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Récit avignonnais 1: la mi-parcours

 

NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur une autre version du blogue Parathéâtre

C’est le weekend de la mi-parcours au festival d’Avignon.  Moment d’agitation: c’est maintenant que débarquent un grand nombre de festivaliers espérant attraper les dernières représentations des pièces ayant marqué la première moitié du festival, avant de voir les spectacles de la deuxième moitié.  Entre autres à venir: Romeo Castellucci, Wajdi Mouawad, Guy Cassiers, Meg Stuart, Christophe Fiat, et une relecture très attendue de Mademoiselle Julie par les brittanniques Katie Mitchell et Leo Warner.

Pour ceux qui, comme moi, restent au festival du début à la fin, l’heure est au bilan de mi-parcours:  on cherche déjà à prendre une distance réflexive sur les premiers spectacles vus, pour mieux embrasser la suite.

Bilan personnel de mi-parcours:  je ne vous ai encore rien raconté sur ce blogue, d’ailleurs inactif depuis plusieurs semaines.  Mea culpa.  Je vous souhaite tout de même fidèle au rendez-vous.  Et je rectifie le tir cette semaine, promis.

Mais puisque vous êtes des lecteurs du Devoir, vous savez que j’ai surtout été stimulé par les pièces de Patrice Chéreau (I am the wind), de Vincent Macaigne (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre – photo ci-dessus) et de Kelly Copper et Pavol Liska (Life and Times épisodes 1 et 2).  Je vous racontais ça ici, il y a quelques jours.

Il faudrait ajouter à cette liste la pièce d’Arthur NauzycielJan Karski (Mon nom est une fiction), spectacle très sobre qui articule en trois temps le témoignage de Jan Karski, ce résistant polonais qui à dévoilé l’extermination des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale sans être véritablement écouté, du moins selon la version du romancier Yannick Haenel qu’a choisi le metteur en scène. On a reproché, ici, à Nauzyciel d’adhérer sans nuances au parti-pris du romancier, malgré le fait que des historiens contestent la validité historique du témoignage de Karski tel que le raconte Haendel. N’empêche, Nauzyciel a fait un remarquable travail scénique, donnant à voir le témoignage de Karski comme on regarderait une archive vivante. Un spectacle autour duquel planent doucement  les échos du passé et la nécessité de la mémoire.  Et surtout, dans le rôle de Karski, le remarquable comédien Laurent Poitrenaux, sûrement l’un des plus grands acteurs français vivants (pardonnez l’emphase mais, vraiment, c’est justifié).

Mentionnons aussi Enfant, très belle chorégraphie de Boris Charmatz, artiste associé du festival.  27 enfants et 9 danseurs se partagent la scène de la Cour d’Honneur du Palais des Papes – les adultes chorégraphient les corps des enfants inertes, les étreignant, les entortillant, les faisant sauter et virevolter, jusqu’à ce que les rôles soient inversés et que la fragilité laisse place à une certaine fermeté.  Bien que le propos soit mince et se tienne en équilibre précaire sur les frontières de l’enfance, se jouant des tensions entre la douceur et la violence chez l’enfant normalement constitué, la pièce évite de se complaire dans le mythe de l’innocence perdue (piège dans lequel tombe, hélas, le jeune metteur en scène Cyril Teste dans sa pièce Sun, ne misant que sur l’attendrissement et la compassion).

Pour le reste, il faut avouer que les grands frissons ne sont pas au rendez-vous, et que la plupart des spectacles n’ont pas été foudroyants d’intelligence, ni esthétiquement percutants, ni particulièrement inventifs, ni très touffus.  Les spectateurs qui s’excitaient du retour de Juliette Binoche au théâtre ont sans doute déchanté quand ils ont vu l’artificielle mise en scène dans laquelle Frédéric Fisbach la fait évoluer: une Mademoiselle Julie obscurcie par une fausse actualisation de la pièce, dépourvue de sens malgré le très joli décor de plexiglasse, épuré et ultra-contemporain, mais désincarné et désinvesti.  Beaucoup de confusion, aussi, et de cabotinage dans La Paranoïa, de l’auteur argentin Rafael Spregelburd, mise en scène d’Élise Vigier et Marcial di Fonzo Bo.  Pareil dans Oncle Gourdin, de Sophie Pérez et Xavier Boussiron.  Et j’en passe.

Plus d’une quinzaine de spectacles prennent l’affiche ce weekend et au cours des prochains jours, et pas les moindres.  Je suis prêt pour la phase 2.  Je vous tiens au courant.

*Toutes les photos sont de Christophe Raynaud de Lage