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Récit avignonnais 2: le choc Rambert et le tumulte de la danse

NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur une autre version du blogue Parathéâtre


Sur la photo, les comédiens Stanislas Nordey et Audrey Bonnet dans La Clôture de l’amour, de Pascal Rambert, sur la scène de la salle Benoit-XVI au festival d’Avignon.

Le choc.  Je ne connaissais pas Pascal Rambert.  Ou seulement de nom.  Honte à moi, car voilà un auteur mature, dont l’écriture adopte des rythmes et des postures guerrières pour dire le malaise du couple et les déchirements fondamentaux de la vie à deux. Rien de très neuf dans la situation: c’est une rupture amoureuse.  Stan entre sur scène et balance son monologue de rupture à Audrey, qui encaisse, et ensuite répond.  Oh ça n’a rien de banal, une rupture ne l’est sans doute jamais, mais sur une scène de théâtre, la chose paraît d’emblée convenue.  Erreur.  Rien n’est convenu quand les mots claquent aussi fort que chez Rambert, dont la langue fait des détours pour mieux rebondir, se fait grandiloquente pour mieux saisir la vastitude de l’effondrement et embrasse bien plus large que l’intimité.  C’est l’idée même du couple qui est ici mise à mal, l’impossibilité fondamentale de l’amour qui est mise en lumière, parce qu’«un jour le voile se déchire», comme le dit Stan, et «les mots deviennent froids», comme le dit Audrey.  Une vérité aussi crue n’est pas facile à prendre, mais les mots de Rambert la rendent évidente, limpide, et surtout bouleversante.  Sur la scène éclairée pleins feux, les corps de ce deux magnifiques comédiens se raidissent puis s’affaissent, prennent les coups et contre-attaquent:  du grand art.  Audrey Bonnet est une grande actrice, aussi ferme que fragile, et Stanislas Nordey s’arme ici d’une puissante énergie dans le dire, assez forte pour appuyer sa gestuelle maniérée (c’est sa marque de commerce, singulière, mais non appropriée à toutes les dramaturgies).  Honnêtement, je nous souhaite ce spectacle sur une scène montréalaise.  Je suis persuadé que ça «cartonnerait» chez nous, comme disent les amis français.  Sinon, le texte est publié aux Solitaires Intempestifs, et ça se lit d’un trait, passionnément. 

Autrement, le festival propose cette semaine son lot de grands frissons dansés.  Je vous en parle avec prudence, pas mon champ de spécialisation, mais tout de même.

A 5h du matin, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, Anne Teresa de Keersmaeker propose l’expérience de traverser le jour  en compagnie de ses danseurs et des chanteurs de l’ensemble vocal Graindelavoix; une expérience aux résonnances sacrées. Pas de lumière artificielle dans ce spectacle intitulé Cesena; le spectateur ne distingue d’abord que des ombres, des silhouettes quasi-imperceptibles qu’il reconnaît au son délicat de leurs pas sur la scène obscurcie par la nuit.  Puis le soleil monte et dévoile les corps et les visages, lesquels jamais ne s’excitent, cherchant à s’harmoniser aux chants médiévaux et à la prestance des lieux.  Spirituel.

Meg Stuart, elle, propose Violet, une pièce bien plus abstraite et plus formelle que ce à quoi elle nous a habitués. Finies les explorations des tensions sociales, qu’elles soient familiales (Do Animals Cry) ou amoureuses (Forgeries, love and other matters): la chorégraphe américaine orchestre aujourd’hui des corps en transe ou en quête d’un nouveau rapport à l’espace – une dynamique corporelle qui ne soit pas de l’ordre du social mais relèverait plutôt de la physique élémentaire.  Les danseurs s’abandonnent aux convulsions et aux répétitions: corps haletants, hoquetants, mécanisés ou sautillants, comme sensibles aux énergies invisibles qui les traversent.  Chacun suit sa propre partition, ne rencontrant l’autre que très rarement:  la transcendance est surtout une affaire individuelle.  L’ensemble est plutôt planant, par moments hypnotique, généralement contemplatif, mais non dénué d’une certaine progression dramatique.  On est toujours chez Meg Stuart, toujours dans la danse-théâtre, dans une gradation de l’intensité qui, intentionnellement ou non, laisse toujours une petite place à la narrativité, même minime.

Je m’arrête ici pour l’instant.  À venir: des échos des nouvelles pièces de Romeo Castellucci, Guy Cassiers et, devinez qui: Wajdi Mouawad…