BloguesParathéâtre

Le cri de Frédéric Dubois

Dans la lettre de Martin Faucher que je publiais cette semaine se profilait le spectre d'une autre lettre, celle que le metteur en scène Frédéric Dubois (Théâtre des Fonds de Tiroir) a adressée aux artistes de sa génération. Comme Wajdi Mouawad et comme Martin Faucher, Frédéric Dubois n'en peut plus d'être obéissant et, surtout, il n'en peut plus de l'uniformité de la pratique théâtrale québécoise.

Comme vous en redemandez, je vous offre la lettre de Frédéric Dubois.

Peut-être qu'un vrai débat se pointe le bout du nez.

 

Je parle aux artistes de mon âge.

Le milieu fait en sorte que nous devons entrer dans des boîtes.

De peu organisés à trop structurés, nous nous sommes pris au jeu des règles et des conventions.

Et maintenant, il faut tous faire pareil. Répondre à la structure.

Si nous ne faisons rien qui dit NON, le temps qui passe nous aura à l'usure. Il n'y a rien de pire que de répon­dre aux critères des formulaires pour que le théâtre s'abrutisse.

Parce que le temps qui passe sans nous ne nous pardonnera pas.

Si NOUS n'imaginons pas le théâtre de demain autrement, si nous acceptons qu'il soit structuré, abonné, programmé comme il l'est actuellement, j'ai peur de nous voir mourir enterrés dans un modus operandi qui ne pourra répondre aux besoins de demain.

Où est le public de mon âge ? Il ne s'abonne pas.

Ce n'est pas en faisant les affaires comme nos prédécesseurs que nous le gagnerons.

C'est en lui servant un théâtre et une manière de le faire qui nous ressemble et donc, qui lui ressemble.

On a inventé un système qui a permis des avancées au cours des vingt dernières années, mais qui aujourd'hui, il me semble, sclérose la pratique. Nous ne pouvons pas tous répondre à ce que cette structure demande et qui sert les mieux nantis.

Je ne peux pas, avec les ressources que j'ai, faire des spectacles, augmenter mon volume de productions et de spectateurs, organiser des soirées de financement et donc créer un réseau de généreux donateurs, admi­nistrer, trouver des nouvelles voies marketing pour concurrencer le reste, etc. Je ne peux pas parce que je n'ai bêtement pas les compétences. Demande-t-on à un ophtalmologiste de faire des opérations au coeur ?

Mais je fais semblant que je peux et je le fais tout en travaillant beaucoup en dehors de la compagnie pour arrondir les fins de mois. Je dis NON. Je dis : je veux faire du théâtre.

Nous avons le choix de faire semblant de faire pareil ou sinon, d'inventer d'autres moyens, d'autres manières de faire. À tout le moins, poser des gestes qui, sans défaire, questionnent.

Nous faisons tous les mêmes demandes de la même façon, nous répondons aux critères de la même façon, nous remplissons les salles de la même façon, nous diversifions nos ressources et développons le public (je déteste cette expression : développement de public) de la même façon et on s'étonne après des avancées si lentes et du peu d'écoute des interlocuteurs qui nous dirigent. Pourquoi répondraient-ils puisque nous obéissons ?

Qu'est-ce que ça donnera tout ça dans dix ans ?

Vous n'avez pas l'impression que la machine huilée pourrait rouler comme ça jusqu'à la fin des temps et que nous ferons tous chacun notre spectacle, bon an mal an, essayant de les refaire dans des programmations décidées (d'autres boîtes) trois ans à l'avance et ça, si on veut bien de nous ? Vous ne sentez pas que ça nous nuit ? Que nous n'inventons plus ?

Le théâtre n'est pas fait pour des boîtes.

Elle vient d'où cette stagnation ?

En partie de notre obéissance.

Je vous entends : il y en a des actions qui font bouger les choses. Ça a changé, on a des acquis maintenant. Certes. Mais on va s'en contenter ?

Ne me parlez pas des États généraux. Bien que je reconnaisse tout le travail, ça a fait plaisir à tout le monde et particulièrement au Ministère parce que tout le monde est reparti chez soi, silencieux.

Le lobby ? Quand nos interlocuteurs rabâchent le discours électoral et ne vont ni voir un film, ni voir une pièce en dehors de la Cour d'honneur à Avignon, les actions souterraines ne servent que ceux qui les financent. De la sorte, on leur sert le plat froid et stérile qu'ils veulent bien manger : le jeu politique. Et ainsi, nous devenons tout ce que nous cherchons à dénoncer dans nos théâtres.

Les conventions collectives ? Bien que nous ayons sauvé les meubles devant une entreprise de colonnes de chiffres qui ne pense qu'à 13 % de ses capacités, bien que nous ayons réussi à nous tenir par le nombre, la dernière négociation ACT-UDA était difficile. Nous avons gagné. Mais je ne peux pas faire autrement que de penser qu'un d'entre nous en est sorti amoché : le théâtre.

Je ne veux plus négocier. Ni pour savoir où jouer, ni pour savoir combien ça coûte.

Tout le monde travaille fort, nous sommes tous intelligents, cultivés, mais notre acceptation nous déshonore. Notre manière machinale de refaire et refaire et redire et redire, en dehors des oeuvres produites (magnifiques d'ailleurs) nous enlève toutes chances de ne pas mourir, de ne pas crever au milieu d'une foule qui nous pié­tinera sans scrupules. Et je ferais pareil.

Je dis NON.

Je n'en peux plus.

Si nous sommes gentils, nous serons dévorés par les loups.

Nous le sommes déjà.

J'en ai marre de plier, d'accepter des réponses froides de manque de fonds, d'acquis chaudement gagnés. Je devrais me taire parce que c'est mieux qu'en 1980 ?

Se taire, c'est mourir.

Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves ?

Vous êtes bien, vous, dans vos boîtes ?

 Frédéric Dubois