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L’argent n’a pas d’auteur

Je lisais récemment dans mon New York Times une entrevue avec un vénérable auteur-compositeur-interprète noir qui s’appelle Barrett Strong. Il a écrit entre autres choses une chanson qui s’appelle MONEY. L’enregistrement de cette chanson a été le premier 45 tours –hé, les jeunes : demandez à vos parents, ou pire encore à vos grands-parents de vous expliquer ce qu’était un 45 tours!- à succès de la célébrissime étiquette Motown. Certains d’entre vous connaissez peut-être la version de la dite toune enregistrée par les Beatles. Hé, les jeunes, demandez à vos…ah et puis non laissez faire : pour les Beatles, je crois que ça devrait aller…

Toujours est-il que dans l’article, Barrett Strong racontait, ô surprise, comment il s’était fait enfirouaper (de l’anglais « in fur wrapped, enveloppé dans la fourrure ») par Berry Gordy, le fondateur de Motown côté droits d’auteur. En raccourci, il ne touchait plus le moindre sou sur la chanson « MONEY »- vous aurez noté la lourde ironie ; sou, money- chanson qui en passant est à mon avis bien meilleure que celle du même titre du groupe Pink Floyd. Celle-là, je crois que les jeunes connaissent. Vous ai-je mentionné que Barrett Strong est noir? Ce qui est triste, c’est que Berry Gordy l’est aussi.

Ce qui me fait penser du coup à Otis Blackwell et au légendaire Colonel Parker, le redoutable et non-regretté gérant d’Elvis Presley. Otis Blackwell était un génial auteur-compositeur à qui on doit entre autres le « Great balls of fire » de Jerry Lee Lewis et surtout, dans le cas qui nous intéresse, les « All shook up » et « Don’t be cruel » d’Elvis Presley. En passant, vous aurez remarqué que j’ai cessé de recommander aux plus jeunes d’aller voir leurs parents; et quant à ceux qui se demandent quand est-ce au juste que j’interviens personnellement dans cette histoire, soyez rassurés : je vais en venir à mes aventures avec Pauline Julien, au Temps d’une dinde et à la version d’Allain Turban de « Mes blues passent pu dans porte ». Restez à l’écoute.

Or donc, Otis Blackwell. Vous aurez déjà deviné qu’Otis était noir –tous les Otis, à part les ascenseurs, sont noirs- et qu’il s’est fait lui aussi rouler dans la farine sinon la fourrure. Dans son cas, c’est par le Colonel Parker, qui lui n’était pas noir, mais blanc, immigrant hollandais illégal et crosseur. Parker a commencé sa carrière en se promenant dans les foires avec son numéro de poules dansantes, qui consistait à mettre des poules sur des plaques chauffantes jusqu’à ce qu’elles finissent par danser sur place pour ne pas se brûler les pattes. Décidément, entre les colonels Sanders et Parker, le sud américain nous aura grandement fourni en faux militaires qui maltraitaient les poulets…

J’en reviens à Otis Blackwell. Le Colonel avait inventé pour ce dernier (et sans doute plusieurs autres) ce que j’ai baptisé « la clause Parker ». Quand il était question de discuter de répartition de droits d’auteurs, le Colonel disait ceci à Otis . « Otis, qu’est-ce que tu préfères : 100% de rien ou 50% de $1000.00? En clair, ça signifiait que si Otis ne partageait pas ses éditions avec le Colonel (ou parfois même avec Elvis, dont le nom apparaissait alors comme co-auteur, sans que,  j‘insiste sur ce détail, Elvis lui-même ne soit complice de la manigance ), Elvis Presley n’endisquerait pas  les chansons d’Otis Blackwell. Et pour notre plus grand bénéfice et le bien moindre d’Otis, elles ont été enregistrées.

