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Ces artistes moralisateurs et manichéens

NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur une autre version du blogue Parathéâtre

 

Je ne lis presque jamais les journaux de Quebecor.  Ces temps-ci pour des raisons évidentes de non-respect de la profession journalistique par Pierre-Karl Péladeau.  Mais je ne les ai jamais vraiment lus, pour cause de médiocrité générale et d’incompatibilité idéologique.  Sauf quelques anciens chroniqueurs à l’esprit libre qui oeuvraient jadis au Journal de Montréal.  Une époque révolue.

 

Mais hier, dans le métro, cherchant de quoi occuper mes yeux, j’ai succombé au journal 24 heures qui traînait sur le siège voisin.  Et mes pauvres yeux sont atterris sur cette chronique de Mathieu Bock-Côté.  Les artistes, dit-il, jouent trop souvent le rôle des curés d’autrefois lorsqu’ils interviennent dans un débat public. Ils sont moralisateurs, manichéens et leur parole dégouline  de bons sentiments.  Surtout, ils n’ont pas « la compétence de leurs certitudes ».

 

Bock-Côté n’a peut-être pas complètement tort sur ce dernier point.  Et même s’il refuse de pointer le fameux vidéo des artistes contre le gaz de schiste, on voit bien que c’est précisément à ce genre d’initiative qu’il s’attaque.  C’est vrai que cette campagne ne nous montre pas tellement les « compétences » des artistes.  Laisser Benoît Brière cabotiner sur les dissonances du mot schiste ne fera aucunement avancer le débat.  On est d’accord.  C’est gênant, ridicule et peu pertinent.

 

Bock-Côté en a plutôt contre la surmédiatisation de certains artistes qui, à ses yeux, « monopolisent les ondes » et « abusent de leur position privilégiée ».

 

Mais force est de constater qu’il ne connaît rien à la parole sociale éclairante de certains artistes qui, plutôt que de jouer les opportunistes à la télé, se consacrent à bâtir une oeuvre engagée et à réfléchir publiquement au monde dans lequel ils vivent.  Il ignore que le rôle de l’artiste n’est pas de divertir les masses mais de porter un regard sur le monde et d’exprimer cette vision en toute liberté.  Oh, il dirait sans doute que ces artistes sont trop « confidentiels » et que, d’ailleurs, pour cette raison, ils ne méritent pas d’être soutenus par les fonds publics (il fallait l’entendre s’égosiller à ce sujet dans un épisode récent de l’émission Ici et là sur les ondes de Vox).  Mais, même s’il rejette l’utopie dans laquelle vivent les artistes qui « veulent faire passer l’humain avant l’économie », Bock-Côté aurait intérêt à ouvrir l’oeil sur quelques-uns de ces utopistes avant de condamner  tout le monde en bloc.

 

A-t-il déjà lu une seule des lettres ouvertes de l’auteur et metteur en scène Philippe Ducros dans Le Devoir?  Sait-il que les artistes sont aussi très souvent des universitaires comme lui, dont les discours intellectuels et artistiques se chevauchent et font très bon ménage? N’a-t-il jamais lu, par exemple, certaines des colères de la romancière et professeure Catherine Mavrikakis?  Ou un éditorial de l’écrivain Mathieu Arsenault dans la revue OVNI? (Une bonne partie de l’oeuvre d’Arsenault est d’ailleurs plutôt pamphlétaire).  Doute-t-il de la pertinence de l’engagement de la cinéaste Anais Barbeau-Lavalette, qui jette un nouvel éclairage sur les milieux défavorisés? Les discours enflammés et informés de Loco Locass ne lui semblent-ils pas légitimes?

 

J’ai ici fait l’effort de dénicher des exemples en dehors du milieu théâtral.  Mais les théâtreux au discours « compétent » font légion. Vous les connaissez comme moi.  Christian Lapointe, Olivier Kemeid, Wajdi Mouawad, Annabel Soutar, Sylvain Bélanger, Olivier Choinière et j’en passe.

 

Mais ces gens sont évidemment tous trop confidentiels pour apparaître sur l’écran radar de Mathieu Bock-Côté.