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Laisser le monde nous oublier

Vous avez vu les chiffres? 175 tournées internationales ont
été annulées depuis l'abolition des programmes de soutien à la diffusion
internationale des arts de la scène par le gouvernement fédéral (les programmes
Promart et Routes commerciales).

Ce sont les chiffres obtenus par voie de sondage par CINARS
et qui ont été dévoilés la semaine dernière.

Vous avez aussi lu, ici ou là, des témoignages probants,
comme celui du directeur des Grands Ballets Canadiens, qui a dû reporter une
tournée à l'année prochaine.

Il semble bien que le gouvernement Harper soit décidé à
faire oublier au monde que le Canada est aussi un pays d'artistes. Déjà que les
tournées ne sont accessibles qu'à une mince partie des artistes de la scène… La
plupart vont ainsi perdre la confiance de leurs partenaires étrangers, dont le
soutien est essentiel quand vient le temps de partir. Finies les coproductions
avec la France ou la Belgique, et j'en passe. Ces pays amis, rappelons-le, font
aussi face à d'importantes coupures de la part de leurs gouvernements. Tendance
lourde. Ils ne pourront pas compenser, comme ils le font parfois, pour
compléter les minces budgets de nos artistes, dont ils reconnaissent parfois
mieux que nous les mérites. Mais la France, par exemple, a beau nager dans les
mêmes eaux troubles que le Québec sur ces questions-là. sa situation n'est
franchement pas aussi préoccupante que la nôtre.

On se console, bien sûr, du renfort apporté par la ministre
Christine St-Pierre, et les plus indépendantistes d'entre nous, s'ils sont
encore capable d'illusions, se diront que le Québec, s'il avait les réels moyens
de ses ambitions et n'était pas tributaire du fédéral, ne laisserait jamais une
telle situation se produire.

En attendant, il me semble qu'il faut rappeler à quel point
le rayonnement de nos artistes à l'étranger se répercute sur l'ensemble de
notre société. Ces artistes proposent de nous une image forte et inspirante;
ils ouvrent ici comme ailleurs de pertinents champs de réflexion et de dialogue
entre les cultures. Et pour ceux qui n'entendent que la langue économique, rappelons
que les tournées sont souvent lucratives et permettent aux compagnies
artistiques de ramener à la maison des fonds parfois considérables, leur
permettant ensuite de s'attaquer à des projets de plus grande envergure qui créeront
de l'emploi et rayonneront à leur tour. Un rayonnement qui, à la longue, a un impact
sur le tourisme et sur l'économie en général. Evidemment, quand on condamne les
compagnies à tirer le diable par la queue et qu'on ne leur permet pas de sortir
de Montréal, on ne peut jamais observer cet effet domino. Ce qui explique le
très petit nombre d'exemples pour appuyer mes dires. Il y a Robert Lepage,
Marie Chouinard, Wajdi Mouawad et quelques autres grands noms, ainsi que
plusieurs petites compagnies qui tournent sans recevoir l'écho médiatique
approprié. Mais trop peu.

Merci donc à CINARS d'avoir mis ces chiffres en évidence. Mais
ne laissons pas ces chiffres parler seuls. Ils devraient, me semble-t-il,
ouvrir la voie à une réflexion plus large sur l'apport des tournées, et même
peut-être nous permettre de réfléchir à la pauvreté du réseau de diffusion à l'intérieur
même de nos frontières. Car comment voulez-vous qu'une compagnie artistique
attire l'attention d'un diffuseur étranger si elle n'a même pas la chance de
faire plus de trois semaines de représentation à Montréal avant de sombrer dans
l'oubli? Comment convaincre un coproducteur étranger d'investir dans des
projets qui sont toujours morts-nés, qui n'ont jamais le temps de gagner en
maturité et de rencontrer un public consistant? Vous me direz que c'est un
autre débat. Je trouve pourtant que tout ça est inextricablement lié.