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Marie-Hélène Falcon: la femme du risque

Marie-Hélène Falcon | © Neil Mota
Marie-Hélène Falcon | © Neil Mota

Le FTA commence ce soir et on croisera sa directrice Marie-Hélène Falcon dans toutes les salles de spectacle, accompagnant ses artistes et son festival de près, infatigable malgré son âge respectable (elle est née en 1942, rappelle Marie-Claude Lortie dans un article paru cette semaine dans La Presse).

Je me souviens de ma première année comme critique à couvrir le FTA dans l’effervescence, me disant que nous avions là une femme de tête, véritable érudite de la scène internationale (il y en a si peu au Québec), et que ses choix artistiques, malgré un évident manque de moyens, étaient toujours dans le mille. Elle est à des années-lumière du conservatisme qui afflige quelques directeurs de théâtre de cette ville et sa croyance en un « théâtre qui rompt avec les attentes » lui assure de ne pas tomber dans les filets du théâtre commercial. Elle m’a pourtant paru un brin antipathique quand nous fûmes présentés la première fois. C’est une femme exigeante, dont l’enthousiasme ne se manifeste pas pour des broutilles, et il faut dire que devant le jeune blanc-bec fraîchement sorti de l’université et déjà un peu trop prétentieux à l’écrit, il n’y avait rien pour s’épancher.  Je me suis permis, d’ailleurs, de la critiquer plus durement que d’autres, dès mes débuts. Parce qu’un festival de cette envergue ne mérite aucune complaisance.

Une scène de Conte d'amour, de Markus Öhrn

Si j’avais eu à écrire un portrait de Marie-Hélène Falcon, j’aurais sans doute raconté, pour faire image, notre courte discussion à la sortie de la salle de spectacle de Védène pendant le festival d’Avignon l’été dernier. Je la croise là chaque été depuis quelques années  et, au fil du temps, même si nos échanges sont restés brefs et professionnels, vous aurez compris qu’elle a totalement cessé de me paraître antipathique. Ce jour-là, à Védène, on venait de voir Conte d’amour, de Markus Öhrn. Marie-Hélène Falcon m’a aperçu et m’a lancé tout de go, dans une familiarité qui m’a un peu décontenancé et avec un regard de feu : « T’es mieux d’avoir aimé ça! » C’était la passion à l’état brut, le transport fiévreux qui s’empare d’une directrice artistique lorsqu’elle comprend qu’elle vient de découvrir un artiste dont l’oeuvre lui semble profondément neuve et absolument urgente. Un artiste qui allait sans aucun doute marquer la prochaine édition de son festival.

La chose est sur le point de se produire. Le FTA commence aujourd’hui et si je me doute que le spectacle de Thomas Ostermeier (un chef d’oeuvre de théâtre politique) fera couler de l’encre, je suis persuadé que Conte d’amour de Markus Öhrn aura un impact encore plus puissant. Il va diviser, bien sûr, car sa forme et son propos sont déconcertants. Mais il laissera une marque indélébile à cause de son regard sans compromis sur l’amour filial, l’obsession de la possession de l’autre et l’héritage patriarcal qui nous constitue. Un spectacle dérangeant, radical, hors-norme, mais surtout intelligent. Et inattendu. Personne, à Avignon, n’avait vu venir une telle bombe.

C’est pour ça que j’aime le FTA et que j’aime le travail de Marie-Hélène Falcon. Grâce à elle, Montréal découvre presqu’en même temps que tout le monde l’étonnant Suédois que le théâtre n’attendait pas. On n’a pas souvent cette chance. J’espère que vous en profiterez.

Et moi, je profite de ce début de festival, période effervescente s’il en est une, pour réanimer ce blogue qui a été actif ici entre 2009 et 2011 et auquel j’espère donner un puissant second souffle. Vous y trouverez, pendant les prochaines semaines, des comptes-rendus critiques et des récits festivaliers. Puis, il redeviendra un lieu de débats et de zizanie : un espace ouvert de réflexion et de discussion sur les enjeux qui bousculent la scène théâtrale québécoise.