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Avignon 2009: troisième semaine haute en couleurs

La troisième semaine du festival d'Avignon s'achève déjà. Il y a eu la venue de Dave St-Pierre, dont je vous ai déjà abondamment parlé, mais aussi quelques spectacles très attendus comme la nouvelle création de Stefan Kaegi, ou le Riesenbutzbach de l'allemand Christoph Marthaler et l'événement Casimir et Caroline, pièce à grand déploiement des hollandais Johan Simons et Paul Koek qui a pris d'assaut la Cour d'Honneur du Palais des Papes hier soir. Trois spectacles attendus, et trois expériences fort différentes: un morceau d'intérêt, un bijou rare et un navet à oublier de suite.

RADIO MUEZZIN

De Stefan Kaegi, créateur suisse installé à Berlin, les Montréalais et les Québécois se rappellent le délicieux Mnemopark, présenté au Festival Trans-Amériques et au Carrefour international de théâtre de Québec en 2007 (on clique ici pour se rafraîchir la mémoire). Fidèle à sa démarche de théâtre docu-fiction, toujours en prise sur le réel et résultant d'un travail de recherche sur le terrain, il nous emmène cette fois au Caire, où il s'est intéressé à la vie de quatre muezzins (membres de la mosquée chargé de lancer l'appel à la prière). Il a d'abord été séduit par la beauté de ces voix polyphoniques, quand l'appel retentit et se répercute d'une mosquée à l'autre, puis s'est intéressé au sort de ces milliers de muezzins que le Ministère de la Religion veut remplacer par un appel centralisé pour diminuer la cacophonie. Ils sont donc là en chair et en os: quatre muezzins d'origines et de profils divers, qui racontent leur vie et leur métier, chantent la prière de leur voix plaintive mais belle, et s'accompagnent de photos de famille et d'images du Caire en mouvement sur les quatre télévisions en arrière-scène. Sujet inédit sur une scène de théâtre, tout à fait passionnant et traité avec finesse, sans se heurter aux zones troubles de la religion musulmane ou porter de jugement définitif sur la problématique. C'est plutôt de l'ordre de la présentation des faits, de la confession et du partage, ne dépassant toutefois jamais les limites de l'image sociale et des convenances. Fort instructif, souvent attendrissant et rempli d'humanité, le spectacle ne parvient pourtant pas à sortir du cliché, ce qui réduit un peu sa portée. Kaegi ne cache d'ailleurs pas qu'il a parfois eu du mal à faire parler les muezzins et qu'il a été confronté à la censure égyptienne: ça se sent. Surtout, la démarche est ici tout à fait documentaire et beaucoup moins ludique que dans le cas de Mnemopark. Le point de vue de Kaegi, le regard qu'il porte sur ses muezzins se fait très discret, quasi-absent, et du coup la proposition manque un peu de relief ou de perspective. Néanmoins un travail de grande qualité.

 

RIESENBUTZBACH. UNE COLONIE PERMANENTE

Christoph Marthaler, metteur en scène allemand reconnu pour la précision et la musicalité de ses mises en scène (et qui sera l'artiste associé d'Avignon l'an prochain), propose assurément avec cette pièce le moment le plus jouissif du festival. Sorte de variation polyphonique en trois temps sur le thème de la crise économique, Riesenbutzbach met à profit une formidable troupe d'acteurs dans un théâtre musical et imagé dont l'esthétique bigarrée et la structure symphonique sont d'une cohérence frappante. Une œuvre exigeante mais extrêmement riche de sens, qui nous invite à constater, par un retour à la prospérité des années 70 et la débandade des années 80, à quel point les crises se suivent, se ressemblent et nous enfoncent dans la pauvreté et le misérabilisme. Pas jojo, mais lucide et saisissant. On peut toutefois y voir une panoplie d'autres discours du même acabit, tant les portes sont ouvertes et les images multiples. L'œil est d'abord stimulé par la scénographie monumentale, laquelle recrée des lieux  intérieurs et extérieurs dans un même espace. Elle devient partition complexe quand les acteurs s'y engouffrent ou apparaissent, chantants, dans l'un ou l'autre de ses garages ou balcons qui servent tantôt de caisse de résonance et tantôt de lieux divers. Tout est vraiment symphonique dans cette pièce; les acteurs obéissant à une véritable partition corporelle comme à l'appel du chant choral, interprétant de sublimes morceaux, tout en douceur et en communion. Qu'ils soient aux prises avec l'incommunicabilité, l'obsession de la possession de biens matériels ou la tyrannie du banquier, les personnages de Marthaler se croisent et se décroisent sur un plateau envahi d'une multiplicité d'actions simultanées: une orgie pour l'œil et le cerveau, plongés dans le jeu des associations. Mais tout se tient formidablement bien et c'est un vrai régal. Vivement une visite de Marthaler au Québec !

 

CASIMIR ET CAROLINE

C'était un événement attendu de tous, une pièce musicale de grande ampleur que la chaîne Arte va même diffuser en direct le 29 juillet prochain, un «théâtre total» qui suscitait ici de très grandes attentes. Casimir et Caroline, de Odo Von Orvath, met en scène une rupture amoureuse sur fond de fête foraine, alors que les classes sociales se rencontrent et que l'individu se fracasse à son personnage social et ses ambitions réfrénées. Sur la scène de la Cour d'Honneur du Palais des Papes, des échafaudages touchent aux hauteurs et se déposent au sol près d'une rangée de néons verts. Au premier étage, le mot ENJOY brille de tous ses feux. Scénographie écrasante, tapageuse et bien souvent inutile, à travers laquelle les comédiens circulent péniblement. On voit bien ce que le metteur en scène veut évoquer par là (élévation sociale ou lutte des classes, c'est selon) mais hélas rien de bien signifiant ne s'en dégage. Le principal ennui, c'est qu'on a la triste impression d'assister à une lecture naïve de l'œuvre, où tout a été pris au premier degré, jamais nuancé ou interrogé, jamais projeté dans de réelles idées de mise en scène. Johan Simons est pourtant l'un des metteurs en scène les plus réputés d'Europe du Nord qui, depuis son arrivée dans les Flandres à la barre du NTGent (Théâtre de la ville de Gand), a donné à la compagnie une dimension internationale et attiré au passage l'attention de toute l'Europe. L'essentiel de sa démarche, ici, repose sur l'apport de la musique. Un band accompagne l'action du début à la fin, distillant ses sonorités synthé-pop et ne se faisant jamais oublier; une manière de signifier «l'omniprésence de la vie quotidienne», lit-on dans le dossier de presse. Pourquoi? Cela demeurera une énigme. Cette pièce sera le scandale d'Avignon 2009: le spectacle a même dû être interrompu quelques minutes quand des spectateurs furieux sont sortis en huant et criant">A CHIER ! C EST A CHIER ! FAIRE CA A AVIGNON !». Les événements sont rapportés en détail sur le blogue d’Arte, si jamais ce genre de grabuge typiquement avignonnais vous intéresse.

 Il me reste encore quelques spectacles à voir ce weekend, et en début de semaine prochaine. Je vous en reparlerai sans fautes.

 

Crédits photo:

Christophe Raynaud de Lage (pour Radio Muezzin et Casimir et Caroline)

Dorothea Wimmer (pour Riesenbutzbach)

 

°°Philippe Couture est invité au festival d’Avignon avec le soutien de l’Office franco-québécois pour la jeunesse.