NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur le blogue de Philippe Couture sur revuejeu.org
Dans le numéro 138 de Jeu, dans un texte intitulé «Miroir, miroir, dis-moi qui je suis – les jeunes compagnies vues par elles-mêmes »,je constatais que trop de jeunes compagnies de théâtre se définissent de manière floue et ne semblent pas proposer une vision artistique forte, ayant bien souvent créé leur compagnie simplement pour réaliser leur premier projet, parfois clairement pour se «donner de l’emploi». En d’autres mots, je m’inquiétais de voir que le seul moyen de se donner une place dans le milieu théâtral ou de se développer comme jeune artiste est de fonder une compagnie: un geste qui ne devrait pas, à mon avis, être autant pris à la légère.
D’autant que, comme le soulignait au dernier congrès du CQT la directrice artistique du OFFTA, Jasmine Catudal, «fonder une compagnie place tout de suite les jeunes artistes dans une vision administrative de l’art. Une fois que leur premier projet artistique est réalisé, la compagnie doit survivre et il faut nourrir la bête: le moteur de création n’est alors plus l’urgence de créer mais bien la nécessité de faire vivre la compagnie. C’est une erreur.»
Mais faut-il pour autant décourager les jeunes artistes de créer leurs propres spectacles? Bien sûr que non.
Or, il se trouve que Jasmine Catudal, à qui j’ai parlé brièvement au téléphone, a de très bonnes idées pour contrer le phénomène de la multiplication effrénée de compagnies de théâtre. Au congrès sur l’institution, déjà, elle évoquait quelques iniatives européennes qui l’inspirent. En Hollande et en Belgique, par exemple, certaines institutions prennent de jeunes artistes sous leur aile le temps d’un projet ou deux, pour leur permettre de faire des essais et erreurs dans leurs murs, avec leur soutien.
« Ces jeunes artistes-là, explique-t-elle, n’ont pas besoin de faire directement leurs demandes de subventions aux conseils des arts et de se constituer en compagnie. Ça les libère d’une lourdeur administrative. Ça réduit le problème de saturation au conseil des Arts, qui est incapable de répondre convenablement aux demandes de subventions venant de jeunes compagnies toujours plus nombreuses. Ça crée aussi, et c’est le plus important, un climat de dialogue entre les institutions et les jeunes artistes – je trouve que ce corridor de dialogue intergénérationnel n’est pas assez grand chez nous. Les directeurs artistiques de nos théâtres établis, d’ailleurs, sont en meilleure position pour prendre connaissance des démarches proposées par les jeunes artistes, qu’ils connaissent mieux et desquels ils sont plus proches que les jurys de pairs de nos conseils des arts, débordés par l’excès de demandes et n’ayant pas le temps d’évaluer chacune d’elles en profondeur.»
«Par exemple, ajoute-t-elle, je trouve que ce que fait Ginette Noiseux cette année avec Sophie Cadieux est extraordinaire. En invitant la comédienne en résidence, l’Espace Go tisse un premier fil de transmission entre les générations.»
Et vous savez quoi? Pour réaliser de tels projets, Catudal propose d’essayer de réfléchir à une réorganisation des fonds distribués par les conseils des arts, plutôt que de réclamer de l’argent neuf qui de toute façon ne viendra jamais. «Il faut repenser les manières mêmes de subventionner. Notre conseil des arts est jeune. Il est normal qu’on doive en revoir le fonctionnement à mesure que le milieu se modifie et que la pratique évolue. Il n’est pas fait pour répondre aux demandes émergeant de la surenchère des compagnies. Il ne correspond pas à l’écologie actuelle du milieu. Une réorganisation de la distribution des fonds pourrait permettre de nouvelles initiatives. Il faut arrêter de croire que la solution réside toujours dans l’argent neuf.»
Idées inspirantes, n’est-ce-pas? On en reparlera assurément, car Jasmine Catudal prévoit approfondir cette réflexion. Bonne nouvelle: elle vient de se joindre au conseil du CQT. À suivre…
À lire aussi: le résumé de notre entrée libre autour de la question «Y-a-t-il trop de compagnies théâtrales pour les fonds disponibles?»