Déjà, en février, le metteur en scène Martin Faucher avait publié un superbe texte dans Liberté, portant un regard déçu et indigné sur le Québec et son milieu théâtral trop consensuel. "Je marche dans les rues de ma ville et je vois bien, à tout ce que nous avons démoli, bâti ou laissé en friche, que kek chose de vital nous a échappé, a glissé entre nos doigts et est tombé dans la craque de la médiocrité, de la mollesse et de la mocheté consensuelle." Plus loin, il écrivait encore: "Je passe devant les théâtres de ma ville et je me demande comment il se fait qu'en un laps de temps incroyablement court, on en soit arrivés à se plier si docilement aux diktats de l'implacable rentabilité artistique, rentabilité bien pire que la rentabilité économique, car elle oblige au froid calcul stratégique plutôt qu'à la saine libération des pulsions du coeur et de l'intellect."
Vendredi dernier, au Monument-National, lors de l'assemblée générale du Conseil québécois du théâtre (CQT), Martin Faucher lisait un nouveau texte de son cru pour dénoncer l'inertie du milieu théâtral depuis les derniers états généraux du théâtre en 2007, où tout le monde s'était pourtant entendu pour réclamer un meilleur financement public et revoir le modèle théâtral québécois. Faucher s'en prend, comme Wajdi Mouawad l'a fait dans les pages du Devoir cette semaine, à la trop grande obéissance des gens de théâtre.
Il me fait l'honneur de publier son texte ici. Puisse-t-il inspirer une vive discussion et de nouveaux soulèvements.
Un milieu docile et obéissant
Par Martin Faucher – 12 novembre 2010
Je suis d'un pays qui promettait tant et qui ne m'apporte que trop son lot de désillusions et d'amères déceptions.
Au royaume du Je me souviens, je suis d'un pays qui a toutes les peines du monde à tenir le pari de notre présent et de notre futur.
Ici, il est bien difficile de bâtir avec intelligence, goût, sensibilité, respect d'autrui et harmonie.
Ici, guérir, vieillir ou mourir dans la dignité relève trop souvent de l'exploit.
Ici, on a beaucoup de pudeur à pourvoir nos institutions d'enseignement supérieur de moyens décents afin d'être à la hauteur d'une jeunesse talentueuse et prometteuse.
Ici, au moment où j'écris ces mots, on n'a aucune honte à brader mes terres à tout venant afin qu'on les fore et les perfore pour soi-disant créer de la richesse, nouveau credo qui justifie les pires abus du capitalisme sauvage et qui sert à l'enrichissement personnel d'une poignée d'amis du système.
Je suis d'un pays à l'éthique élastique où un appât du gain démesuré flirte avec la corruption et une désarmante démagogie bon enfant.
Je suis d'un pays où l'on devrait diffuser obligatoirement Réjanne Padovani de Denys Arcand sur toutes les chaînes le 24 juin afin que l'on se dise une fois pour toutes : Pus jamais !
Du sombre portrait de clown sur velours qui pleure dans cet immense centre d'achat de banlieue que devient mon pays, il n'est pas étonnant que l'art du haut et fort, que l'art du cri articulé qui mord, du cri qui dénonce et qui peut tuer, bref, que l'art du théâtre n'ait pas su tirer, au fil des décennies, son épingle du jeu.
Au pays des Claude Gauvreau, des Jean Gascon, des Jean-Louis Roux, des Buissonneault, Brassard, Tremblay, Ducharme, Loranger, Ronfard, Gravel, Lepage, Marleau, Haentjens, Poissant, Cyr, Mouawad et Lepage, jamais, au grand jamais je n'aurais pensé appartenir à une communauté condamnée à vivre pour un petit pain. Un petit pain théâtral.
En effet, force m'est d'admettre que vu la régression économique (oui, oui, oui, n'ayons pas peur de nommer les choses telles qu'elles sont, peu importe les dires de tous les James Moore de ce pays) à laquelle nos gouvernements de qui nous dépendons pour survivre artistiquement nous obligent, un petit pain, c'est ce à quoi nous sommes condamnés, que nos salles de spectacles contiennent 80 ou 800 places.
