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Transformer la peur en courage: une nouvelle lettre de Mani Soleymanlou

NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur une autre version du blogue Parathéâtre

La peur.  Les Iraniens, sous l’emprise d’un système théocratique, connaissent bien le sentiment.  Le comédien Mani Soleymanlou l’a bien mesuré lorsqu’il s’est exprimé sur ce blogue à propos de la censure par les autorités iraniennes d’un spectacle du metteur en scène Vahid Rahbani (diplômé de l’école nationale de théâtre de Montréal).  Mani semble abasourdi par cette peur, cette paralysie qui empêche bon nombre d’Iraniens exilés d’exprimer leur rejet de la censure et qui a mené certains d’entre eux à lui servir des avertissements de prudence.  Il raconte ça dans une nouvelle lettre que je publie ici dans son intégralité.

On ne vit pas, nous, dans une théocratie.  Mais la peur, celle que voudrait nous faire vivre un gouvernement Harper obsédé par la sécurité et capable d’emprisonner arbitrairement des centaines de manifestants pacifiques à Toronto lors du dernier sommet du G8, ne nous est pas si étrangère.  La prise de parole de Mani Soleymanlou, si elle nous sensibilise à l’aberrante situation iranienne, devrait aussi nous fournir une occasion de réfléchir aux peurs et aux paranoïas entretenues par nos propres gouvernements et notre population.  D’ailleurs, si je ne m’abuse, la pièce de Greg MacArthur qui prend l’affiche du Théâtre d’Aujourd’hui dans quelques jours (Toxique) traite exactement de ce sujet-là.  On y reviendra.

Pour l’instant, voici les mots de Mani:

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Ma patrie: la peur

Ça y est.

Je suis un artiste « engagé ».

Suite à l’apparition de ma lettre sur le blogue de Philippe Couture, j’ai reçu deux sortes de réactions.

La première : bonne.

Suite à sa lecture de ma première lettre, Philippe Ducros, directeur artistique de l’Espace Libre, m’a demandé de la lire lors de la réunion de l’ACT, il y a de ça quelques semaines. Malheureusement, j’ai dû partir tout de suite après les lectures donc je n’ai pas pu assister à la discussion qui suivait.  Dommage.  J’aurai bien aimé entendre ce que les gens avaient à dire.  Peut-être que ma lettre a suscité une réaction… peut-être pas… peu importe.  Yé!  Le Québec me soutient.

Il y a eu également les Iraniens et Iraniennes  contents de ma prise de parole.  Fiers que quelqu’un, un Iranien, «ose» prendre la parole.  Même que quelques personnes, que je ne connais pas, m’ont écrit en farsi.  Je ne lis pas le farsi… dommage.

Passons à l’explication de la deuxième réaction: celle des Iraniens et Iraniennes proches de moi, la moins « bonne » des réactions, la plus contradictoire, la plus inquiétante.  Il y a eu les Iraniens et Iraniennes, ma famille et mes ami(e)s, qui m’ont carrément dit de cesser d’écrire de telles lettres.  De faire attention.  De ne pas aller trop loin.  Ils et elles m’ont rappelé le danger d’une telle prise de position.  Les répercussions possibles et inévitables.  Le DANGER.  Un ami m’a dit : «il y a des espions du régime islamique dans les grandes métropoles comme Montréal et Toronto» et «ils sont assez trou de cul pour me faire du mal ou bien faire du mal à ma famille».  Un autre m’a dit qu’«ils peuvent attaquer ma famille à Téhéran».  Un autre m’a dit : «tu devrais changer ton nom si tu planifies écrire d’autres lettres, comme ça, on ne trouvera pas ta famille à Téhéran» . Ma mère m’a dit: «maintenant, tu peux oublier ton désir de retourner en Iran avec des lettres comme ça».

Ô dieux!  Attaque?  Meurtre?  Exil?  Changer mon nom?  HÉLAS!  Qu’est-ce que je viens de faire?  Est-ce que je viens de mettre ma vie en danger ou pire, la vie de ma famille en danger?  Est-ce qu’on va arrêter mon père, qui, il y a deux semaines, est parti en Iran? Est-ce que je viens de faire un Panahi de moi?  Vais-je être renié par mon peuple?  Interdit d’entrer dans mon pays?  Est-ce qu’on va me retrouver avec une balle dans la tête, à N.D.G, là où les espions du régime islamique sont probablement cachés?  TOUT ÇA À CAUSE D’UNE LETTRE?

Que faire?  Devrai-je signer mes lettres avec un pseudonyme?  Mani Soleymanlou deviendra Manu Saulier-Mondoux ou bien Sami tout simplement?  Peut-être devrai-je me cacher quelque part pour qu’on ne puisse pas me retrouver?  Teindre ma barbe?

M’autocensurer en voulant dénoncer la censure de l’art dans mon pays d’origine?!?!

Pas sûr.

Je vais commencer par remercier tout ceux et celles qui m’ont félicité pour la prise de parole.  Ensuite, je vais dire à ceux et celles qui m’ont dit l’inverse que ce n’est pas en ayant peur qu’on peut dénoncer quoi que ce soit.  Qu’en ayant «peur», on ne fait que contribuer à ce régime de «peur» que le gouvernement iranien a installé.  Que c’est cette «peur» qui a freiné l’élan révolutionnaire du peuple iranien lors des premières vagues de manifestations, il y a trois ans.

Je me suis dit, suite à la relecture de ma première lettre, que ma prise de position était un peu convenue, voir banale, un peu à la saveur du mois, très «Facebookien».  Mais la peur de mes compatriotes iraniens confortablement installés dans leur vie d’Iraniens exilés me donne envie de continuer à nourrir cet espace de réflexion et de contribuer à faire de la diaspora iranienne montréalo-canadienne une communauté qui va se positionner, exister et changer cette honte, peur et inaction en fierté, courage et action.

MANI SOLEYMANLOU


Mani Soleymanlou dans une scène du Dragonfly of Chicoutimi, de Larry Tremblay, mise en scène de Claude Poissant, qui reprend l’affiche de l’Espace Go cette semaine. Crédit: Danny Taillon