Il est de bon ton, chez les écolos, de réclamer que le Québec diminue rapidement sa dépendance envers les carburants fossiles. La mesure s’impose, en effet, mais les plans proposés reposent trop souvent sur la pensée magique, sur des investissements pharaoniques ou sur l’espoir d’une nouvelle technologie « bientôt disponible ». Le mouvement écologique ne se rend pas service en sous-estimant la difficulté de cette transition et en ne proposant pas de plan de route concret.
C’est dans ce contexte qu’il faut saluer l’excellent travail d’Équiterre, qui a récemment proposé un plan détaillé de réduction de la consommation dans le secteur agricole. Ce texte de 93 pages, intitulé Réduire la dépendance du secteur agricole québécois aux énergies fossiles, a été publié le 19 décembre 2013, à quelques jours de Noël, ce qui explique sans doute qu’il ait si peu fait parler de lui. Il mérite portant qu’on s’y attarde.
L’agriculture, gourmande en énergie
Équiterre rappelle que si l’agriculture émet moins de gaz à effet de serre que les transports (41 % du total québécois) et que l’industrie (33 %), elle produit malgré tout près de 10 % du total, soit presque autant que les secteurs résidentiel, commercial et institutionnel réunis. De plus, elle est relativement inefficace : le Post Carbon Institute souligne qu’il faut de 7 à 10 calories d’énergie fossile pour produire une calorie d’aliments.
Par ailleurs, près de 11 % du budget des fermes va à l’achat d’intrants fossiles, soit sous forme de carburants (5,6 %) ou de produits dérivés de combustibles fossiles, comme les engrais et les pesticides (5,0 %). Il en résulte que chaque hausse d’un cent du prix du pétrole à la pompe représente une dépense supplémentaire d’environ 3,8 millions $ pour l’agriculture québécoise. L’enjeu est important, surtout que l’approvisionnement pétrolier à long terme reste incertain.
De grands gains en vue
Plutôt que de miser sur la substitution d’énergies « vertes » aux carburants fossiles, une stratégie coûteuse et présentant de nombreux écueils pratiques, le rapport propose des moyens concrets, peu coûteux et immédiatement applicables pour réduire la consommation totale d’énergie dans le secteur agricole. Il serait oiseux de tout résumer ici, mais Équiterre mise principalement sur :
L’agriculture biologique. De manière générale, les fermes biologiques consomment 45 % moins d’énergie que les fermes conventionnelles, notamment parce que la fabrication de fertilisants chimiques exige d’énormes quantités de gaz naturel. Il faut revaloriser la rotation des terres, les fumiers et les engrais verts.
Les circuits courts. La production alimentaire locale et sa distribution sur de plus courtes distances sont généralement avantageuses, en particulier parce qu’elle exige moins d’emballages. Attention toutefois à certaines productions, comme la culture en serre l’hiver, où la production locale est souvent plus énergivore.
Le travail réduit du sol et le semis direct. La pratique agricole moderne tend à labourer moins, afin de préserver les sols de l’érosion. Ceci diminue aussi de 44 % la consommation d’énergie liée aux labours. Ajoutez-y le semis direct (où l’on ensemence sans préparation préalable du sol) et l’économie peut atteindre un total de 55 %.
L’optimisation des bâtiments et des équipements. Les bâtiments de ferme sont souvent mal isolés et on pourrait en améliorer l’efficacité énergétique de 45 % au moins. L’adoption de systèmes de chauffage comme la biomasse ou la géothermie pourraient porter cette amélioration à presque 100 %. Le séchage des récoltes à l’air libre plutôt qu’en séchoir au gaz promet aussi une économie de 100 %.
La biométhanisation des résidus agricoles. Le lisier de porc et certains sous-produits de l’industrie agroalimentaire se transforment facilement en méthane. L’agriculteur peut ensuite le brûler pour produire de l’électricité et vendre ses surplus à Hydro-Québec. La France produit ainsi de 12 à 15 gigawatts/heure de courant par année, avec un investissement minime.
Toutes ces mesures ont le mérite d’être déjà utilisées au Québec et d’être relativement peu coûteuses à mettre en œuvre. Mais les anciennes pratiques sont souvent avantagées par des enjeux commerciaux ou une réglementation démodée. Équiterre admet qu’il faudra sans doute des décennies pour que ces nouvelles méthodes se généralisent, mais l’enjeu est important : le pétrole se raréfie, sa disponibilité et son prix seront de plus en plus incertains et chaque goutte économisée est un gain direct pour les producteurs agricoles. Autant commencer tout de suite!