Mais là où je suis encore plus étonné, c'est de constater à quel point mon milieu théâtral est docile et obéissant face à cette consternante situation et ce depuis de trop longues années.
Cette obéissance et cette docilité ont bien sûr permis à certains d'entre nous d'affronter des crises financières et artistiques graves, assurant ainsi une pérennité aux lieux théâtraux et compagnies qu'ils dirigent. Les blâmer pour cela relèverait de la pure ingratitude, mais que vaut cette pérennité si c'est pour s'obliger à une sagesse, à une prudence artistique extrême, à une pauvreté des conditions de pratique, à une crainte permanente de la réaction du public qui fréquente nos théâtres et de qui dépend dans une trop forte mesure la survie de nos théâtres et compagnies?
Alors que nos gouvernements ont participé à trouver des solutions efficaces pour soutenir d'autres institutions montréalaises d'importance, nous gens de théâtre, notre docilité et notre obéissance à gérer avec une minutie scrupuleuse chaque cenne noire de budgets bien souvent faméliques ne nous aura mené nulle part. Pour toute récompense, nous continuons encore et toujours à gérer les cennes noires de budgets bien souvent faméliques.
J'en appelle donc à nos dirigeants de théâtres à mettre en pratique la gestion de l'audace et du haut et fort qui est l'essence même de notre art et ce, au risque de mettre la pérennité des lieux et compagnies qu'ils dirigent en péril, car que vaut la pérennisation de notre théâtre si c'est pour ériger en système, dans des théâtres bien rénovés, le pauvre, le prudent, le tiède, le fade, le consensuel, le passéiste, le stérilisé, l'apolitique, l'émasculé ou l'inoffensif?
J'en appelle aussi à tous les joueurs du milieu théâtral à ne plus siéger sur aucun jury et comité consultatif mis en place par les conseils des arts afin que soient attribuées les subventions aux compagnies québécoises de théâtre. Bien que je place une grande confiance en ces organismes essentiels à l'essor de notre art, siéger aujourd'hui sur les jurys et comités consultatifs qu'ils mettent en place revient à avaliser les politiques de décroissance artistique de nos gouvernements. Siéger sur ces jurys et comités revient à faire une sale job de bras à la place des ministres responsables de l'attribution des budgets faméliques alloués à la pratique du théâtre québécois. Siéger sur ces jurys et comités c'est avoir à porter trop souvent l'odieux de décisions contraires à la vision et aux valeurs qui animent notre milieu théâtral, comme par exemple l'excellence artistique. Siéger sur ces jurys et comités revient à devoir dire non, non, et, c'est plate, non à trop d'artistes et de compagnies théâtrales porteuses d'une réelle parole indispensable à l'épanouissement de notre art et de notre société.
Renvoyons ce travail de jury aux administrateurs de ces conseils des arts afin qu'ils puissent constater de visu l'ampleur du gâchis. Eux seront peut-être mieux en mesure de relayer directement aux ministres responsables l'absurde de la situation qui prévaut dans le milieu théâtral québécois.
Lors du spectacle inaugural de la première édition de Montréal complètement cirque, festival qui dès sa première édition jouit de subventions gouvernementales à faire baver d'envie tous les festivals québécois établis depuis de nombreuses années, le ministre des finances Raymond Bachand déclarait : Nous sommes les meilleurs en jazz. Nous sommes les meilleurs en rire. Dans cinq ans, nous serons les meilleurs en cirque ! (Applaudissements de la foule).
À quand un ministre qui aura la conviction et les moyens de proclamer haut et fort que dans cinq ans nous serons les meilleurs en théâtre ?
Je vais dans le même sens que le directeur artistique de la compagnie Les Fonds de tiroir, Frédéric Dubois, qui lors de l'assemblée générale de l'Association québécoise de théâtre du 5 novembre dernier a lu une lettre percutante et vais paraphraser le poète Claude Péloquin : Ne sommes-nous pas tannés de mourir bandes de caves ? C'est assez !