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Engagez-vous, qu’ils disaient!

Elle est complexe la question de l'engagement de l'auteur et de l'artiste de théâtre dans sa société.

En table ronde hier sur la scène du Quat'sous, dans le cadre de Dramaturgies en dialogue, j'en discutais avec les auteurs Carole Fréchette, Etienne Lepage et Christian Lapointe. Ça a été un peu dans tous les sens, peut-être, mais j'ai le sentiment que ce fut intéressant et que plusieurs questions importantes furent posées. Vous y étiez? Vous pourrez me dire.

Pour moi, c'est clair, les artistes ont une parole sociale à porter, si possible directement dans leur art, mais idéalement aussi dans l'espace public, en dehors de leur oeuvre, en complément de celle-ci ou simplement comme observateur sensible du monde. Un artiste, du moins un artiste de théâtre qui jongle constamment avec les mots, la pensée, les sentiments, le vivre-ensemble, a toujours un regard sur le monde, un certain sens du collectif. Le théâtre, dans sa constitution même, suppose une prise de parole, qui s'accompagne donc d'une responsabilité sociale, même si cette parole est de l'ordre de l'intime. Responsabilité de s'adresser à ses contemporains donc, mais qui ne doit pas entraver la liberté de parole – et c'est bien parce que les auteurs de théâtre sont encore parmi les artistes les plus libres du monde culturel que leur parole est importante et mérite d'être mieux entendue dans l'espace public.

Mais cette vision de l'auteur le range-t-il d'emblée parmi les intellectuels? Faut-il être intellectuel pour être auteur? C'est Etienne Lepage qui pose la question, lui qui ne partage pas totalement ma vision des choses et voudrait que son art ne soit pas nécessairement un acte d'engagement. Il n'est pas pour autant un jeune homme désensibilisé aux questions sociales, seulement l'expression de ses préoccupations sociales ne lui paraît pas appartenir en propre au champ du théâtre, dont la nature est plus obscure, souvent de l'ordre de l'indicible et de l'ambigu. L'écriture dramatique, pour Etienne Lepage, échappe à la nécessité d'une parole sociale. Et la prise de parole publique serait de nature plus intellectuelle que théâtrale.

Peut-être, mais j'avoue avoir peu d'affinités avec un théâtre spécifiquement théâtral qui n'aurait rien à voir avec l'intelligence et la pensée.

Ce qui ne signifie pas que le théâtre doive se muer en entreprise de propagande et aborder toujours de front des thématiques sociales et politiques, ni que seul le fond compte dans une prise de parole engagée – la forme peut en dire tout autant. Ce qui compte, au fond, c'est la pensée, le regard porté sur le monde, le désir de l'artiste de se positionner face à sa société. Il y a autant de manières de le faire qu'il existe d'auteurs.

Seulement, l'auteur peut-il échapper à l'intellectualisme? Cessons d'en avoir peur de ce foutu intellectualisme. D'autant que les universitaires, parce que surspécialisés et donc terrorisants pour certains médias, n'occupent pas la portion d'espace public qui leur revient. J'aimerais bien, moi, voir une partie des artistes occuper ce territoire, comme à la belle époque du Refus Global ou des utopies des années 70, mais en version actualisée. C'est peut-être un voeu pieux, peut-être de la nostalgie d'une époque que je n'ai pas connue et que je me plais à idéaliser. Je n'en sais rien.

Vaste débat, que j'exprime ici de façon un peu brouillonne, sans avoir trop décanté les propos d'hier soir. Vos commentaires sont les bienvenus, on y fera de l'ordre et du sens ensemble.