Tout ça pour dire que dans le domaine du droit d’auteur et de la chanson, toutes les magouilles imaginables ont été imaginées.  Je m’empresse de dire qu’en tant que parolier depuis plus de 40 ans, je n’en ai été que rarement victime. Mais ça m’amène à vous parler de la bizarre perception qu’ont encore beaucoup de gens de la notion de droits d’auteur. Je n’embarquerai pas ici dans tout le débat  sur le piratage et le téléchargement. Je me contenterai de quelques petites anecdotes qui illustrent bien mon propos et basée sur mon vécu, comme ils disent.

Commençons avec Beau Dommage. Vous savez, le timbre. Vous savez peut-être aussi que dès la fondation du groupe, les membres ont décidé de former une coopérative. Hé les jeunes, demandez à vos…bon,  bon,  je blague. Pour faire simple, dites-vous que grâce à cette coopérative et un repartage très compliqué des droits d’auteurs, nous nous sommes évités de longues disputes stériles qui ont déchiré des groupes bien plus importants que nous. Bref, là n’est pas mon propos. Ce que je veux en dire, c’est que nos chansons, certaines très connues du public québécois ont été écrites il y déjà un bon bout de temps. C’est sans doute ce qui a fait dire un jour à une jeune recherchiste de Radio-Canada à qui j’apprenais que j’étais l’auteur d’une de ces chansons : » Ah bon; je croyais que ces chansons-là, personne ne les avait écrites. »

Très drôle, dites-vous : je suis d’accord. Là où c’est moins drôle, c’est quand ce sont des gens dont c’est la tâche de rendre à César ce qui est à César (et je ne parle pas du groupe César et les Romains) qui échappent la baballe.

Je n’en prendrai comme bref exemple qu’une chanson de Beau Dommage dont j’ai écrit le texte et qui s’appelle « Le Blues de la Métropole ». Il y a de ça quelques années, les responsables à l’animation du Complexe Desjardins avaient organisé sur le grand agora de cet endroit une exposition d’artefacts de …l’Expo 67 (uniformes, passeports, etc..) pour souligner le je ne sais pas combientième anniversaire de cet évènement. Ils avaient baptisé le tout (je prends un grand respir) : « En 67 , tout était beau, c’était l’année d’l’amour, c’était l’année d’l’Expo ». Vous conviendrez que ça ressemblait étrangement aux premiers mots de notre chanson. J’avais donc prestement monté les marches- à l’époque , je montais encore prestement les marches- menant à leurs bureaux. Je m’étais planté mélodramatiquement devant une pauvre réceptionniste en lui demandant mon chèque; devant son air ébahi, j’avais remonté ma manche, pris pendant de longues secondes mon pouls pour finir par dire : « Non, j’ai vérifié, je ne suis pas mort; donc ma chanson n’est pas dans le domaine public –peu s’en faut, il aurait fallu que je sois mort depuis 50 ans!- donc ma chanson m’appartient encore, donc vous me devez de l’argent. » Et j’étais reparti sans demander mon reste, dont je savais bien sûr qu’il n’existait pas.

Toujours pour Le Blues de la Métropole,  ou encore par exemple du Phoque en Alaska ou de Ginette, je ne vous raconte pas la quantité de fois où nous avons du signalé poliment mais fermement à des commerces ou des agences de pub qu’ils n’avaient pas à se servir des nos mots pour vendre leurs babioles.

Comprenons-nous : ce n’est pas une question d’argent mais de principe : si des rédacteurs de pub se font payer des fortunes pour pondre des slogans parfois crétins, je ne vois pas pourquoi on utiliserait gratos nos mots à nous, d’autant plus que nous avons toujours refusé de les céder.

Encore faut-il savoir où ça s’arrête. Je me suis un jour retrouvé à l’autre extrémité de ce débat. J’avais créé à une certaine époque, avec mon ami Michel Morin un show télé qui s’appelait « Une fois c’t’un gars. » Du coup. Je reçois un appel de Claude Blanchard en personne et en calvaire. Il affirme que cette phrase lui appartient! Sceptique et décontenancé, je lui demande s’il l’a mise sous copyright. La réponse est bien sûr non. Fin de l’histoire. Parlant de phrase courte, je me suis toujours demandé si les auteurs de la série « Tu m’aimes-tu? », qui malheureusement a eu une réponse négative de la part du public, avaient parlé avec Richard Desjardins de l’utilisation de ce titre d’une de ses plus célèbres et belles chansons. Je n’aurais pas voulu être celui qui se coltaille avec ce grand auteur, en duel à l’aube à coups de chain-saw.

