BloguesContes et légendes

Claudia Schiffer Louise Cousineau et moi

J’ai déjà évoqué ici des aventures formidables qui ont marqué ma vie, comme Beau Dommage ou mes années à CROC. Mais j’aurais honte de ne pas mentionner les années où j’ai travaillé à la légendaire émission SURPRISE SUR PRISE, avec entre autres le non moins légendaire Marcel Béliveau

J’ai été pendant plusieurs années responsable de la création des gags pour l’émission . À priori, c’est plutôt étonnant parce que de mon naturel, je n’aime pas jouer des tours et que je déteste les surprises. Mais après tout, quand on se retrouve au bon bout de la surprise ou du bon ou mauvais tour, ça se vit plutôt bien. Quelques mot d’abord au sujet du regretté Marcel. Oui, regretté, malgré le fait que c’était une sorte de pirate sans foi ni loi. C’était le pire animateur au monde, mais il est resté gravé dans la mémoire des publics québécois et français. Il fallait le voir se pavaner lorsque nous marchions ensemble –très lentement, à cause de ses problèmes de santé- sur un boulevard parisien, et que les taxis parisiens ralentissaient (chose qu’ils font rarement) pour lui lancer un « Alors, Marcel, elle est où , la caméra cachée? »

Par contre, je l’ai vu souvent faire sérieusement chier du monde. Je pense par exemple à la fois où nous étions ensemble sur le plateau de l’émission quotidienne de Christiane Charrette, qu’il avait soudainement prise en grippe. Nous étions là pour présenter quelques extraits de notre spécial « La petite vie ».Il avait été bien sûr prévu de montrer quelques images de l’émission sur l’écran « blue screen » prévu à cet effet et donc placé directement derrière nous. Or il se trouvait que Marcel, qui avait le don d’acheter des vêtements très chers ET très laids, portait ce jour-là un veston du même bleu que celui du blue screen. Ce qui veut dire (pour ceux et celles qui ne seraient pas familiers avec le procédé) que les images projetées en arrière –plan seraient aussi projetées sur le veston de Marcel. Christiane Charrette essaie gentiment de persuader Marcel de plutôt endosser un ou l’autre des jolis vestons que les gens du costumier lui proposent. Et Marcel de répondre : »Vous l’aimez pas, mon veston? Je crisse mon camp chez nous! » Finalement, il est resté sur le plateau, veston horrible compris, et nous avons parlé du spécial sans en montrer la moindre image; ce qui, avouons-le, était un peu contre-productif.

Je crois que cette attitude procédait d’un mélange de timidité –eh oui- chez le personnage et de snobisme inversé : Marcel se méfiait des grands personnages et s’entourait généralement d’une gang de deux de pique dignes de la Cour des Miracles. C’est sans doute pour les mêmes raisons que lorsque le grand Gilles Vigneault est venu sur le plateau de l’émission après qu’on l’ait piégé dans un gag formidable, Marcel ne lui a même pas adressé la parole. Dernière chose au sujet de Marcel : vous aurez compris qu’il était plutôt mal embouché. A chaque mois, nous avions un cérémonial terrifiant : je devais aller en tête-à-tête avec lui dans son bureau lui raconter les nouveaux scénarios de gags que notre équipe avait concoctés…et ses opinions étaient souvent pertinentes et… sévères. Quand je ressortais de là, l ‘équipe me demandait nerveusement ce qu’il avait dit. Je leur répondais : »Est-ce que j’enlève les sacres? » « Oui »; « Alors, il a rien dit. »

Nous, les scénaristes, étions trop occupés à générer de nouveaux gags pour aller sur les lieux de tournage. Mais je peux quand même vous parler du tournage catastrophique du gag aux dépens de la top-modèle Claudia Schiffer. Curieusement cette fois-là, j’avais réussi à me dégager et à être présent sur les lieux du tournage.