Source :
Réduire la dépendance du secteur agricole québécois aux énergies fossiles
L’IREC (Institut de Recherche en Économie Contemporaine – UQAM a récemment publié une étude dans laquelle elle met en garde contre la biométhanisation des fumiers d’origine agricole : http://www.irec.net/upload/File/noterecherchedechetsorganiquesoct2013vd(2).pdf
Merci pour le lien, je vais aller y jeter un coup d’oeil. Je suppose que la solution idéale reste de les utiliser comme fertilisants, quand c’est possible (il a des limites à la quantité d’azote et de phosphore que le sol peut absorber, comme vous le savez sans doute). J’ai lu qu’en France, la biométhanisation se faisait surtout en Bretagne, qui dispose d’importants surplus de lisier de porc.
Je suis fatigué de lire des déclarations condescendantes du genre « Le mouvement écologique ne se rend pas service en sous-estimant la difficulté de cette transition et en ne proposant pas de plan de route concret ».
Philippe Gauthier sait très bien que le mouvement de Transition existe, que toutes sortes de propositions concrètes existent pour sortir du pétrole, qui ne relèvent pas de la pensée magique. Et c’est à lui, entre autres, d’en parler au grand public, comme il le fait dans ce billet.
Mais il est apparemment toujours de bon ton d’être condescendant envers « le mouvement écologique ».
Bizarre, mais l’article souligne l’excellent travail d’Équiterre pour proposer des solutions concrètes. Plutôt que d’encourager monsieur Gauthier, vous le critiquez pour son ton. Verre à moitié vide, quand tu nous guettes…
Avant que la chose ne dégénère en controverse inutile, il faut souligner que le mouvement écologiste n’est pas unifié et que tout le monde n’en est pas au même point sur les questions énergétiques. Si le mouvement Transition existe et qu’il réfléchit au sujet, beaucoup de groupes ont supposé, ces dernières décennies, que cette transition se ferait tout naturellement, dans le cadre des politiques de développement durable, par exemple.
D’autres groupes, ou parfois des militants isolés, semble aussi croire que la transition peut se faire par l’adoption de quelques technologies-clés, l’adoption de la voiture électrique, par exemple ou l’implantation massive d’éoliennes. Bien que ces technologies puissent faire partie d’un éventuel mix énergétique de l’avenir, je doute qu’elles offrent une contribution vraiment importante au problème de la transition énergétique.
On a beaucoup parlé de «sortir du pétrole», dans les débats récents sur le plan d’électrification des transports ou dans le dossier de l’oléoduc d’Enbridge et j’ai parfois eu l’impression que certains intervenants y voyaient une solution facile et allant de soi, du genre «il n’y ‘a qu’à…». En fait, la solution facile consiste à ne rien changer et nos gouvernement l’ont bien compris.
Si l’on veut vraiment favoriser une transition, il va falloir imaginer des plans de route précis, ne reposant pas des technologies exotiques, des investissements pharaoniques ou des changements massifs de mentalités à court terme. C’est dans ce sens que le plan d’Équiterre pour l’agriculture me paraît exemplaire.
Tout d’abord félicitation pour votre blogue. Les textes sont clairs et concis et permettent de bien saisir l’ampleur du pic pétrolier.
J’ai quelques remarques concernant ce billet sur l’agriculture:
1) L’agriculture biologique: les fermes bio consomment moins d’intrants mais produisent moins (25 à 50% de moins). Il faut prendre en compte cette perte d’énergie produite par les cultures dans le bilan énergétique. Par ailleurs le gaz, utilisé pour produire de l’azote de synthèse, est la moins polluante des énergie fossiles. Une fertilisation optimale permet une meilleure photosynthèse donc plus de stockage de CO2 et plus d’énergie stockée dans les grains. Je pense que ce gain d’énergie solaire stockée dans la plante dépasse le coût énergétique de la fertilisation de synthèse [1]. Si il y a bien un secteur à ne pas rationner tout de suite c’est bien celui-ci! Quant aux engrais verts, ils restent difficiles à mettre en place dans notre agriculture nordique. Le bio a été pensé pour répondre à une idéologie, celle de la peur du tout « chimique ». Il n’a pas été pensé pour faire face au peak-all de notre siècle. Pour faire face à ces défis faisons appel aux agronomes et aux énergéticiens, pas aux écolos qui qui vivent dans le déni de la science.
