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À surveiller en 2011

Note: Ce texte a d’abord été publié sur une autre version du blogue Parathéâtre

L’année 2010 fut le théâtre de nombreux débats et dossiers chauds sur les bords de la scène montréalaise.  L’Espace Go a été plongé dans une controverse autour de son trentième anniversaire et son appartenance à la tradition du Théâtre Expérimental des femmes.  Les coupures du fédéral dans les programmes d’appui aux tournées ont fait très mal à certaines compagnies.  On a discuté fort de la frilosité d’une certaine relève et de l’engagement des artistes de théâtre.  Le groupe Audubon, en affrontant le TNM sur une question de droits d’auteurs, a lancé de bonnes questions sur la gestion des droits d’auteur d’œuvres collectives (d’ailleurs tout à fait d’actualité en cette période où la loi C-32 malmène la notion de propriété intellectuelle).  Ce ne sont que quelques exemples…

Prêts pour 2011?  L’année à venir s’annonce pleine de rebondissements, alors que de nombreux artistes de théâtre commencent à prendre parole et à exprimer un ras-le-bol de l’immobilisme du milieu théâtral et de sa soumission aux lois de la rentabilité (c’est le cas de Martin FaucherFrédéric DuboisChristian LapointeSylvain Bélanger et Wajdi Mouawad, entre autres).  Voici un rapide survol des enjeux que je compte surveiller de près cette année, et des grandes questions qu’il ne faudra pas oublier d’aborder.

L’INSTITUTION THÉÂTRALE EN QUESTION

 

Le Québec ne dispose pas de réelle institution théâtrale, on le sait, puisque le très minime financement public reçu par la plupart de nos théâtres les rangent plutôt dans une catégorie intermédiaire: des théâtres mi-privé mi-public qui n’ont pas les moyens de se comporter comme des institutions dignes de ce nom.  Or, il est temps de revoir ce modèle, qui, même s’il a permis une évolution et une professionalisation fulgurante de notre théâtre depuis les années soixante, a aussi encouragé une certaine uniformité de la pratique théâtrale au Québec et un important plafonnement de la pensée artistique.  Bonne nouvelle:  le Conseil Québécois du Théâtre (CQT), qui a mis en place un comité de réflexion sur cette question, devrait lancer cette année des pistes de discussion sur la place publique lors d’un «congrès du théâtre» qui réunira l’ensemble du milieu.  Le CQT proposera sans doute aussi des réflexions structurantes sur la question de la diffusion de notre théâtre hors-Montréal et sur les actions politiques à entreprendre pour revoir le financement public du théâtre (d’ailleurs, si jamais une élection provinciale ou fédérale se profile, il faudra que les artistes fassent entendre leur voix pendant les campagnes électorales et le CQT peut y jouer un rôle important).  Bref, de grandes questions qui s’inscrivent dans la poursuite des objectifs des États généraux du théâtre tenus en octobre 2007. On a accusé le milieu de s’être endormi après les états généraux:  espérons que 2011 nous prouvera le contraire.

 

LE BÉTON

 

Montréal est une plaie ouverte depuis plusieurs mois déjà, alors que de nombreux lieux culturels subissent une cure de rajeunissement.  La Place des Arts devrait se sortir cette année de son chaotique chantier de construction et dévoiler ses nouveaux charmes.  Le scepticisme règne chez les observateurs de cette très bordélique remise à neuf et on se demande bien si la Place des Arts réussira à se débarrasser de son look de centre commercial sordide.  Rien n’est moins certain.  Je préfère nourrir de l’espoir pour la nouvelle Licorne et les transformations en cours aux Écuries, des lieux que j’espère aussi fonctionnels qu’agréables.  Un lieu de théâtre devrait proposer autre chose qu’un morne corridor menant à une obscure salle de spectacle, non?  C’est un lieu de rencontre et de création, l’un des derniers lieux publics qui échappe un tant soit peu à l’envahissement de la pub et du commerce sans limites,  et tant qu’à défoncer les murs pour faire du neuf, aussi bien penser la chose avec goût et dans une perspective durable.

 

LES DIRECTIONS ARTISTIQUES EN MUTATION

 

Mon sous-titre vous surprendra peut-être.  Il est vrai que très peu de directions artistiques de nos théâtres établis sont en voie de changement.  Mais je serai cette année à l’affût de l’arrivée de Brigitte Haentjens à la direction artistique du Centre national des arts d’Ottawa et je surveillerai la première saison concoctée par Philippe Ducros à l’Espace Libre.  Ce sont deux artistes aux personnalités fortes, qui risquent de brasser la cage.  À moyen terme, la question de la passation des pouvoirs se posera sans doute aussi dans d’autres théâtres.  Peut-être pas en 2011, mais tel que discuté dans une récente entrée libre de la revue Jeu, certains directeurs artistiques sont en poste depuis belle lurette et songeront peut-être à passer le flambeau dans un futur pas si lointain.  D’ailleurs la longévité de ces directorats, celui de Lorraine Pintal au TNM par exemple, ramène sur la table une question controversée.  Sans remettre en cause la qualité du travail de ces quelques persistants, ne devrait-on pas se demander s’il est souhaitable d’instaurer un mécanisme d’évaluation et de remise en question des directorats artistiques à fréquence plus ou moins régulière?  La chose est difficile à implanter dans un contexte de théâtre semi-privé comme le nôtre, mais la question se pose tout de même.  Réflexion à poursuivre en 2011, peut-être…

