L'Espace Libre porte bien son nom. Il faut souhaiter de tout cœur que les artistes puissent continuer à y créer librement. Car la liberté, quand elle s'accompagne de rigueur et de responsabilité, est le meilleur moyen d'avancer, d'exister, de s'exprimer, de vivre ensemble.
Philippe Ducros, nouveau directeur artistique de l'ancienne caserne de la rue Fullum, est un artiste précisément façonné de cette matière-là: liberté, rigueur et responsabilité.
Je n'étais pas au lancement de la nouvelle saison d'Espace Libre plus tôt cette semaine, mais permettez-moi tout de même de profiter de l'événement pour discuter un peu de liberté et de responsabilité artistique.
Olivier Kemeid, qui lègue son siège à Ducros, est lui-même un formidable libre-penseur, certes un homme de théâtre, mais surtout un intellectuel à l'esprit alerte et à l'humour vif. Pour toutes ces bonnes raisons, je me réjouis de sa décision de quitter le navire Espace Libre. Il y faisait du très bon boulot, mais je serai très heureux de le retrouver dans d'autres souliers: ceux de l'auteur dramatique, dans lesquels il mérite d'être mieux reconnu; ceux du polémiste et du penseur, dont on retrouvera la plume acerbe et avisée dans la revue Liberté (il est membre du comité de rédaction); et ceux du comédien, qui, semble-t-il, cherche à se faire voir et entendre davantage. Loin du tumulte de l'administration d'un théâtre, parions que l'Olivier Kemeid artiste et penseur en mènera bien plus large. Pour notre plus grand bonheur.
Philippe Ducros, lui, me semble être arrivé à une étape où sa pensée et son engagement pourront parfaitement rayonner dans le cadre même de cet «espace libre», et percuter l'intérieur même des murs de ce théâtre sans pour autant s'y cloisonner. Ducros est un artiste politisé qui s'est donné la liberté d'aborder des sujets graves et tabous, un débatteur et un combattant qui saura assurément faire de l'Espace Libre un lieu de théâtre et d'art, mais également un lieu de débat et de réflexion. Kemeid le faisait aussi, mais peut-être le faisait-il mieux sur d'autres tribunes. Si Ducros n'hésite pas non plus à accompagner son art de prises de parole publiques dans les médias (et c'est essentiel), je suis persuadé qu'il réussira à faire de l'Espace Libre un vrai lieu de pensée et de parole. Et, qui sait, à y faire venir de nouvelles voix, peut-être même des voix rarement entendues sur nos scènes de théâtre. Car voilà l'une des forces de Ducros, l'un des chemins qu'il a choisi pour exercer sa rigueur et sa responsabilité artistique: celui de faire dialoguer fortement le théâtre et la société.
Bref, je suis rempli d'espoir.
Et je souhaite à Philippe Ducros de trouver là un espace d'épanouissement et d'éveil. Nous en serons tous gagnants.
Je lui souhaite aussi d'oser les remises en question les plus difficiles s'il le faut, car il me semble qu'Espace Libre, malgré ses audaces et ses libertés, traverse une époque plutôt tranquille…
Lorsque j’aligne les trois derniers directeurs artistiques d’Espace Libre – Anne-Marie Provencher, Olivier Kemeid et Philippe Ducros – ce théâtre me semble poursuivre une éclosion remarquable. Un temps pour mûrir l’art. Un temps pour l’éloquence érudite. Un temps pour l’engagement politique. Et toujours une légère démesure, qui me fait pleinement apprécier la forte personnalité de chacun de ces directeurs.
Beau défi pour le dernier en lisse, Philippe Ducros, qui sera forcé de délaisser quelque peu sa plume d’auteur pour s’investir dans son nouveau rôle. Mais ce rôle lui sied fort bien. Et je suis ravi de trouver à la tête d’un théâtre un tel passionné de politique nationale et internationale. Cet homme pourra sûrement être téméraire, et je lui souhaite de telles audaces, en cette époque sans risques et toute en calculs.
Quant à savoir si Espace Libre traverse une période tranquille… la question elle-même me surprend! Et je la poserais sur le champs à d’autres, du moins le temps de voir ce que nous fomente Ducros!