Encore deux ou trois petites anecdotes personnelles sur la notion du droit d’auteur. J’ai un jour écrit une chanson pour un interprète que je ne nommerai pas, parce que je le trouve sympathique. Son agent m’appelle pour me dire que son artiste veut changer un mot dans le texte. UN mot! J ’obtempére,  même si je ne vois pas en quoi ça améliore la chanson. J’ai compris plus tard en lisant la pochette : le texte était maintenant signé de nos 2 noms! Je m ‘empresse de dire qu’il ne s’agissait pas de mon ami Paul Piché. Paul, avec qui j’ai écrit près de 20 chansons a une attitude toute contraire. Un soir où nous avions bêché sans succès à l’écriture d’une chanson pour un film de Jean-Pierre Lefèvre, il est rentré chez lui et a écrit toute la chanson d’un seul jet. Il a tenu à ce qu’on cosigne le texte.

Et Pauline Julien, me direz-vous? J’ai toujours eu une grande admiration pour cette regrettée diva de la chanson québécoise. Et je suis extrêmement fier d’avoir eu le privilège d’écrire une chanson pour elle, même si le disque où elle s’est retrouvée s’est très mal vendu. Mais j’en ai bavé un coup. Sur sa demande, j’étais allé la rencontrer pour littéralement passer l’audition. Elle m’avait alors raconté qu’il arrivait à son amoureux Gérald Godin et elle d’aller voir ailleurs pour ensuite revenir l’un vers l’autre pour mieux se retrouver. Elle voulait avoir un texte sur ce thème. Ça tombait bien : je venais tout juste de finir un texte sur le thème en question que je destinais à Julien Clerc. Mais Julien pour Julien, ça me faisait plaisir et honneur de lui offrir. Le texte est mis en musique. Un soir je suis chez moi et Pauline m’appelle : elle est en train d’écrire les « crédits » de la pochette et m’apprend qu’elle veut qu’on cosigne la chanson. Je refuse évidemment et furieuse, elle me raccroche au nez. Quelques semaines plus tard, au lancement du disque, je constate qu’il est écrit » « texte de Pierre Huet, sur une idée de Pauline Julien ». Chère Pauline.  Encore une fois, ce n’est pas l’argent qui compte; c’est la propriété morale.

Dernière anecdote. Je reçois un jour un appel de France d’un chanteur que j’avoue ne pas connaitre et qui s’appelle Allain Turban. Il m’apprend qu’il a endisqué ma chanson « Mes blues passent pu dans porte. » Il y a cependant un os : il a changé les paroles. En effet, comme il craint que la phrase « j’devrais appeler chez drogue-secours » ne puisse pas tourner à la radio en France, il a changé ça pour « j’devrais appeler chez LOVE secours ». Je suis stupéfait et  je regarde autour de moi : il faut savoir qu’à l’époque je travaille à Surprise Sur Prise et que je crains un coup monté de mes camarades. Je lui dis : »Autrement dit, vous m’annoncez que sans me prévenir, vous avez envoyé mon type chez les putes? » Ben oui.

Finalement, j’oublie ça. Quelques mois plus tard, je reçois le disque de ce monsieur. Ça m’a au moins donné l’occasion d’un gag, quand je lui ai répondu d’une simple lettre qui disait : « Monsieur Turban, CHAPEAU! ».

Ah oui, et Le temps d’une dinde, me direz-vous? Celle-là, personne ne l’a plagiée. Et saviez-vous qu’il y a eu une suite à cette chanson, qui s’est appelée « Encore d’la dinde »? Hé les enfants, inutile d’aller en parler à vos parents : ils ne la connaissent pas non plus…