De fortes convictions écologiques ne sont pas une qualité que l’on prête d’ordinaire aux étudiants en administration de HEC Montréal. Surtout pas de la variété décroissanciste, l’école étant plutôt connue pour son penchant résolument capitaliste. Heureusement, l’institution reste ouverte à divers courants émergents, ce qui a permis aux étudiants d’Yves-Marie Abraham de rédiger cet hiver la revue L’échappée belle dans le cadre d’un cours de maîtrise sur la décroissance soutenable.
Ce premier numéro (le second doit être publié à l’hiver 2016) porte sur l’alimentation. Bien qu’il soit difficile de manger moins, il doit être possible de manger mieux du point de vue des ressources naturelles et énergétiques et c’est à l’exploration de ce thème que ce consacre la revue.
Refus des solutions simplistes
Les articles vont un peu dans tous les sens : le choix des semences, les conserves, la pêche industrielle, le végétarisme et la consommation d’insectes, la permaculture… Des enjeux un peu casse-gueule, au sujet desquels il serait facile de tomber dans le prêchi-prêcha simpliste. Mais ces finissants à la maîtrise évitent les pièges, reconnaissent facilement les limites pratiques de leur approche et suggèrent des pistes de réflexion.
Par exemple, tout en reconnaissant que les pratiques industrielles rendent la consommation de viande peu soutenable, Jean-François Chartrand et Hatim Fassi-Fihri rappellent que les légumes et végétaux produits industriellement fauchent encore plus de vie : « Selon l’étude, écrivent-ils, il faut tuer 2,2 bovins en moyenne pour produire 100 kg de protéines animales, alors que 55 animaux sensibles sont tués pour produire 100 kg de protéines d’origine végétale. »
S’intéressant à l’agriculture biologique et locale qui nourrit Cuba depuis que l’URSS ne lui envoie plus de pétrole, Jose Fuca, Anne Gauthier et Luc Pépin constatent, avec une surprise teintée de déception, que les grandes productions agricoles, destinées à l’exportation, fonctionnent encore sous le régime de l’agriculture industrielle, avec ses engrais chimiques, ses tracteurs et ses pesticides. Les leçons de l’agriculture locale ne parviennent hélas pas à ébranler les certitudes des fonctionnaires cubains.
Certaines propositions sont audacieuses, voire contre-intuitives. Résistant à la tentation habituelle (et jusqu’ici peu efficace) de vouloir privatiser les stocks de poisson (par l’aquaculture, des zones de pêches exclusives ou des quotas), Maude-Hélène Joyal, Youssef Kadi et Camille Raizin suggèrent plutôt de revenir à l’esprit des « communaux » médiévaux, que chacun savait exploiter de manière responsable, sans épuiser la ressource.
Un projet porteur d’espoir
La lecture est fascinante, mais les questions restent plus nombreuses que les réponses satisfaisantes. Pourquoi se donner la peine, alors? « Pour respirer un peu dans une université menacée d’asphyxie par les impératifs marchands et industriels, écrit Yves-Marie Abraham. Pour ne pas désespérer totalement face aux conséquences désastreuses de notre civilisation. Pour tenter de concevoir malgré tout des collectivités humaines plus justes, plus émancipatrices, plus viables. »
Le projet peut paraître utopique, mais l’enjeu est fondamental. « L’alimentation, comme tous les autres aspects de nos vies, a été transformée par la croyance que «plus est mieux », écrit en postface Serge Mongeau, le chantre de la simplicité volontaire. Il faut sortir de cette orientation qui valorise une croissance infinie. Sur une Terre limitée, c’est là une croyance délétère, et si nous n’agissons pas radicalement et rapidement pour changer les choses, nous mettons notre avenir en péril. »
Sources :
Magazine L’échappée belle, numéro 1, avril 2015
Pour plus de renseignements sur la décroissance : Mouvement québécois pour une décroissance conviviale
bravo