Le printemps dernier, je m'installais chaque jour dans la salle de répétition de Caligula Remix et j'observais travailler le metteur en scène Marc Beaupré et ses comédiens. Vous vous rappelez? Je vous racontais ça ici, par bribes.
Peut-être vous êtes-vous toujours demandé: Mais quelles sont donc les motivations du metteur en scène dans cette galère? Que retire-t-il de cette expérience? Pourquoi s'embarrasser de la présence d'un critique?
La revue Jeu s'est posé les mêmes questions que vous. Dans le numéro 136, qui vient de paraître, Marc Beaupré revient sur notre petit projet et raconte sa perception des choses.
Entre autres, il confirme ce que je vous ai déjà raconté. Impossible de rester totalement à l'écart du processus de création: je n'ai pu m'empêcher d'intervenir à l'occasion. «Je pense, écrit Marc, que, déjà au moment d'entendre Philippe me signifier ses conditions, j'ai su que sa curiosité déborderait les limites qu'il s'étaient imposées. Je crois que j'ai seulement été curieux de voir comment.»
Mais il ajoute que «ni lui ni moi ne pourrions être blâmés pour notre conduite à cet égard, ne serai-ce vu la qualité, ou même l'importance de ce dialogue.» Je suis bien d'accord, Marc, et je ne saurais désormais me passer du dialogue avec certains artistes de ma génération, que j'ai l'intention de suivre de près, de regarder évoluer, en espérant être en mesure de nommer leur travail, de dégager des champs de réflexion pertinents sur leur œuvre. Mais pour moi, tout de même, cette question du dialogue est délicate. Il y a une frontière à ne pas dépasser, une distance qu'il faut garder intacte. Voyez-vous, je me suis attaché à Marc en tant qu'artiste, je me suis intéressé à ses idées; nous avons abondamment parlé théâtre lui et moi, de même que je l'ai fait avec les comédiens. Mais, même si Marc écrit qu'il sentait qu'il allait devenir mon ami, je crois que nous n'avons pas franchi la frontière, je ne crois pas que nous soyons vraiment devenus amis. Certes, nous avons développé une fraternité, un plaisir à discuter. Mais ce n'est rien d'autre, pour moi, qu'un dialogue sain et nécessaire entre deux jeunes gens épris d'art et ayant choisi d'en faire leur métier, chacun à sa manière. Un dialogue que je désire poursuivre, d'ailleurs.
C'est là où j'en suis. Comment donner suite à cette expérience? Marc souhaite maintenant «pouvoir mesurer mon indépendance dans la sévérité» dans un futur papier que je pourrais écrire sur son prochain spectacle. J'ai aussi l'impression que, d'une certaine manière, notre expérience me donne une certaine «autorité de jugement» sur le travail de Marc. L'expression est forte, mais je n'en trouve pas de plus appropriée. Je suis heureux, d'ailleurs, que nous arrivions à cette conclusion, car elle me confirme que le critique et l'artiste peuvent se défier mutuellement, et apprécier l'exigence de l'un et l'autre (quand cette exigence existe). Mais, en mon for intérieur, je me demande aussi si une expérience comme la nôtre peut se répéter autrement, si elle peut évoluer sur le long terme, si le critique y gagnerait ou y perdrait – si, en fait, la posture critique peut être maintenue dans un contexte de cohabitation avec les artistes quand l'expérience est répétée plus d'une fois. Quelle nourriture cela pourrait-il apporter au jeune critique que je suis? Qu'est ce qu'un metteur en scène aurait à y gagner?
En attendant de trouver réponses à ces questions, Marc me fait réfléchir quand il écrit que «sa liberté de faire des erreurs» fut «brusquement tronquée» par ma présence. En effet, ai-je vraiment vu ces artistes agir naturellement? Ne furent-ils pas, par moments, gênés de se tromper, de tout remettre en question?J'étais discret, mais menaçant d'une certaine manière. Je pouvais tout dire, tout écrire, tout dévoiler. Ce qui d'habitude est gardé secret, parce que fragile et propice à la remise en question perpétuelle, je pouvais à tout moment le transporter dans l'espace public.
