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Durocher et Martineau cherchent scandale chez Castellucci

NOTE : Ce texte a d’abord été publié sur le blogue de Philippe Couture sur revuejeu.org

Richard Martineau interviewe Marie-Hélène Falcon à l'émission Franchement Martineau (LCN), le 22 février 2012

Je réagis un peu en retard, pardon. Déjà près de deux semaines se sont écoulées depuis que le couple Sophie Durocher/Richard Martineau s’est emparé, avec d’assez gros sabots, de la question de la controverse créée par des groupes catholiques traditionnaliste lors des représentations à Paris de Sur le concept du visage du fils du Dieu, de l’Italien Roméo Castellucci, que les Montréalais auront le plaisir de voir tout bientôt au FTA. (Relire ici mon dernier billet sur le sujet pour vous rafraîchir la mémoire, puis les textes de Martineau etDurocher dans le Journal de Montréal). 

 

Martineau, surtout, a essayé tant bien que mal d’agiter ce scandale, sans avoir trop l’air d’y croire, mais en posant tout de même des questions décalées, populistes, déprimantes. Sur LCN, en entrevue avec la directrice artistique Marie-Hélène Falcon, il n’a pas pu s’empêcher de demander: «Madame Falcon, le théâtre a tellement de mal à faire parler de lui dans les médias, avez-vous programmé cette pièce pour être invitée à Franchement Martineau?»

Heureusement, Falcon, sereine, ne s’est pas emportée. «Tout ce que je veux, c’est entrer en dialogue avec le monde, avec mon époque», a-t-elle répliqué.

La scène du lancer des grenades sur le visage de Jésus dans Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Roméo Castellucci
La scène du lancer des grenades sur le visage de Jésus dans Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Roméo Castellucci
Martineau ne semble pas comprendre que tout le monde n’est pas comme lui, que tout le monde ne cherche pas simplement à brasser de la merde pour faire parler de soi et éveiller la clameur populaire sans fondements. Pourtant, l’entretien se déroulait de façon étonnamment intelligente jusque-là. Le chroniqueur-vedette semblait même comprendre le propos de Castellucci (Dieu nous a-t-il abandonné?) et approuver son geste artistique. «L’art est là pour déranger, je vais aller voir cette pièce-là», a-t-il conclu.

N’empêche, il a reposé à Marie-Hélène Falcon la question un peu hors-sujet qu’il déclinait dans sa chronique du jour au Journal de Montréal. «Le Festival TransAmériques et la Place des arts auraient-ils accepté de présenter une œuvre dans laquelle une dizaine d’enfants lancent des grenades sur une image géante du visage de Mahomet?»

Alors, que répondre à cette hypothétique question? Certains commentateurs de l’article de Martineau dans le JDM accusent Falcon de ne pas y avoir répondu, d’avoir esquivé la question. Normal quand la question ne s’appuie sur rien. Tout dépend de la manière dont un artiste présenterait une scène de grenades lancées sur Mahomet. Chez Castellucci, la scène des grenades arrive après une longue scène de dysenterie, où un fils lave le corps souillé de son père devant le visage du Christ. La signification du lancer des grenades est à trouver dans le dialogue que cette scène entretient avec la touchante scène du père et du fils, dans une série d’associations et de questions se faisant écho, sur la foi, sur l’absence de Dieu lors des situations d’indignité humaine. Falcon l’a dit à LCN: on peut considérer ce lancer de grenades comme une prière, comme un appel à Dieu.

Et si c’était Mahomet au lieu de Jésus? La signification serait la même dans ce contexte précis. Un autre artiste s’attaquant à Mahomet pourrait le faire différemment, mais il faudrait voir son travail et l’analyser avant de le juger blasphématoire. Cela, les catholiques intégristes qui ont perturbé les représentations de Paris ne l’ont pas fait. Ils n’avaient pas vu le spectacle. Ceux qui, comme moi, l’ont vu au festival d’Avignon ou ailleurs, n’en ont pas conclu que Castellucci posait un geste iconoclaste. Dans les critiques des principaux journaux français, vous ne lirez d’ailleurs nulle part que la pièce est anti-catholique, pas même dans le journal catholique La Croix.

Comme l’a dit Marie-Hélène Falcon, Castellucci est lui-même catholique. Il questionne dans cette pièce son propre héritage catholique, et celui de son pays. N’est-il pas légitime pour un catholique de réfléchir à sa propre foi? Ou pour un citoyen d’un pays à forte tradition catholique? Ce serait différent si Castelluci, s’affichant catholique, décidait de souiller l’iconographie musulmane dans le but avoué de contester la légitimité de l’islam en Occident. Mais rien de tel ne se produit ici. La question ne se pose donc pas.

Meilleure chance la prochaine fois, Martineau. Pas de controverse en vue à Montréal.