La nouvelle année et l’actualité me fournissent toutes deux le prétexte pour relancer ce blogue, que mon emploi du temps m’avait forcé à suspendre cet automne. L’actualité, c’est bien entendu le fameux Manifeste pour profiter collectivement de notre pétrole publié hier. Ce texte, bien que signé par plusieurs personnalités en vue, est malheureusement mal informé et tout ce pétrole, qui doit nous apporter richesse et prospérité, est une ressource bien incertaine. On nous vend, bien avant de l’avoir tué, un ours qui n’existe probablement pas.
Des spéculations, oui, du pétrole, non
Dans une chronique précédente en septembre, Pas une goutte de pétrole à Anticosti, j’ai rappelé que les 40 milliards de barils de pétrole que renferme supposément l’île ne sont que ça : des suppositions, basées sur des données extrêmement fragmentaires. Pas une goutte n’a encore été trouvée. Même si le potentiel pétrolier d’Anticosti se confirmait, en dépit d’une géologie peu favorable, la quantité réellement récupérable serait beaucoup plus basse, de l’ordre de 800 millions de barils tout au plus.
Même chose pour Old Harry. Les projections du gouvernement fédéral, qui supposent l’existence de 1,5 milliard de barils récupérables, reposent elles aussi sur des projections basées sur le type de roche présent : « Le bassin contient des roches-réservoirs de grès en abondance, de l’argile litée et du charbon comme roches-mères sources d’hydrocarbures et de nombreuses structures géologiques pour le piégeage possible d’hydrocarbures. » On ajoute que cette formation a 12 km de profondeur.
Ces maigres résultats reposent sur des forages menés dans le Golfe du Saint-Laurent depuis… 1944. Le moins qu’on puisse dire, c’est que si les fonds marins regorgent de pétrole, tous les projets d’exploration qui se succèdent depuis 70 ans ne l’ont pas trouvé. En fait, on cherche du pétrole au Québec depuis le XIXe siècle et les découvertes sérieuses se font attendre. Des puits marginaux ici et là? Peut-être. Des gisements importants? Impensable.
Une géologie peu favorable
À Old Harry, la présence de roche-mère, où le pétrole a pu se former, ne signifie pas qu’il s’y trouve toujours : en l’absence de roches étanches ou en présence de failles géologiques, le pétrole a tendance à lentement percoler vers la surface, où il s’évapore. Enfin, la profondeur de 12 km ne signifie rien : à partir de 3800 mètres de profondeur, le pétrole se transforme en gaz naturel. Sous les 5000 mètres, il se transforme en graphite – de la vulgaire mine de crayon!
Les signataires du Manifeste ignorent ces indices géologiques peu encourageants. Ils vont jusqu’à prétendre que la production pétrolière de l’Ohio – dont la géologique s’apparente à la nôtre – sera une immense source de prospérité. Or, malgré des années d’efforts, la production totale de l’Ohio, en 2013, n’a été que de 1,3 million de barils. Cela représente 3560 barils par jour, soit à peine 1 % de la demande québécoise. Quant aux 200 000 emplois, on les cherche encore.
Des risques environnementaux sous-estimés
Les signataires affirment aussi que l’exemple de la Norvège montre qu’on peut exploiter du pétrole sans polluer l’environnement. En fait, les déversements de pétrole sont fréquents en Norvège. Mais la côte norvégienne est très longue et donne sur la mer ouverte. Rien à voir avec le Saint-Laurent, l’une des voies navigables les plus dangereuses au monde, un milieu fermé recelantde puissants courants, de fortes marées et des glaces flottantes. Ce n’est pas pour rien qu’avant 1759, toutes les flottes britanniques qui s’y sont aventurées se sont perdues corps et biens.
De nos jours encore, nos moyens d’intervention sur le fleuve restent insuffisants. Le 6 janvier, un navire chargé de 6,5 millions de litres de pétrole est parti à la dérive à Sorel et s’est échoué dans le lac Saint-Pierre. Il a fallu des jours pour en reprendre le contrôle, pendant que trois autres navires étaient pris dans les glaces sur la Côte-Nord. Le 16 décembre, deux barges se sont échouées sur la côte gaspésienne, littéralement sur l’emprise de la route 132 : elles y sont encore, les moyens manquent pour les dégager. En cas de déversement majeur, nous serions impuissants.
De l’argent facile, vraiment?
Le jeu en vaut-il la chandelle? Les signataires du manifeste soutiennent que oui. Mais les forages d’exploration, à Old Harry, coûteront de 150 à 200 millions de dollars. Et l’exploitation, encore plus cher. Les quantités trouvées justifieront-elles la dépense? Les profits seront-ils suffisants pour générer les recettes qu’espère Québec? C’est plus que douteux.
Mais imagions un instant que les fantasmes les plus fous des signataires se matérialisent et que Old Harry contient 2 milliards de barils, dont 40 % seraient récupérables. Le chiffre de 800 millions de barils peut paraître énorme. Mais à l’échelle de l’industrie pétrolière, c’est modeste, l’équivalent de 11 jours de consommation mondiale. Au sommet de sa production, en 1999, le gisement de la mer du Nord donnait chaque jour 6 millions de barils. En Arabie, le gisement géant de Ghawar a produit à lui seul 65 milliards de barils depuis 1951 et fournit encore 5 millions de barils par jour. Nous sommes donc loin d’être les Arabes du Nord!