Vous vous doutez que mon intérêt ne fut pas d'exposer à vif les fragilités des artistes. C'est totalement sans intérêt public. Mais les chemins que prend la création, même les chemins erronés, me semblent eux, tout à fait pertinents pour comprendre et apprécier l'art qui nous est offert. Marc considère Caligula Remix comme un échec à plusieurs égards, même si ce fut un succès public et d'estime. Il n'a pas l'impression d'avoir maîtrisé tous les codes scéniques qu'il a mis en place, ne sent pas qu'il a atteint parfaitement ses objectifs. Je pense, moi, que les erreurs de parcours, que j'ai racontées en partie sur ce blogue, sont d'une richesse indéniable et devraient pousser Marc à approfondir ce même travail dans un prochain spectacle. À perfectionner ce qui est perfectible de cette esthétique du «dispositif de narration chorale» dans un futur spectacle qui poursuivrait la démarche de Caligula Remix.
Mais ce n'est pas mes oignons. Marc est assez intelligent et assez authentique pour trouver lui-même la voie à prendre. Mais, vous vous en doutez, j'ai hâte de le suivre de loin.
Quoi qu'il en soit, courez donc chez votre libraire pour acheter Jeu 136. Le dossier dirigé par Marie-Andrée Brault, L'œuvre en chantier, vous invite aussi à entrer dans les coulisses des créations de Denis Marleau, Catherine Vidal, Emmanuel Schwartz, Victor Lemieux et Michel Pilon, ainsi que de quelques metteurs en scène new yorkais d'avant-garde (notamment le Big Art Group et le Wooster Group).
C’était tout de même une expérience assez particulière que d’admettre un critique dans une salle de répétition. Je ne crois pas que cela se répètera très souvent, car le milieu théâtral m’a toujours donné l’impression d’être renfermé sur lui-même. Dans cette bulle, le critique est perçu comme un spectateur qui n’aurait pas le droit de parole et qui causerait une influence possiblement négative sur le déroulement du travail. Je n’ai pas suivi la recommandation de Marc Beaupré, dans sa note au lecteur, et j’ai lu son article jusqu’à la fin comme pour le reste de cette édition de la revue JEU.
Il est perfectionniste et son impression d’un succès, couplé à un échec, me laisse perplexe, car le bilan d’un spectacle n’est pas d’intérêt public habituellement.
Dans le même numéro de la revue JEU, Martin Faucher aborde le thème de «L’échec théâtral» qui l’angoisse et il analyse cette perception subjective d’un échec qui serait une réussite pour quelqu’un d’autre. Raymond Bertin, quant à lui, nous offre «Sylvie Drapeau: les coulisses d’une année marathon» qui colle vraiment sur l’actualité récente en ce qui concerne les problèmes de santé, presque prévisibles, de cette actrice. Tout semble s’être bien passé dans votre expérience, avec le groupe de Marc Beaupré, même si mes craintes exprimées dans votre blogue «Parathéâtre 28 février 2010» semblent avoir planées sur votre expérience. Vous étiez placé dans une situation délicate. La construction d’un spectacle ne concerne pas les spectateurs qui reçoivent habituellement un produit fini en échange de l’achat d’un billet d’admission.
« Des spectateurs qui reçoivent un produit fini en échange d’un billet d’admission. » Monsieur Parisien, vous avez une vision très commerciale de la pratique artistique. J’estime de mon côté qu’il faut se débarrasser de cette idée qu’une pièce de théâtre est un « produit ». S’intéresser au processus de création, rattacher un acte créatif à de grandes questions esthétiques et politiques, réfléchir à la place de l’art dans la société, comme me l’a permis cette expérience, me semble être un moyen d’y parvenir. À ma mesure, à petite échelle, je m’y évertue, et je crois que Marc Beaupré, en m’ouvrant sa porte, a fait de même.
À chacun son métier : tel est le dicton. Je ne vois rien de dévalorisant en considérant les arts d’un point de vue commercial. J’admire le travail des artistes, ainsi que leurs talents, mais sans les déifier. Il m’apparait évident que ces artistes gagnent leur vie avec leur art, alors que vous et moi, la gagnons aussi honorablement d’une autre façon. Le « show-business » n’est-il pas une expression aussi commerciale qu’artistique?
C’est vrai que l’art a sa place dans la société, car il est nécessaire à l’espèce humaine. Une pensée amusante me traverse l’esprit : l’Homme de Cro-Magnon devait aussi chanter et danser entre 2 périodes de chasse. Marc Beaupré et vous avez vécu une expérience de travail intéressante, mais je m’interroge sur l’impact de cette expérience pour un spectateur qui ne l’aurait pas vécue. Cette édition de la revue JEU aura provoqué une petite réaction à ce sujet.