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L’Opéra de Quat’sous fait jaser

Dans mon casier cette semaine aux bureaux de Voir m'attendait
une lettre.

J'y reçois souvent des communiqués, parfois des livres.

Mais c'était une lettre cette fois-ci, rédigée par une
lectrice qui avait pris le temps de me signifier par écrit son désaccord avec
ma critique de l'Opéra de Quat'sous, et de mettre sa lettre à la poste, à l'ancienne.
La lettre n'était pas manuscrite, par contre, ce qui m'a presque déçu. Mais
puisque cette lectrice, Laurence Lemann, s'est donné autant de mal, je vous
partage des bribes de sa lettre.

Cette lectrice, une québécoise vivant à Bruxelles, me dit
avoir vu de nombreuses productions de L'Opéra de Quat'sous, «celles de Richard
Foreman à New York, Peter Wood à Londres, Günter Krämer à Berlin, John Dexter à
New York, Carley Perloff à San Francisco,  Giorgio Strehler à Paris, Ulrich Waller à
Hambourg et Robert Wilson à Paris cet automne.» Cette dernière production, me
dit-elle, je l'aurais détesté. Elle en est convaincue à lire mes commentaires
sur la mise en scène de Robert Bellefeuille au TNM.

Je n'en suis pas si convaincu. Et franchement, la démarche
rigoureuse et esthétiquement très forte de Wilson ne se compare aucunement à la
mise en scène très sommaire de Bellefeuille – d'ailleurs les conditions de
production de ces deux spectacles n'ont rien à voir. Je n'ai pas encore vu celui
de Wilson, mais je connais assez le travail du maître américain en général pour
savoir qu'il y a là 2 poids, 2 mesures.

Mais revenons à Laurence Lemann, qui me dit que la mise en
scène de Bellefeuille et celle de Wilson «remportent haut la main la palme des
réussites.»

Elle m'écrit :

«L'esprit de l'opéra de 4 sous, son ironie mordante, son
humour et son côté sarcastique, cette absence d'illusion qui va jusqu'au
cynisme, le glissement perpétuel du sentiment humanitaire à la cocasserie, tout
autant que la couleur poétique qui étend son charme sur l'œuvre avec une grâce
suffisante pour en faire passer sans effort le didactisme: tout cela, Monsieur
Bellefeuille l'a rendu à merveille, sur un rythme martelé comme il convient.»

Je n'ajouterai rien à cette affirmation, mais je suis
heureux que ma critique ait donné envie à quelqu'un de répliquer. Qu'elle
permette un début de débat, de dialogue.

Une chose, par contre, Madame Lemann. Vous prétendez
que mon «jeune âge» ne m'a «probablement jamais permis de voir une production
new yorkaise style Broadway pauvre de l'Opéra de Quat'sous» et que le spectacle
de «Bellefeuille ne ressemble en rien à cela.» Quel argument fallacieux. Puisque
je suis jeune, je n'ai rien vu, rien connu, et je devrais me taire. Certes, je
serai un critique vraiment accompli dans quelques années, puisque ce métier se
construit sur le long terme, sur la base d'expériences spectatorielles diverses
et de lectures multiples. Mais mon jeune âge ne me dispense pas de connaître
les références que j'évoque dans mes textes – et par l'expression «Broadway
pauvre», je faisais référence à la dimension spectaculaire de la mise en scène
de Bellefeuille, indéniable même si camouflée par une illusion de «pauvreté» et
de théâtralité exacerbée.

On peut bien sûr être en désaccord avec ma perception. C'est
la beauté du théâtre. La réflexion sur cette pièce pourra en tout cas se
poursuivre dans les prochains mois, car le Trident, à Québec, nous prépare une
production pour avril (mise en scène de Martin Genest) et Brigitte Haentjens s'y
mesurera en 2012 à Ottawa. Je crains fort qu'au jeu des comparaisons, le
spectacle du TNM ne sorte pas gagnant. Mais ne soyons pas de mauvaise foi. C'est
une occasion rare pour les spectateurs d'ici d'approfondir une œuvre sur trois
mises en scène – l'une des joies du théâtre de répertoire.