2) Le travail réduit du sol et le semis direct se pratiquent déjà. 35% des terres cultivées aux USA sont en no-till (travail minimum du sol). Ces pratiques sont populaires en agriculture conventionnelle car elles diminuent les coûts de carburant tout en limitant l’érosion des sols.. C’est un luxe que l’agriculture bio s’offre difficilement car elle exclu l’usage d’herbicides « chimiques ». L’agriculteur bio dépend donc du désherbage mécanique couteux en temps et en carburant.
3) Le séchage des récoltes à l’air libre: il se pratique encore pour le maïs sur certaines fermes. L’épi de maïs est récolté entier et sèche à l’air libre dans des « crib ». On en voit encore dans nos campagnes. Malheureusement les moissonneuses capables de récolter l’épi entier sont de plus en plus rares et aussi plus lentes que les moissonneuses-batteuses actuelles. De plus ce type de séchage empêche l’agriculteur de vendre son grain pendant au moins 8 mois (le temps du séchage).
[1] Sujet à approfondir. Je n’arrive pas à retrouver ma source.
Bonne continuation!
Vous avez raison sur les points 2 et 3, encore qu’un bémol s’impose: en agriculture industrielle, le semis direct et le travail réduit du sol se font surtout dans le domaine des grandes cultures. En bio,le travail mécanique intensif se fait surtout en production maraîchère, où les exigences de contrôle sont plus élevées.
Au point 1, le chiffre de 15 à 50% que vous avancez me paraît très élevé, la plupart des études trouvant une différence de l’ordre de 10% au plus. Ces chiffres correspondent plutôt à ce qui se produit si l’on se passe d’engrais et de pesticides sans modifier ses pratiques agricoles. Lorsque les pratiques sont ajustées en fonction du bio, les rendements reviennent à la normale. Sur le fond, toutefois, je conviens que le cahier de charge bio date un peu et qu’il ne tient pas bien compte de préoccupations plus récentes, comme la santé des sols. C’est plutôt il faut plutôt se tourner vers la permaculture que vers le bio classique. Il s’agit d’une agriculture plus intensive, exigeant plus de travail sur de plus petites parcelles, mais une fois le système en place, sa productivité dépasse largement celui de l’agriculture conventionnelle. Je vous invite à faire un peu de recherche dans ce domaine fascinant.
Ce vidéo est un bon point de départ:
https://www.youtube.com/watch?v=FXaD3NGRQQo&list=PLYgVyAQ6d9kkiceRF5USDg1oRimS7gCUk
Les chiffres de l’USDA montrent que le faussé est bien plus important que les 10% que vous mentionnez [1] Comme vous le dites, les pratiques culturales sont différentes. L’absence d’engrais de synthèse dans le bio limite fortement les rendements. En fait, ce fossé nous montre à quoi ressemblerait notre production agricole dans un monde sous contrainte énergétique forte. Réduire les rendement de 30 à 50% dans les céréales et les légumineuse empêcherait tout bonnement d’exporter nos surplus vers les régions arides de la planêtes (maghreb, moyen orient, afrique sub-saharienne). Là encore je pense que l’agriculture devrait être le dernier secteur à subir un rationnement énergétique fort. C’est la seule industrie capable de fixer via la photosynthèse de l’énergie solaire tout en stockant du CO2. Et je persiste à croire que le gain de rendement permis par l’agriculture moderne (amélioration variétale + fertilisation optimale) permet un EROI légèrement positif.
Le bio intensif, je n’ai rien contre (à part l’étiquette bio). J’ai dévoré le livre de J.M. Fortier (Le jardinier maraîcher) sur le maraichage intensif sur petite surface. Cependant sa ferme ne nourrit (en légumes uniquement) que 120 ménages durant à peine 5 ou 6 mois. Ce modèle peut-il fonctionner à grande échelle? Le consommateur acceptera-t-il de consacrer plus de 5 à 10% de ses revenus à la nourriture comme c’était le cas il y a 50 ou 80 ans? Ces fermes bio intensives, très profitables actuellement, le seront-elles encore dans cette situation?