Ça se passait à Montréal; je le précise parce qu’à l’époque, l’émission était diffusée à la fois au Québec et en France, avec bien sûr des victimes différentes pour le même gag. Une victime de l’importance de Claudia Schiffer était particulièrement désirable, puisque le gag pourrait être diffusé dans les deux pays.

Il faut savoir qu’à l’époque, Claudia Schiffer, en plus d’être sans doute la top-modèle la plus connue au monde ,était également une figure emblématique des produits L’Oréal, qui eux-mêmes, fouille-moi pourquoi, avaient un quelconque rapport avec les défunts Expos de Montréal. La Schiffer était donc de passage à Montréal pour enregistrer une promo au Stade Olympique, déguisée en une sorte de cheerleader. En plus, c’était ce jour-là son anniversaire. Notez ce détail : il aura son importance plus tard. En fait, à partir d’ici, tous les détails sont importants parce qu’ils seront les ingrédients organiques d’un des pires gags de l’histoire de l’émission. Autre (triste) détail : l’ami Marcel se relevait à l’époque d’un de ses trop nombreux cancers, ce qui avait comme résultait qu’il portait toujours une casquette pour cacher sa calvitie due à ses traitements. Détail important, vous dis-je…

Ah oui, avant de me lancer dans le récit de cette journée mémorable : devant l’ampleur de la victime possible, la redoutée critique télé du journal La Presse, la légendaire Louise Cousineau, mise dans le secret, avait supplié d’être présente sur le tournage, aux côtés du réalisateur, dans le but de faire un formidable reportage sur les coulisses de Surprise Sur Prise. Permission exceptionnellement accordée, mais à une seule condition; qu’il n’y ait pas de photographe de son journal sur place. Au risque de me répéter : autre détail important. Donc tout est en place pour un gag exceptionnel. Nous avons l’accord de L’Oreal : malgré l’horaire très chargé de la diva lors de son unique journée à Montréal, il nous l’offre sur un plateau –c’est le cas de le dire- pendant une demi-heure, pas plus. Ils nous l’emmènent sous un faux prétexte sur le lieu du tournage et hop! trente minutes plus tard elle saute dans une limo en direction du Stade où des milliers de personnes l’attendent.

Voici le scénario, excellent si j’ose le dire moi-même. Comme quoi tout peut chirer même avec le meilleur scénario du monde.

Il faut savoir qu’à cette époque Claudia Schiffer fréquente le célèbre magicien David Copperfield, même si certaines langues chuchotent que c’est de la frime. Il faut aussi savoir que comme plusieurs autres magiciens, Copperfield vénère le légendaire Harry Houdini, le plus célèbre de tous les magiciens de l’Histoire. Or, Houdini est mort des suites d’une péritonite causée par un coup de poing que lui avait donné sans avertissement un étudiant de l’université McGill de Montréal. Par contre, peu de gens savent – sans doute parce que c’est un détail entièrement inventé par nous- que Houdini était également violoniste et qu’à sa mort son violon personnel est resté à Montréal. C’était d’ailleurs un violon tout-à-fait particulier qui avait la particularité- comme peu de violons peuvent y arriver- de faire éclater le verre lorsqu’on en tire certaine notes. Et ce fameux violon, on va profiter du passage de Claudia Schiffer à Montréal pour lui offrir, pour qu’elle l’offre à son tour à son fiancé. Incroyable, n’est-ce pas? Mets-en. Mais c’est là tout le secret de Surprise sur Prise : placer ses victimes dans un contexte tellement plausible que celle-ci en perd le sens des perspectives. C’est encore plus facile quand la victime n’est pas dans son pays, qu’on lui raconte ces bobards dans une autre langue que la sienne et qu’elle est sans doute un peu sur le décalage horaire.

Le piège est en place. Quel est-il au juste? Après que notre luthier l’ait fait ,on persuadera la Schiffer de jouer un peu du violon pour qu’elle en constate elle-même le pouvoir en faisant éclater une coupe de champagne posée sur une table. Sauf que (c’est pour ça que ça s’appelle Surprise Sur Prise), en plus de la coupe, ce seront les 300 fenêtres de l’édifice en face qui éclateront. Pour clore le tout , Marcel Béliveau entrera sur le plateau pour dénouer le gag et offrir à la victime un magnifique gâteau d’anniversaire, sous les applaudissements de l’équipe et le regard admiratif de Louise Cousineau.

