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Affaire Vahid Rahbani: Message d’appui de Mani Soleymanlou

NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur une autre version du blogue Parathéâtre

Mani Soleymanlou, comédien fort actif sur la scène montréalaise (il joue d’ailleurs en ce moment même dans Projet Andromaque à l’Espace Go), est d’origine iranienne.  Finissant de l’école nationale de théâtre de Montréal  en 2008, il a cotoyé, de loin, le metteur en scène Vahid Rahbani.  Lorsqu’il a appris que Rahbani était censuré par les autorités en Iran, il a voulu prendre parole.  Voici le très beau texte qu’il m’a fait parvenir aujourd’hui.

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Ma patrie: La honte

 

On est venu me voir un jour et on m’a annoncé avec beaucoup d’excitation qu’il y avait un «autre» Iranien à l’École nationale.

«Le connais-tu? Vahid Rahbani? Il vient de Toronto aussi, comme toi? Un Iranien de Toronto, tu dois le connaître, il fait du théâtre! Tu le connais? Dis, tu le connais? ».

Je ne le connaissais pas.  Mais j’avais bien hâte de rencontrer «l’Autre». De lui parler… peut-être même en farsi, devant tout le monde, très fort, le prendre dans mes bras et hurler de joie dans notre langue, là, dans cette cafétéria de l’École nationale, sans gêne et retenue, retrouver un allié, un frère, ne plus être seul!!!!!

La rencontre s’est faite un midi alors que j’attendais un café.  Je me suis retourné et j’ai vu un homme, plus basané que moi, debout tout seul.  J’ai su que c’était lui.  Il m’a vu.  On s’est fait un signe de tête de loin qui voulait signifier quelque chose du genre «Ah! te voilà!».  On s’est rapprochés l’un de l’autre, on s’est serrés la main, on a échangé quelques mots en farsi, plusieurs mots en anglais.  J’ai payé mon café et on est chacun parti de notre bord;   lui, vers les anglophones et moi, vers les francophones.  C’est tout.  Rien de plus qu’une rencontre normale, à la limite banale, entre deux personnes, peu importe leur nationalité.

Lorsque la nouvelle de la censure du travail de Vahid est apparue, j’ai pensé à la «banalité» de ma première rencontre avec lui.  J’étais déçu de n’avoir eu rien de plus à lui dire.  Rien de pertinent.  On aurait pu parler de l’Iran, du régime théocratique, de l’oppression de notre peuple, de la dictature, de l’injustice, de la torture, de l’emprisonnement, de la pendaison publique, de la censure, de la colère, de la confusion, de la honte.  Oui, de la honte.   La honte qui surgit à chaque fois que je lis une autre «connerie» au sujet de l’Iran.   Cette honte enracinée en moi, qui m’enracine à un pays qui est à milles lieux de moi.  La même honte qui vit chez mon père, ma mère, mon frère.  La honte qui vient avec le fait d’être un Iranien.

Assis à mon bureau, suite à la lecture de quelques courriels d’ami(e)s ayant lu la nouvelle de la censure et voulant avoir mon avis ou tout simplement m’informer de la plus récente absurdité iranienne, j’ai su qu’il était temps d’agir.

Mais comment?  Que dire et que faire de si loin?  Comment parler à Vahid?  Quoi dire, moi vivant dans un pays où j’ai le droit de dire?  Quoi lui dire, à part le fait qu’on pense a lui.  Lui dire que, malgré la distance qui nous sépare, il retrouve en moi un frère iranien, un frère de théâtre, un artiste perse armé des touches de son clavier prêt à dire ce qu’il faut et faire ce qu’il faut pour nous, pour notre patrie.  Parler de l’horreur qu’est devenu notre pays et la beauté de ce que la Perse a déjà été. Prendre la parole pour la jeunesse iranienne parce qu’ici, on peut. Prendre la parole pour cette jeunesse, née dans les années quatre-vingt qui, aujourd’hui, peuple à 60% le pays.  Ces jeunes comme lui et moi, enfants nés d’une guerre, enfant d’une révolution.  Ces jeunes Iraniens et Iraniennes, qui à l’aube d’une nouvelle révolution, d’un nouvel Iran, cherchent leur culture, leur nation et qui refusent de vivre dans cette merde qu’on leur lègue.  Finalement, dire à Vahid, que quoi qu’il en soit, cette censure démontre que le théâtre reste un acte social, qui peut et doit déranger et que dorénavant, je vais essayer de dire et faire tout ce qu’il m’est possible afin de remplacer cette honte par de la fierté.  Le dire parce que je peux et parce que c’est mon devoir.

Mon devoir d’Iranien.  Mon devoir de citoyen.  Mon devoir d’artiste.

Courage, barâdar!

Mani.