Et toute la difficulté est de savoir à quelle vitesse on pourrait extraire le pétrole de Old Harry – il y a de limites pratiques. Sur 20 ans, 800 millions de barils, c’est 40 millions de barils par année si tout va bien, soit environ 110,000 barils par jour – c’est 30 % nos besoins seulement. Selon le manifeste, le déficit commercial du Québec est de 29 milliards de dollars, dont 11 milliards liés aux importations de pétrole. Dans le cas, bien improbable, où les scénarios les plus optimistes se confirmaient, on réduirait donc ce déficit de 3 milliards, sur un total de 29.
On ne m’enlèvera pas de l’idée que réduire notre consommation de pétrole de 30 % est finalement beaucoup plus facile – et beaucoup plus sûr pour l’environnement!
Sources :
Manifeste pour profiter collectivement de notre pétrole
Project Description for the Drilling of an Exploration Well on the Old Harry Prospect – EL 1105
Navire échoué en amont du lac Saint-Pierre
Deux barges du groupe Océan s’échouent à L’Anse-Pleureuse
Excellent article!
Cela me porte à ajouter quelques autres points.
1- Une si petite exploitation sur une si longue période de temps aura pour conséquence d’augmenter les frais causés par la détérioration naturelle des équipements au fil du temps et de la technologie qui évolue.
2- Tel que mentionné par des économistes réputés et par l’ONU, les deux tiers des ressources de pétroles confirmées ne peuvent économiquement et écologiquement être exploités. Par conséquent, ce ne seront plus des actifs, mais bien un boulet que d’investir dans un marché saturé.
3- Chaque dollar investi dans le pétrole est un dollar qui n’est pas investi dans notre futur collectif.
Très juste! Et je peux même surenchérir en ajoutant que:
1. Cette exploration aux résultats si incertains n’est pas gratuite: elle est financée à 75-80% par nos impôts, par le biais d’aides et de crédits aux entreprises exploratrices;
2. Que le matériel d’exploration et de forage n’est pas fabriqué au Québec; l’importation éventuelle de tout le matériel nécessaire aurait elle aussi un impact sur la balance commerciale, ce qui réduit d’autant l’intérêt financier de ce pétrole;
3. Que le pétrole sera bientôt épuisé et que même si les espoirs pour Anticosti et Old Harry se confirmaient, cela ne retarderait la fin du pétrole que de trois semaines environ, à l’échelle mondiale; nous serions mieux d’investir nos sous dans des soutions plus durables.
En fait, je crois que les signataires du manifeste misent, non pas sur le pétrole conventionnel (bien que Old Harry est dans le collimateur), mais plutôt sur le pétrole de schiste.
En effet, Petrolia a mauvaise presse avec l’arnaque d’Anticosti (pétrole de schiste on oublie de nous le rappeler). Et bataille avec Gaspé pour exploiter ses gisements d’Haldimand (un gisement conventionnel et le reste de schiste) au sujet des sources d’eau potable de la ville.
Aux États-Unis, les pétrolières font le pactole avec le pétrole de schiste (c’est ce pétrole qui a explosé à Lac-Mégantic) et elles espèrent en faire de même.
C’est d’ailleurs la thèse des grands financiers (comme ceux de l’Institut économique de Montréal, organe de propagande de Power Corp, qui a de gros intérêts dans les hydro-carbures et les produits chimiques injectés dans la fracturation du schiste): Il faut extraire toutes les gouttes de pétrole extractables dans le monde avant de passer aux énergies alternatives.
(Tant pis pour le désastre des changements climatiques: les très très riches auront les moyens de se mettre à l’abri et ce sont les citoyens qui paieront de toute façon).
C’est ce que je comprends aussi. Mais pétrole conventionnel ou pétrole de roche-mère (le vrai nom du pétrole de schiste), les faits demeurent: pas une seule goutte de pétrole n’a été découverte, ni à Anticosti, ni à Old Harry. Les chiffres avancés reposent sur des hypothèses extrêmement préliminaires et constituent, en quelque sorte, un «potentiel dans le meilleur des cas». Ces projections n’impliquent d’aucune manière qu’il y a réellement du pétrole en place ou que s’il y en a eu dans le passé, il s’y trouve encore.
Aucune découverte formelle n’est encore venue confirmer ces hypothèses. Si le gouvernement donnait demain matin le feu vert pour forer des puits d’exploitation, les pétrolières n’auraient aucune idée où creuser. Il faudrait encore des années de recherche et de nombreux forages pour trouver les zones prometteuses (s’il y en a).
Bref, on a affaire à des chiffres gonflés à l’hélium, des réserves dont l’existence et le caractère exploitable n’est aucunement prouvé, mais tout le débat porte actuellement sur le partage des profits. Nos politiciens sont aussi naïfs que Jacques Cartier, qui croyait avoir trouvé de l’or et des joyaux à Cap Diamant.