 

LA PROMOTION COLLECTIVE DU THÉÂTRE

Voilà un autre dossier animé par le CQT, qui a lancé en décembre un chantier de réflexion sur la question de la promo collective du théâtre, histoire d’attirer de nouveaux publics et de cesser de ne prêcher qu’aux convertis.  Peut-on imaginer la renaissance du Gala des Masques?  Le théâtre québécois doit-il faire l’objet d’une campagne publicitaire nationale?  Même si je suis parfois dubitatif devant les stratégies marketing des compagnies théâtrales, qui gomment le contenu artistique au profit de la mise en valeur des vedettes télévisuelles impliquées dans les productions, la nécessité d’élargir le cercle des spectateurs réguliers du théâtre m’apparaît essentielle.  Il faudra donc suivre ce dossier de près.

LES TÉNORS DU THÉÂTRE SUR DES SCÈNES PRESTIGIEUSES

 

Les annonces sont maintenant faites:  Denis Marleau mettra en scène Agamemnon à la Comédie Française et Wajdi Mouawad présentera sa trilogie Sophocle au festival d’Avignon. Réjouissons-nous de ces excellentes nouvelles et du rayonnement de ces artistes rigoureux et talentueux qui nous représentent magnifiquement bien à l’étranger.  Mais réfléchissons aussi aux difficultés de tournée pour tous les autres artistes d’envergure qui le méritent et qui n’y arrivent pas pour des raisons de manque de fonds et parce que leurs œuvres, trop souvent créées dans des conditions de misère et jouées trop peu longtemps sur nos scènes, n’atteignent jamais leur point de maturité.

 

LES ARTISTES ENGAGÉS ET LES MANIFESTES À ÉCRIRE

 

Je sais, je sais, je me passionne beaucoup pour cette question.  Mais c’est qu’il est réjouissant de voir s’affirmer une parole sociale chez les artistes de théâtre:  ils ont les mots pour le dire et leur rôle d’artiste est avant tout de transmettre une vision du monde, qu’ils le fassent dans leur œuvre ou ailleurs dans l’espace public.  En 2010, les artistes se sont exprimés sur tous les fronts:  loi C-32, gaz de schiste, financement de la culture, et les artistes de théâtre ont vivement décrié les scléroses de leur propre milieu.  Si Christian Lapointe a parti le bal en publiant son manifeste, Le Rebut Total, et que Martin Faucher a marché dans ses traces en appelant à la désobéissance, je me demande si les Sylvain Bélanger et autres conscientisés de la planète-théâtre feront un pas dans la même direction cette année.  On sait que le milieu de la danse, le chorégraphe Normand Marcy en tête, a enclenché une réflexion cette année sur la prise de parole sociale de l’artiste.   Suffirait que tous ces gens se rencontrent pour discuter et qui sait, peut-être assisterons-nous à l’explosion d’une petite bombe.

 

L’ÉMERGENCE D’UNE PRÉOCCUPATION: FAIRE REVIVRE LE RÉPERTOIRE

Vous ignorez peut-être que le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) a récemment créé un nouveau poste, celui de «conseillère à la mise en valeur du répertoire».  C’est Marie-Claude Verdier, ex coordonnatrice enfance/jeunesse au CNA, qui a obtenu le mandat de fouiller dans le répertoire dramaturgique québécois pour en ressortir des pièces rarement relues et jamais réinterrogées par nos metteurs en scène.  La création de ce poste répond à un besoin criant, car de nombreux textes importants de notre dramaturgie demeurent mal connus et dorment dans des boîtes alors qu’ils pourraient revivre sur nos scènes et nous permettre de porter un nouveau regard sur sur nous-mêmes.  Une richesse inexploitée que les gens de théâtre commencent heureusement à vouloir redécouvrir.  Marie-Claude Verdier ne peut pas travailler seule, bien sûr, et de grâce ne lui mettons pas une telle pression sur les épaules, mais son embauche prouve que la revalorisation du répertoire théâtral québécois est une préoccupation grandissante chez les artistes.  Une bonne nouvelle.  J’ai même envie de risquer une proposition au festival du Jamais Lu, qui fête cette année son dixième anniversaire et n’échappera pas aux bilans et aux remises en question.  Pourquoi pas un volet «Jamais Relu» qui mettrait en valeur chaque année une pièce oubliée de notre répertoire?

Quoi d’autre?  Seul l’avenir nous le dira.  Je vous souhaite à tous une très heureuse année 2011.