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Ces anglos qui tendent la main

  

L'une des plus belles illusions que se fait un étranger
lorsqu'il est de passage à Montréal est qu'il rencontrera une communauté
bilingue, dans laquelle les deux communautés linguistiques vivent dans
l'harmonie et apprécient se côtoyer des deux côtés de la rue St-Laurent.

Si cet étranger est le moindrement cultivé, il sait qu'en dehors des récriminations de Luc Plamondon, la
foisonnante scène musicale montréalaise ne s'est jamais trop butée à la
question de la langue : les francophones chantent en anglais et apprécient
les musiciens anglo, et tout ce beau monde se trouve assez souvent réuni dans
les hauts lieux de la scène locale, partageant parfois les instruments de
musique et les collaborateurs, et certainement aussi quelques moments
d'ivresse.

Cet étranger s'imagine peut-être que la même chose se
produit sur la scène théâtrale. Il se dit sûrement que cette ville doit être le
merveilleux lieu du bilinguisme scénique : un endroit parfait ou faire se
rencontrer les cultures francophones et anglo-saxonnes et voir ce qui peut en
émerger.

Que de belles illusions.

Je ne suis pas de ceux qui s'en plaignent. Je suis
francophile. J'aime que notre théâtre célèbre la langue française. Je sais
parler anglais, je ne rechigne pas à apprécier la culture anglaise quand il le
faut. Mais sur le territtoire montréalais, cette culture est minoritaire et je
ne tiens pas à ce qu'elle devienne majoritaire. Pour des raisons politiques,
historiques, culturelles. À cause de la faiblesse de ma propre culture
francophone sur ce territtoire, et mon désir de la voir rayonner pleinement. Je
ne suis pas surpris que les francophones ne multiplient pas les projets
théâtraux avec leurs homologues anglophones. La plupart sont, comme moi,
d'ardents défenseurs de la langue française, des nationalistes qui rêvent
encore d'un pays francophone et dont les référents théâtraux sont européens.
Entendez par là des référents franco-européens, avec un œil ouvert sur
l'Allemagne, la Belgique flamande, l'Ialie, la Suisse, peut-être même la
Pologne. Mais surtout pas l'Angleterre, synonyme de conservatisme et de
sagesse. Mis à part ce qui nous arrive du fameux Royal Court Theatre, maison
des plus grands auteurs anglais contemporains, l'Angleterre ne nous attire
guère. Les Etats-Unis? Outre quelques New Yorkais avant-gardistes, qui
travaillent de toute façon abondamment en Europe avec des fonds européens, on
n'y trouve rien de bon. Peut-être quelques auteurs qu'on apprécie pour leur
maîtrise du dialogue réaliste et qu'on se dépêche de traduire en québécois
rural. Mais c'est tout.

Or, il se trouve que les Anglo-Montréalais, depuis quelques
années, ne cessent de tendre en vain la main aux francophones. Ils y croient,
eux, à ce beau rêve d'un théâtre bilingue. Mais leurs efforts se répètent en
vase clos, sans jamais atteindre le moindre francophone.

On peut voir deux exemples de ces tentatives ces jours-ci
sur nos scènes. Au MainLine, Tableau d'Hôte Theatre vient de terminer une série
de représentations de Dark Owl, traduction franglaise d'un texte de l'Acadien
Laval Goupil. Drôle de mélange. Le texte original est en chiac; la traduction
de Glen Nichols en conserve quelques passages mais plonge le reste dans un
anglais populaire qui cherche constamment son ton, entre la musique acadienne
et l'english très américain, sans que jamais ne se produise une réelle fusion.
Bel effort, mais un tel galimatias linguistique ne réussit qu'à diminuer la portée
de chacune des langues et des accents: un bordel dont les potentialités
théâtrales me semblent bien minces. 

Au Monument-National, Imago Theatre présente Champ de Mars:
A Story of War
, traduction de Au Champ de Mars, de Pierre-Michel Tremblay. La
traduction de textes québécois contemporains est devenue la spécialité de cette
troupe dirigée par Clare Shapiro, qui dit «faire du théâtre anglophone dans une
esthétique québécoise.» Ce n'est pas faux dans ce cas-ci, si l'on considère que
le texte de Tremblay est de sensibilité québécoise par sa manière toute
particulière d'aborder un sujet dramatique via la comédie et la satire, à
cheval entre deux tonalités. Et le jeu des acteurs, très sobre, se dissocie
très fort de l'interprétation de la même pièce par les comédiens francophones
du Théâtre de la Manufacture, dont le jeu était plus exacerbé.

Mais est-ce bien de cette manière qu'on arrivera à tisser
des ponts entre les deux communautés? J'ignore si le bilinguisme sur scène est
une voie intéressante. Il l'est parfois chez Robert Lepage. Il l'est aussi chez
le metteur en scène flamand Jan Lauwers, qui mélange habilement sur scène des
acteurs néerlandais et francophones. Mais ces deux-là y arrivent dans une
perspective interdisciplinaire, au cœur d'esthétiques interartistiques ou le
texte n'occupe pas la place centrale. Ce sont aussi des formes dans lesquelles
l'improvisation et la spontanéité sont recherchées et font partie du processus
de création.

L'improvisation, c'est peut-être d'ailleurs ce qui réunit le
mieux les artistes anglophones et francophones de Montréal. C'est vrai dans un
jam de musique au Divan Orange, mais c'est aussi vrai sur la scène du festival
Fringe, ou, chaque été, les Néos et la troupe Uncalled For s'affrontent sur l'improvisoire
du Parc des Amériques, dans les deux langues officielles. J'en parlais
récemment avec Amy Blackmore, directrice du Fringe. C'est la seule initiative
ou la cohabitation des deux langues ne m'apparaît pas plaquée et superficielle –
à cause, il va sans dire, de la spontanéité de l'impro et de son authenticité.

C'est peut-être la voie à suivre pour un réel théâtre
bilingue. Je réfléchis à voix haute, je n'en sais rien. Qu'en pensez-vous ?