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Calmer le jeu

NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur une autre version du blogue Parathéâtre

Je dois vous dire que je suis sidéré par les réactions à l’annonce de la présence de Bertrand Cantat dans la trilogie des femmes de Wajdi Mouawad.  Au moment où j’écris ces lignes, Lorraine Pintal explique à la radio que la France et le reste du monde, pour l’instant, n’ont pas eu cette réaction émotive et démesurée.

Cet homme a commis un geste inacceptable.  Il a purgé sa peine.  Il a le droit de réintégrer la société.  À ce sujet je pense comme Marc Cassivi, qui a exprimé avec beaucoup de doigté une position très équilibrée, en accord d’ailleurs avec les principes de réintégration sociale adoptés par notre société.

Mais abordons, si vous le voulez bien, cette question d’un point de vue artistique.

Si Bertrand Cantat a le droit de vivre dans notre société, il a aussi le droit d’être un artiste et d’être reconnu pour son travail.  À partir du moment où notre société a accepté de le réintégrer, il n’y a pas de raisons de faire de lui un citoyen de second rang et de lui interdire l’accès à la scène.  Applaudir la pièce de Wajdi Mouawad n’équivaut pas à applaudir son meurtre.  Ça n’a rien à voir.

Imaginons par exemple qu’un artiste de théâtre décide de créer un spectacle avec des prisonniers anonymes, tous reconnus coupables de meurtres.  Pas dans un esprit thérapeutique, mais bien pour poser un geste artistique, parce qu’il juge que ces prisonniers pourront servir son projet et poser des questions stimulantes au spectateur.

Il y aurait là un projet valable.  Une œuvre d’art se doit d’aborder librement et courageusement les enjeux les plus difficiles, même si elle propose une vision du monde qui n’est pas en accord avec le consensus social.  Les artistes de tous temps ont été des fouteurs de merde qui ont le devoir d’ébranler les certitudes et de proposer de nouveaux regards sur l’humanité.  Bien sûr, ils doivent respecter la loi.  On n’accepterait pas, par exemple, qu’un meurtre soit commis sur scène chaque soir pour des raisons artistiques.  Mais le meurtre commis il y a huit ans par Bertrand Cantat, aussi ignoble soit-il, a été jugé par des autorités compétentes et a été pardonné.  L’œuvre que nous proposera Wajdi Mouawad pourra être interprétée différemment par ses spectateurs, elle pourra être dénoncée, adulée, expliquée, commentée, huée, applaudie, mais le geste artistique qu’il pose ne peut pas être vu comme une banalisation du crime commis par Bertrand Cantat ni comme une tentative de l’occulter.  D’autant qu’ici, ce sont ses talents de musicien qui sont sollicités. Je n’hésiterai pas à aller applaudir ce talent s’il vaut le coup et s’il fait bien résonner les mots de Sophocle et la mise en scène de Wajdi Mouawad.

Bien sûr, les tragédies mettent en scène des femmes à l’hybris enflammé qui se battent contre les hommes et les dieux.  Antigone est une héroïne féministe, elle résiste de toute ses forces à la domination masculine.  La présence de Bertrand Cantat dans un tel univers est évidemment une provocation.  Mais justement.  Cela posera des questions fort stimulantes.  Il faudra s’interroger sur les propos transmis par le spectacle et sur la manière dont sa présence résonne par rapport à ces propos.  Attendons de voir.