Tout est en place. Nous sommes dans un loft du Vieux-Montréal; on a engagé le comédien et violoniste Jocelyn Bérubé pour jouer le rôle du luthier qui fera d’abord une démonstration puis offrira l’instrument à la belle. Et gros détail important : les carreaux des 300 fenêtres de l’édifice de l’autre côté de la rue ont été remplacés par des vitres en sucre (comme au cinéma) qui au moment précis prévu exploseront en mille miettes sans causer le moindre danger.

C’est parti. Le réalisateur très nerveux, flanqué de Louise Cousineau, est dans un local dissimulé et donne le signal aux nombreuses caméras cachées. Marcel et son fameux gâteau attendent pour leur part dans une auto climatisée, question de ne pas fatiguer notre charmant animateur. Ça y est le signal est donné par le guetteur : Claudia Schiffer , accompagnée d’un entourage d’environ 12 personnes, grimpe les marches qui mènent au loft du luthier. Les caméras tournent et c’est là que ça commencer à mal marcher. Tout d’abord, le luthier joue du violon magique devant Claudia pour faire éclater la coupe de champagne posée délicatement sur un tapis de feutre. Sous le tapis de feutre, une petite charge explosive est sensée …faire exploser la coupe. Suite à sans doute un mauvais calcul de l’artificier, au son du violon la coupe tremble un peu et…tombe tranquillement sur le côté. Malaise : c’est une chose de faire accroire que les vibrations sonores peuvent faire éclater le verre, c’en est une autre de persuader quelqu’un qu’on peut coucher une coupe sur le côté en lui jouant une sérénade. La victime pouffe de rire, Louise Cousineau aussi. Marcel dans sa voiture commence à trouver le temps long et décide de sortir. Le réalisateur y va pour le pour le tout; il ordonne qu’on force presque Claudia Schiffer à jouer du violon. Elle s’exécute gentiment, mais y croit manifestement pas beaucoup. Elle se met à jouer du violon qui couine comme un chat étranglé. Le signal de l’explosion est donné et cette fois-ci, c’est plutôt réussi. Il y a du (faux) verre qui revole partout. Et c’est alors qu’on découvre 2 choses. Un, nonobstant la consigne, un photographe de La Presse s’est juché discrètement dans l’escalier de secours pour prendre des photos interdites. Deux, le verre en sucre qui ne coupe pas, ben des fois ça coupe quand même ! La preuve : le photographe hors-la-loi en a reçu un morceau dans le cou et débarque dans la pièce en pissant le sang de sa veine jugulaire, ce qui (c’est le moins qu’on puisse dire) brise un peu le mood du gag.

Pendant ce temps, Marcel Béliveau, coiffé de sa petite casquette, enfile rageusement le corridor avec son fameux gâteau. Sauf qu’un des gardes-du-corps le prend pour un vulgaire livreur de gâteau et le revire de bord. Marcel vire sur ses talons, crisse le gâteau dans une poubelle et passe à côté du réalisateur –et de bien sûr Louise Cousineau qui en a vraiment pour son argent- en disant « Mangez de la marde avec votre Christ de gag pourri! » avant de disparaître. Le tout se termine dans la confusion la plus totale jusqu’à temps que Claudia Schiffer (qui, j’insiste, est restée souriante mais un peu perplexe tout au long de la scène ) et son entourage de douze se dirigent rapidement vers le monte-charge puisqu’ils sont attendus au Stade Olympique par un foule en liesse. Sauf que vu leur grand nombre, ils vont rester coincés entre 2 étages pendant un quart d’heure.

Résultat final : un gag de 90 secondes, diffusé une seule fois, mettant en vedette une des plus grandes stars au monde. Pour citer les paroles immortelles de Marcel, « gardez le sourire ! »