La production maraichère est importante pour avoir un régime équilibré mais n’est pas inconditionnelle à notre survie. Tous les grands foyers d’agriculture ont propéré grace à 3 plantes: une céréale, une légumineuse et une plante à fibre. Ces 3 plantes se cultivent principalement en “grandes cultures”. Ces 3 types de plantes font notre pain, nos pates, notre huile, nos tshirt et même notre éthanol. Le maraîchage n’offre aucun de ces produits de base. Alors n’oublions les grandes cultures dans notre équation. Ne nous rendons pas victime de l’image d’épinal du potager de nos grands parents. Ne pensons pas que la pseudo-science de la permaculture révolutionnera 10.000 ans d’agriculture. Soyons rationnels, dépassons les idées reçues et regardons de près le bilan énergétique de l’agriculture “moderne” avant de la condamner trop rapidement. Par exemple, un blé bio a fait quasiment 10t/ha [2] cette année en Angleterre. Génial me direz-vous. Ce que l’on découvre en lisant l’article c’est qu’avant ce blé il y a eu 2 années de trèfle. Le rendement du blé en 2015 est donc à étaler sur 3 ans ce qui ne donne plus que 3,3 t/ha et par an. On en revient à mon premier paragraphe…
Cordialement,
[1] http://appliedmythology.blogspot.ca/2015/10/the-productivity-of-organic-farming-in.html
[2] http://www.farming.co.uk/news/article/11686
Les chiffres de l’USDA montrent que le faussé est bien plus important que les 10% que vous mentionnez [1] Comme vous le dites, les pratiques culturales sont différentes. L’absence d’engrais de synthèse dans le bio limite fortement les rendements. En fait, ce fossé nous montre à quoi ressemblerait notre production agricole dans un monde sous contrainte énergétique forte. Réduire les rendement de 30 à 50% dans les céréales et les légumineuse empêcherait tout bonnement d’exporter nos surplus vers les régions arides de la planêtes (maghreb, moyen orient, afrique sub-saharienne). Là encore je pense que l’agriculture devrait être le dernier secteur à subir un rationnement énergétique fort. C’est la seule industrie capable de fixer via la photosynthèse de l’énergie solaire tout en stockant du CO2. Et je persiste à croire que le gain de rendement permis par l’agriculture moderne (amélioration variétale + fertilisation optimale) permet un EROI légèrement positif.
Le bio intensif, je n’ai rien contre (à part l’étiquette bio). J’ai dévoré le livre de J.M. Fortier (Le jardinier maraîcher) sur le maraichage intensif sur petite surface. Cependant sa ferme ne nourrit (en légumes uniquement) que 120 ménages durant à peine 5 ou 6 mois. Ce modèle peut-il fonctionner à grande échelle? Le consommateur acceptera-t-il de consacrer plus de 5 à 10% de ses revenus à la nourriture comme c’était le cas il y a 50 ou 80 ans? Ces fermes bio intensives, très profitables actuellement, le seront-elles encore dans cette situation?
La production maraichère est importante pour avoir un régime équilibré mais n’est pas inconditionnelle à notre survie. Tous les grands foyers d’agriculture ont propéré grace à 3 plantes: une céréale, une légumineuse et une plante à fibre. Ces 3 plantes se cultivent principalement en “grandes cultures”. Ces 3 types de plantes font notre pain, nos pates, notre huile, nos tshirt et même notre éthanol. Le maraîchage n’offre aucun de ces produits de base. Alors n’oublions les grandes cultures dans notre équation. Ne nous rendons pas victime de l’image d’épinal du potager de nos grands parents. Ne pensons pas que la pseudo-science de la permaculture révolutionnera 10.000 ans d’agriculture. Soyons rationnels, dépassons les idées reçues et regardons de près le bilan énergétique de l’agriculture “moderne” avant de la condamner trop rapidement. Par exemple, un blé bio a fait quasiment 10t/ha [2] cette année en Angleterre. Génial me direz-vous. Ce que l’on découvre en lisant l’article c’est qu’avant ce blé il y a eu 2 années de trèfle. Le rendement du blé en 2015 est donc à étaler sur 3 ans ce qui ne donne plus que 3,3 t/ha et par an. On en revient à mon premier paragraphe…
Cordialement,
[1] http://appliedmythology.blogspot.ca/2015/10/the-productivity-of-organic-farming-in.html
[2] http://www.farming.co.uk/news/article/11686