritures dans notre cas, sont très
intimement reliés, il s'agit de deux amis, qui travaillent ensembles et qui se
sont en quelque sorte construits dans le même… élan. Olivier n'est jamais
loin même si le travail de Ludo finit par s'affranchir complètement du geste
d'écriture de Cadiot. Il finit par donner un nouveau corps au texte, ou une
nouvelle voix.

N'y avait-il pas, dans les spectacles antérieurs de
Ludovic Lagarde, un travail vocal particulier, cinématographique, avec amplification
sophistiquée des voix ? Vous n'êtes pas tout à fait dans ce registre-là cette
fois-ci si je comprends bien?

T'as raison, parmi les obsessions de Ludovic, il y a
une volonté de systématiquement amplifier les acteurs dans ses spectacles. Je
pense qu'il tient à ce que ses interprètes puissent naviguer dans plusieurs
types de registres vocaux et c'est encore le cas dans le «Nid», si ce n'est que
dans notre cas, il y a peu d'effets. On est juste amplifiés. Ça fait que malgré
l'ampleur du dispositif, malgré les grandes salles, on peut passer du murmure
aux grands éclats. David Binchindaritz, un collaborateur depuis plusieurs
spectacles de Ludo, nous surveille de sa console et travaille très fort tout le
long du spectacle, pour éviter qu'on fasse pèter les speakers… Donc oui:
encore (et sans doute toujours) un travail d'amplification de la voix. Ludo
dessine des tableaux plus intimes et parfois plus… intenses… plus amples.
Il se sert de ça pour changer les ambiances… les tonalités…

Alors, pour terminer en beauté, parle-moi un peu
d'Avignon, moi qui ne peux y être cette année. C'était la première hier, et je
suppose que jouer au festival vous place dans une énergie particulière.
D'autant que tu y es pour la première fois.

Avignon, dans l'histoire de notre spectacle, a toujours été
une borne, je pense. On y a souvent fait référence de mille façons. «Tu vas
voir, quand on va être à Avignon…». «Il faudrait que d'ici Avignon, on ait
réussi à dénouer tel noeud, à solutionner tel truc». Tout a été en quelque
sorte bâti en prévision du festival. Si je comprends bien (et même si ça fait
deux ans qu'on travaille ponctuellement sur le show…), la vie du spectacle se
joue un peu ici. Le milieu du théâtre français est réuni ici l'espace du
festival. La ville se transforme en carnaval du théâtre, est prise d'assaut par
une tonne de spectacles de toutes natures (j'inclus le off parce que de toute
évidence, il fait partie intégrante de l'expérience). Pour moi, c'est beau, c'est
chaud… C'est le fun. Je prends des cafés sur des terrasses à l'ombre des
platanes… Je récolte vingt flyers par jour pour des spectacles un peu louches.
Avignon, c'est un grand château à ciel ouvert, très très bien chauffé et
l'ambiance est bonne. Hier soir, on a fait notre party de première dans le
jardin, derrière le palais des papes, c'est complètement irréel, c'est
démesuré… En ce qui concerne l'ambiance au sein du groupe, ça va bien. Du
côté des acteurs, malgré l'énorme pression exercée sur eux (beaucoup plus que
sur moi), la première a été abordée dans la détente. Le fait d'avoir joué le
spectacle quelques fois en France cette année a sans doute aidé. L'énergie
était bonne, saine. Ça été simple. On a joué le spectacle. Tout a été. J'en
suis sorti un peu… étonné… c'était ça. C'était juste ça. Comme à Poitiers,
au fond, comme ailleurs. On rit aux mêmes endroits… L'expérience est pleine
des même sensations… Après, ça reste hallucinant… inespéré, complètement en
dehors de ce que j'imaginais qui allait m'arriver.

 

 Crédit photos: Christophe Raynaud de Lage, festival d'Avignon