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Débats de la semaine: l’ennui et la critique

NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur une autre version du blogue Parathéâtre

«S’ennuyer au théâtre, c’est normal.»  C’est ce qu’écrivait lundi dernier le jeune auteur dramatique Eric Noël sur le blogue du CEAD (blogue qui, soit dit en passant, est en train de devenir une plate-forme de réflexion très stimulante.)  «Ça veut souvent dire que quelque chose n’a pas été pensé en terme d’efficacité.  C’est même parfois un procédé, un chemin qu’il faut emprunter, un espace qu’il faut installer pour accéder au sens

 

Vous le voyez bien, Eric Noel ne parle pas tellement d’ennui que d’exigence, que de cet espace de suspension recherché par les artistes les plus soucieux de toucher au sacré et au sens, de retrouver sur scène une place pour l’abstrait, l’impénétrable, l’indicible, toutes ces choses prétendument inutiles dans une société de performance et de loisirs comme la nôtre.  Ce qu’Éric Noël appelle l’ennui n’a rien d’ennuyant.  Mais ça a donné lieu à un petit débat, vous irez voir.

 

Eric parle ensuite du banal.  Pire que l’ennui, le théâtre banal, consensuel, même s’il est divertissant et séduisant sur le coup, fait trop souvent la loi sur la scène québécoise.  Ça m’a fait penser à un courriel que j’ai reçu récemment d’une amie qui vit en ce moment à Bruxelles.  Elle me faisait la liste des spectacles qu’elle s’apprêtait à voir, certains à Berlin, d’autres à Bruxelles, d’autres à Anvers.  Une liste impressionnante, qui m’a fait verdir de jalousie.  On y trouvait la nouvelle création de Rodrigo Garcia, deux récentes mises en scène d’Ivo Van Hove, Crave de Sarah Kane dans une mise en scène de Thomas Ostermeier, la nouvelle création de Falk Richter, Prométheus de Jan Fabre, ainsi que des pièces d’Anne Theresa de Kaersmaker, Sidi Larbi Cherkaoui et Romeo Castellucci.  Tous des grands metteurs en scène, certes, qui peuvent aussi devenir convenus et paresseux en répétant ad nauséam les mêmes procédés, mais qui ne sont jamais banals.  Mon amie terminait son courriel par une phrase assassine. « Je m’ennuie de Montréal, mais je ne m’ennuie pas du théâtre montréalais. »

 

Sa liste m’a rappelé ce que je voulais dire quand, un jour, j’avais osé écrire que la saison théâtrale qui s’achevait avait été «moyenne».   Je me souviens que ce commentaire n’avait pas été fort bien accueilli – il n’était pas très nuancé (ce qui n’est pas mon habitude), mais il correspondait à ce sentiment que j’éprouve souvent au théâtre à Montréal.   Celui d’être en présence d’un théâtre de qualité, de reconnaître un certain nombre de forces vives, un talent certain et une indéniable urgence créative, mais aussi une peur terrible et injustifiable de déplaire, de sortir du cadre, de faire fuir les spectateurs et de déranger.

 

En écrivant ce jour-là que la saison avait été moyenne, je m’étais dit que c’était mon devoir d’exprimer mon sentiment pour que ces forces vives du théâtre québécois aient envie de rugir un peu plus fort et de sortir de la banalité.  Je me disais qu’un critique de théâtre a le devoir de faire ça.

 

Cette semaine également, la blogueuse Catherine Voyer-Léger faisait une déclaration d’amour aux critiques et précisait qu’elle les préfére plus «condescendants que complaisants».  Le lendemain, le comédien Frédérick Bouffard écrivait sur le blogue de Christian Saint-Pierre qu’il faut «être capable d’accepter la critique». À condition qu’elle soit nuancée, compétente, bien sûr, et qu’elle s’attarde à véritablement réfléchir aux œuvres.

 

Frédérick Bouffard, par ailleurs un excellent comédien, travaille surtout à Québec. Je ne sais pas ce qui a motivé son désir de prendre parole sur cette question, mais j’ai eu vent que le milieu théâtral de la Capitale a été pas mal échaudé cette semaine par une critique d’Éric Moreault dans Le Soleil.  Il faut dire que Moreault a la lourde tâche de remplacer au Soleil l’érudit Jean St-Hilaire, qui y a exercé la critique de théâtre pendant vingt-cinq ans.  Or, il est normal que les gens de théâtre de la Capitale vivent un choc, car l’admirable St-Hilaire avait pour politique de ne jamais trop maltraiter les œuvres, de les accompagner délicatement en fournissant à ses lecteurs des clés de compréhension (ce qui est fort bien), mais de minimiser ses réserves et d’épargner tout le monde sans exception.  Jean St-Hilaire faisait de la critique dans un souci pédagogique et s’occupait de protéger le petit milieu théâtral de Québec, réputé fragile (petites compagnies, petites salles, revenus précaires, bassin de public plus limité qu’à Montréal).

 

À Québec circule donc très fort l’idée que le discours du critique s’insère dans le mécanisme promotionnel d’un spectacle, surtout pour les jeunes compagnies qui n’ont pas d’immenses budgets de marketing.  Bouffard en parle dans sa lettre.  Cette idée là suppose qu’un critique devrait toujours protéger de ses foudres les jeunes compagnies non-rentables.  Pour ne pas les décourager de créer, pour leur donner une chance de rencontrer tout de même un public.  St-Hilaire observait cette règle à la lettre.  Or, c’est questionnable.  Avec tout le respect que je dois à ce vénérable critique, je crois qu’il ne fera pas de tort aux artistes de Québec de faire une distinction plus nette entre la critique et la promo.  (Et à ceux de Montréal aussi, car ce fléau existe à moindre échelle dans la métropole).

 

Bien sûr, je crois aussi qu’il ne sert à rien de tirer à bout portant sur les initiatives des jeunes compagnies.  En cas de doute, le critique a tout loisir de s’abstenir de commentaires pour laisser aux jeunes artistes le temps d’approfondir leur travail sans subir la pression de la critique.  Mais l’idée voulant qu’une critique négative ait un si grosse influence sur la fréquentation des salles me semble sortie d’une autre époque.  Les spectateurs n’attendent plus les critiques pour acheter des billets, sauf peut-être les plus frileux, et ceux-là ne se rendront de toute façon jamais jusqu’au Théâtre Premier Acte où se produisent les jeunes compagnies de la Capitale.  Et même si la critique avait ce pouvoir, son rôle serait tout de même d’observer les œuvres d’un regard exigeant.

 

C’est drôle, mais après avoir vécu ce débat l’an dernier à Montréal (avec Olivier Choinière, notamment), et le voyant surgir à Québec, j’ai l’impression que Catherine Voyer-Léger n’est pas la seule à être en manque de critiques non-complaisantes et à rêver de textes plus grinçants.

 

Parce qu’un critique a aussi le devoir de ne pas sombrer dans la banalité.  Avec des collègues, on appelle les critiques banales des critiques «beiges».  Ce sont ces critiques dans lesquelles l’auteur ne prend position que très mollement ou ne trouve rien de particulièrement édifiant à dire sur un spectacle.  J’en écris parfois, peut-être même plus souvent que je ne suis prêt à l’admettre.  Je le confesse.

 

Mais parfois, il est difficile de ne pas écrire une critique beige quand on traite d’un spectacle beige.  Dure réalité.