PANIQUE À LA MAIRIE DES LILAS
J’étais samedi au Festival de la BD de Montréal pour faire une courte conférence sur mes années à CROC. En admirant les efforts déployés par les organisateurs, je repensais aux années où j’étais moi-même l’organisateur principal du Festival International de la Bande Dessinée de Montréal, un évènement qui a eu lieu pendant 4 ans, un peu avant la naissance de CROC, et qui j’ose le croire, a un peu contribué à la naissance du magazine en réunissant dans un même endroit –les murs de l’Université de Montréal- les forces vives de la bd québécoise de l’époque.
Mais il n’y avait pas seulement des québécois à ce Festival : il y avait également une présence européenne; ainsi, la dernière année, j’avais proposé que nous rendions hommage aux grandes années du magazine PILOTE, qui avait beaucoup influencé les bédéistes québécois. Certains dessinateurs comme Régis Franc ou Gérard Lauzières, vedettes de PILOTE à l’époque, étaient présents, mais nous avions aussi réussi à réunir une quantité incroyable de planches originales de dessinateurs mythiques comme Gotlib, Fred ou Bretécher. Et aussi une vingtaine de magnifiques planches du génial Jacques Tardi, dont vous connaissez sans doute les aventures d’Adèle Blanc-Sec ou les albums consacrés à la guerre 14-18.
Or, il se trouvait que j’avais le bonheur de compter Tardi parmi mes amis. La preuve : si dans un de ses albums sur 14-18 vous apercevez le soldat Huet, c’est moi. Tardi a l’habitude, quand on va chez lui, de nous mettre un casque de la Grande Guerre, de nous photographier et de nous dessiner ensuite dans une de ses histoires. C’est là un fait d’armes- calembour volontaire- dont je ne suis pas peu fier. Or donc : le hasard faisait que peu après la fin du Festival, je partais pour Paris. J’ai donc proposé de rapporter moi-même ses originaux à Tardi, question d’éviter de lourds frais d’assurance pour leur avion de retour. Il faut savoir que chacune des 20 planches étaient assurées pour une valeur de 2000 dollars et que ces assurances n’étaient plus valides une fois les planches sorties des murs de l’Université.
Me voilà donc parti pour Paris, avec sous le bras un énorme carton à dessins vert à motif de peau de léopard –c’était populaire à l’époque!- contenant les précieux dessins.
Toujours à cette époque, j’avais l’habitude lorsque je débarquais à Paris d’habiter chez mon amie Chrystine Brouillet, qui faisait ses courageux débuts d’écrivaine dans la Ville Lumière et qui avait un petit appartement près du métro Mairie des Lilas. Donc, par un beau soir – c’était la Fëte des Rois, détail qui deviendra important un peu plus loin- je pars de chez Chrystine en métro, pour me rendre d’abord chez F’MURR, un autre ami dessinateur à qui on doit entre autres le merveilleux GÉNIE DES ALPAGES et ses délirants moutons ; le plan étant que de chez F’MURR nous partons souligner la Fête des Rois chez Tardi qui habite assez loin en banlieue. Je débarque chez F’Murr (pas son vrai nom, vous l’aurez deviné), rue des filles du Calvaire, rue bien-nommée comme j’allais bientôt le constater…
F’Murr m’offre un verre; c’est là que je constate que je n’ai PAS les planches de Tardi. Non, je ne les pas laissées chez Chrystine; je les ai oubliées sur le tourniquet de la station Mairie des Lilas en sortant mon ticket de métro. Volatilisées, les 20 planches plus pantoute assurées de mon futur ex-ami Jacques Tardi! J’enfile rapidement un deuxième verre de calvados et j’appelle celui-ci. Sans chercher d’échappatoire, je lui raconte ce qui s’est passé. Il est consterné, mais vu qu’il est lugubre même quand il est de bonne humeur, ça ne parait pas trop dans sa voix. Il nous dit de venir quand même.
Nous voilà rendus chez Tardi, où nous sommes à peine 8 convives pour la fête. Je raconte de nouveau ma triste histoire devant un Tardi abattu et sa femme Dominique Grange; Dominique est elle-même tout un personnage : c’est une auteure et chanteuse magnifique, une passionaria de toutes les causes de gauche de France et tout un tempérament. Elle a la bonne grâce de ne pas m’assassiner et nous passons à table. Arrive la galette des rois : vous devinez bien sûr qui trouve la fève dans sa portion : moi. Je passe donc le reste de la soirée avec ma crisse de couronne des rois sur la tête. Nous finissons quand même par rentrer.
Le lendemain, je vais par acquis de conscience à la station de métro. Non, bien sûr, ils n’ont pas retrouvé de carton à dessins à motif de léopard vert. Mais au moment de repartir, j’aperçois derrière la préposée, sur une étagère, une pile de cartons gris grossièrement entourées par une corde; un coin de carton plus blanc dépasse légèrement où j’aperçois les lettres « ARDI ». Oui, c’étaient les planches de Tardi, toutes les planches de Tardi! Quelqu’un avait trouvé le cartable et piqué le cartable en laissant sur le quai $40,000 de dessins. Je n’étais donc pas le seul roi des cons à me balader dans Paris ce soir-là…