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Jackson Pollock, Ronald Cerise et moi

Je viens de visionner un formidable documentaire- un gros merci à mon amie Johanne Bégin qui me l’a offert- intitulé WHO THE #$&% IS JACKSON POLLOCK ? qui raconte l’histoire authentique d’une truckeuse américaine qui tente de prouver que la toile qu’elle a payée $15.00 est en fait un tableau de Jackson Pollock tout aussi authentique et qui vaudrait au bas mot 30 millions de dollars.

Pour les rares personnes de mon lectorat qui ne connaitraient pas Pollock, celui-ci était un peintre expressionniste abstrait américain, que ma blonde et moi adorons, et qui comme tous les grands artistes innovateurs, a eu sa part de controverses et de revers, Je sais de quoi je cause parce qu’en en étant un moi-même, je suis passé par là.

Comment, vous ne saviez pas que j’étais aussi dessinateur? Et ben si. Bon, je ne suis peut-être pas de la trempe de Serge Chapleau ou de plusieurs des illustrateurs et bédéistes que je côtoyais à l’époque de CROC, mais j’ai tout de même mon style à moi.

D’abord, je suis un maître du Etch-a-Sketch, vous savez, ce fameux écran à cadre rouge muni de 2 boutons que les gens de mon âge ont reçu quand ils étaient bambins. La seule différence entre les autres et moi, c’est que moi, j’ai persévéré. Ce qui fait qu’aujourd’hui, à l’aide de mon Etch-a-Sketch vintage, je trace votre portrait en moins de 5 minutes. Vous ne me croyez pas? Demandez à mes amis qui, lorsqu’ils en trouvent sur le marché, me les apportent gentiment. La beauté de ce jouet de génie, c’est que sitôt le dessin terminé, on renverse le tout et hop, le dessin est à jamais disparu. J’aime aussi répéter que c’est la seule sorte d’outil à dessiner qui ressemble au piano, c’est-à-dire qu’il faut utiliser ses 2 mains. Plus jeune, j’arrivais même à persuader de jeunes femmes à poser nue pour mon Etch-a-Sketch et moi. Mais comme leur dessin, elles disparaissaient peu après…

Mais revenons à ma carrière d’artiste pas assez apprécié. J’ai commencé très jeune ma carrière de dessinateur prodige. En fait, j’avais 5 ans. Un jour, dans un party de famille, je dessinais avec mes cousins et cousines, un monsieur s’est mis à examiner mes dessins. C’était le nouveau chum de ma tante et c’était surtout un monsieur important : il lisait les décès du jour à la radio de Radio-Canada et il venait de me découvrir!

Deux ou trois mois plus tard, je faisais mes débuts à la télé de Radio-Canada, Il faut savoir qu’à cette époque, mon idole était le grand caricaturiste Normand Hudon. Et c’était à ses côtés que je commençais ma vie publique à l’émission PORTES OUVERTES diffusée en direct de l’auditorium du Collège St-Laurent. Mieux encore : l’émission était co-animée par l’humoriste Jacques Normand et nulle autre que Dominique Michel, avec qui je ne devais malheureusement retravailler que 27 ans plus tard. Avec le recul, je constate que cette soirée à PORTES OUVERTES était le microcosme de toute ma future carrière : le dessin, l’humour, la chanson et la télévision.

Mais revenons à ces débuts glorieux qui m’entraineraient vers ma déchéance finale. Normand Hudon a dessiné, Jacques Normand a rigolé et Dodo a chanté. Quant à moi, j’ai fait mon numéro habituel : un éléphant, un lion et une girafe, le tout sous les vivats de la foule. Pendant ce temps, le jeune (mais plus vieux que moi) Serge Chapleau me regardait à la télé familiale, alors que de son propre aveu, je le faisais chier vu que déjà à l’époque il dessinait beaucoup mieux que moi. Parlant de grand dessinateur, mon maître Normand Hudon, après nos prestation, m’avait dessiné un magnifique portrait de Maurice Richard, de 3 pieds de haut, que ma mère, en faisant le ménage de notre luxueux 4 pièces dans Villeray, a jeté 3 semaines plus tard.

A partir de là, j’ai entrepris jusqu’à l’âge de 12 ans une carrière à la télé en tant que jeune caricaturiste. J’étais un véritable pilier d’émissions comme CHEZ MADELEINE (encore merci, madame Madeleine Arbour) et LA BOÎTE À SURPRISES. Je recevais à chaque passage un cachet équivalent au salaire hebdomadaire de mon père chez Canadair. Pour passer à la télé, il fallait évidemment que je rate l’école. J’étais devenu une véritable star à l’école St-Arsène. Heureusement « Bob » Brousseau, mon tortionnaire personnel, se chargeait de me donner une raclée à chaque retour en classe, question que la tête ne m’enfle pas trop. En fait, grâce à ses services, c’est plutôt l’œil qui m’enflait.

Un dernier détail extraordinaire. Après chaque studio, le réalisateur de l’émission nous entrainait –n’ayez pas peur!- les autres enfants et moi dans une grande pièce BOURRÉE de jouets; des jouets neufs, en plus; et là, il nous disait : « Prenez-en deux. » En plus du cachet!

Mais ces années de joie allaient un jour prendre fin avec mon passage au Canal 10 au « Music-Hall des Jeunes Living Room Furniture », une sorte de Star Académie de l’époque, en plus modeste évidemment. Quand votre commanditaire s’appelle « Living Room Furniture » c’est déjà tout un programme…

A cette époque de ma carrière, j’étais rendu avec un numéro- aujourd’hui, on dirait « number »- pas mal rodé. Je commençais par le truc du barbeau (barbot?) que j’avais piqué à mon maître Hudon, qui consistait et qui constituait de demander à quelqu’un de faire un trait que je transformais habilement en son propre portrait; j’enchainais en dessinant tout à tour Jean Drapeau, Fidel Castro et mon plus grand hit, le grand méchant de l’époque Nikita Kroutchev, numéro 1 de l’URSS, encore une fois sous les vivats de la foule.

Je m’exécute –et je pèse mes mots- donc devant un parterre de 60 petits voyous mal-élevés qui habitaient autour du Canal 10 (maintenant Télé-Métropole, pour les plus jeunes). Je suis en compagnie d’Anita Barrière, la reine en personne du Canal 10. Elle me trace un barbeau que je transforme aussitôt en portrait de femme au grand nez. Elle me demande médusée « C’est qui, Pierre? » Et moi de répondre : « C’est vous! ». Silence dans la salle et silence chez l’animatrice. J’enchaine avec mes Drapeau et Castro, qui sont ce jour là particulièrement non-ressemblants. Couvert de sueur, je me lance avec fougue dans mon killer, c’est-à-dire Kroutchev. Je termine et Anita se retourne vers la salle et dit : » Vous le reconnaissez, les amis? » Et les soixante morveux de répondre d’une seule voix : JEAN VINGT TROIS!!!

Je n’ai pas gagné. J’ai été battu en finale par un accordéoniste nommé Ronald Cerise. (Détail en passant : mon ami Guy Berthiaume, googleur émérite, a retrouvé Ronald Cerise qui est je crois colonel retraité des Forces Canadiennes. Je vous ai pardonné, monsieur Cerise).

Cette prestation a sonné le début de mes longues années d’obscurité dans le domaine pictural. Ça m’aura au moins permis de comprendre comment se sentait Jackson Pollock quand il lançait furieusement ses trainées de peinture sur ses canevas…