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Ecrire comme dans un cri

Mardi matin. Je termine à peine la rédaction d'une entrevue
avec le metteur en scène Sylvain Bélanger, que vous pourrez lire dans le
prochain numéro de Voir. C'était à propos de Yellow Moon, la ballade de Leila
et Lee
, pièce de l'écossais David Greig que Bélanger met en scène pour le Théâtre
de la Manufacture (à l'affiche dès le 5 novembre).

Mais, bien attablés avec nos cafés au lait, Sylvain et moi n'avons
pas seulement discuté de Leila et Lee. Car Sylvain fait partie de ceux qui, l'an
dernier, avançaient l'idée d'écrire un manifeste pour dénoncer le budget
Bachand, entre autres. Il est de ceux qui cherchent à redonner à l'artiste son
rôle social; il en fait une préoccupation de tous les instants. On a discuté
nationalisme et politiques culturelles, parce que, dit-il,  «il ne faut
pas s'étonner de la place de la culture dans cette société quand nous avons dit
oui, un jour, à ce curieux baptême de notre communauté culturelle qui faisait
de nous des représentants de l'Industrie Culturelle. Dire oui au terme Industrie
Culturelle
, c'était se tuer.» Je partage ce constat. Le théâtre québécois s'est
enlisé dans les chiffres et les promesses de rentabilité au lieu de se questionner
sur son contenu artistique. C'est inévitable mais c'est devenu à ce point la
norme qu'on ne s'en étonne plus et qu'on ne lutte plus.

Mais, écrire un manifeste, vraiment, à quoi ça servirait?
Rien n'est encore fait, parce que, sans doute, subsiste l'impression qu'un
manifeste atterirait dans un vide et un silence sidérants.

Il y a quelques mois, je participais à un laboratoire sur la
critique de théâtre à Ottawa avec Robert Lévesque. De discussions en
discussions, notre petit groupe de jeunes critiques a fini par affirmer son
idéal de la critique, à dire son refus d'une critique se mettant au service de
l'idéologie marchande, à énoncer sa crainte de voir la critique disparaître, à
rêver d'un engagement concret et entier en faveur de ce métier. L'évidence nous
a frappé: il fallait écrire un texte pour dire haut et fort devant le vaste
monde cet idéal qui nous anime. Mais un manifeste? Trop engageant. Personne d'entre
nous ne se sentait apte à défendre au quotidien, dans ses gestes comme dans ses
paroles, les principes utopistes que nous voulions mettre sur papier. Sommes-nous
lâches? Peut-être, mais nous vivons surtout dans une époque où ce genre de coup
d'éclat n'a pas de valeur, et surtout nous doutions nous-mêmes de notre capacité à respecter véritablement les principes de notre manifeste. On s'est dit qu'on gagnerait davantage à essayer de
pratiquer convenablement la critique dans nos médias respectifs, à essayer d'élever
un peu le standard à petits feux, malgré les contraintes d'espace, de temps, d'argent.
Pas de manifeste, pas de grand soulèvement. Mais de l'espoir, quand même, et des promesses de travail acharné.

Nous avons tout de même écrit quelque chose. Une sorte de déclaration de principes, un «petit lexique critique conçu par des optimistes réalistes". Vous y trouverez, pêle-mêle, nos observations sur la pratique de ce
métier, l'affirmation de nos idéaux critiques, les doutes et les
questionnements éthiques et philosophiques qui viennent avec, et de nombreuses
déclinaisons de notre grand désir de voir la critique reprendre du galon. Cest
publié dans le plus récent numéro de L'Oiseau-Tigre, publication du Théâtre
français du Centre National des Arts. Le lien vers la version pdf est ici (c'est
le numéro de septembre 2010, en page 115.)

Vous trouverez aussi dans ce numéro, en page 11, le Rebut
Total
de Christian Lapointe. Car en voilà un qui ne craint pas les manifestes.
Dans le Rebut,  lointain dérivé du Refus Global, Lapointe et ses cosignataires
(notamment Evelyne de la Chenelière, Mani Soleymanlou, Emmanuel Schwartz et
Dave St-Pierre) affirment une vision critique du monde et dénoncent le
populisme et les valeurs mercantiles dominantes. Un cri qui fait du bien à
lire. Vous le trouverez aussi ici, sur le site web du Théâtre Péril.

Bonne lecture.