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Couture et Tardif en Mustang (2e partie)

Note au lecteur: vous devez aller lire le début de ce récit sur le blogue Du haut de la King de Dominic Tardif juste ici.
 

22h12

Couture et Tardif sont au bar Le Tapageur, rue King Ouest. (Veuillez noter que les deux jeunes journalistes n'ont reçu aucun pot-de-vin de la part des propriétaires du Tapageur et y ont payé toutes leurs consommations ce soir-là. Ils vous en parlent juste comme ça, par bonté d'âme.) Normalement, ils devraient à ce moment-ci échanger leurs impressions sur la pièce, mais le metteur en scène et les comédiens des Turcs Gobeurs d'Opium ne sont pas trop loin – promiscuité sherbrookoise – alors Couture et Tardif essaient de se cacher pour discuter librement.

«Tu ne t'es pas levé pour applaudir, Couture», s'inquiète Tardif. «C'est une règle non-écrite, répond Couture, un critique montréalais ne se lève jamais pour applaudir. De toute façon, à Montréal comme à Sherbrooke, les standing ovation sont systématiques et n'ont aucune signification, simple marque de politesse. Je proteste contre cette obéissance débile.» Tardif lève les yeux au ciel et redemande: «Mais t'as aimé ça ou non?» «C'était pas inintéressant», réplique Couture, évasif.

«La forme m'a séduite, même si elle n'est pas parfaitement originale. Un accident mystérieux sur la Transtaïga, des personnages orduriers, un meurtre dont on découvre petit à petit les enjeux, par des allers-retours dans le temps et les lieux, sur une musique de suspense martelée à grands coups de tambour. Bref, une sorte de thriller, dans une ambiance cinématographique qui reprend les codes d'un film de Lynch, en moins subtil: ellipses, temporalité éclatée, atmosphère lourde et personnages énigmatiques. Je n'ai rien contre le genre, qui peut s'avérer très captivant au théâtre, et il me semble que les Turcs maîtrisent assez bien la formule. Mais je n'ai pas l'impression que le texte de Gélineau y colle bien. Chaque fois que la mise en scène essaie d'installer un suspense, le texte le détruit en étant trop direct et en expliquant tout très crûment. Comme si l'auteur ne voulait pas trop faire confiance à l'intelligence du spectateur – ce que pourtant la forme propose en elle-même. Tu trouves pas?»

Couture y est allé un peu fort, et Tardif prépare sa défense en avalant une gorgée de son gin-tonic, cherchant le moyen le plus convaincant de défendre les Turcs, dont il aime la poésie. «Ce n'était peut-être pas leur meilleure production, on pourrait quasiment parler d'une "pièce à sketches", comme on utilise l'expression "film à sketches" au cinéma. Je trouve que Gélineau fait œuvre nécessaire en montrant un Québec judéo-chrétien s'abreuvant aux rêves bons marchés de la culture pop, qui existe toujours. C'était parfois trop appuyé – les références à Dieu et au diable -, je te l'accorde. Le principal défi des Turcs demeure à mon sens d'éviter les ruptures de tons quand les personnages se lancent dans des monologues plus lyriques. Le petit village imaginaire de Gélineau, Sainte-Johanne-des-Calvettes, où tout le monde s'aime mal, offre une confrontante allégorie d'une certaine société contemporaine. Pis, dis-moi pas que tu n'as pas eu un petit frisson pendant la scène où le gars et la fille regardent, allongés collés-collés, Dirty Dancing? La mort de Pat Swayze comme métaphore de la fin d'un amour, ça me lève le poil.»

Couture est presque convaincu par la verve pacificatrice de Tardif. Tout est bien qui finit bien au pays des Turcs Gobeurs d'Opium. Le Montréalais a déjà hâte de revenir voir leur sixième création.

23h45

La soirée avance, devenant de plus en plus chaotique et de plus en plus floue. Le rédacteur en chef de Voir Estrie, Matthieu Petit, se joint au duo de jeunes pigistes pour quelques heures avant de retourner dans son luxueux loft savamment décoré dans un style suédois. Couture discute un peu avec Gélineau, se gardant bien de lui exposer toutes ses réserves (ah l'hypocrisie des critiques). Il est question de l'attribution des subventions aux compagnies régionales, assorties de contraintes de développement de public parfois plus restrictives, une donnée avec laquelle les Turcs doivent composer et qui les rend souvent dubitatifs. «Ce combat-là existe aussi à Montréal», le rassure Couture. Fin de la conversation sérieuse.

Le reste de la soirée ne vous concerne pas tellement. Mais Tardif et Couture n'avaient pas trop la gueule de bois le lendemain, ce qui les laisse croire qu'ils sont restés assez civilisés en général.

Ce n'est que partie remise. La prochaine fois, ils se promettent d'inviter Sophie Cadieux.

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Première partie sur le blogue Du haut de la King de Dominic Tardif ici.

Critique de Mustang par Matthieu Petit ici.