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My dinner with André

L’article de Sylvain Cormier sur un nouveau livre d’entrevues avec André Franquin, dans Le Devoir, m’a ramené d’excellents souvenirs –et un autre , moins- de mes rencontres avec le génial créateur de Gaston Lagaffe et du Marsupilami. Cela remonte aux années où j’avais créé le Festival International de la Bande Dessinée de Montréal (ouf!). Je travaillais alors à l’Université de Montréal et je m’étais en quelque sorte arrangé pour me fabriquer –j’y étais animateur culturel- une job correspondant à ma passion d’alors pour la bande dessinée. C’est d’ailleurs là que j’ai fait la connaissance de Jacques Hurtubise, rencontre qui allait éventuellement faire en sorte que je devienne un jour rédacteur-en-chef du magazine Croc. Mais tel n’est pas mon propos aujourd’hui.

Ce fameux Festival, qui dans sa première incarnation a duré 4 ans, aura permis, je l’espère, à mieux faire connaître les bédéistes québécois d’alors , mais de façon plus égoïste, m‘aura donné la chance de faire la connaissance de plusieurs de mes idoles en bande dessinée comme Claire Bretecher, Hugo Pratt, Gotlib, Tardi, Fred, Reiser et dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, André Franquin. Mais avant de parler de ce grand, très grand monsieur et de mes mésaventures avec lui, quelques petits souvenirs en vrac…

Prenez Reiser, ce regretté membre de l’équipe de Hara-Kiri. Parlant de membre, il avait découvert un jour qu’il avait le cancer des os en se cassant une jambe en tombant d’une estrade à peine haute de quelques centimètres. Avec un cynisme propre à son époque, il s’était fait photographier revêtu d’une armure médiévale…avec une jambe découverte. Lors de son passage à Montréal, nous avions découvert un homme charmant. À cette époque, j’engageais –bénévolement, bien sûr- un jeune fanatique de bd d’à peine 12 ans, enthousiaste et brillant, pour qu’il s’occupe du coin jeunesse. Il s’appelait (et s’appelle encore) Stephan Bureau. Comme nous tous, Stephan avait demandé à Reiser de lui faire un dessin. Ce dernier lui avait alors tracé un grand portrait de femme nue et vulgaire comme lui-seul savait le faire en écrivant au-bas : « À Stephan, pour l’aider à se masturber! ». Imaginez : posséder un original de Reiser et ne pas pouvoir le mettre sur le mur de sa chambre chez ses parents…

Ou prenez Claire Bretecher : à l’époque de sa venue au Festival, elle était déjà aussi brillante, talentueuse et baveuse qu’elle l’est aujourd’hui. En passant, connaissez-vous l’origine de son bizarre de nom? C’est tout simple, une fois qu’on le sait : sa famille, normande, était d’origine anglaise : ils étaient donc…britishers!. Pour revenir à son passage au Festival, je l’avais à l’époque initié –pas fou le gars- à l’œuvre de Beau Dommage. Elle avait donc insisté, profitant de sa notoriété et de son passage à l’Université de Montréal pour obtenir un rare privilège : elle avait visité en ma compagnie l’alcôve où la direction de l’Université gardait cachée la dépouille du célébrissime-n’exagerons pas- Géant Beaupré. C’était bien sûr avant que celle-ci soit enfin incinérée et renvoyée chez ce qui lui restait de famille au Manitoba.

Et Franquin dans tout ça, me direz-vous? Malheureusement, Franquin n’est jamais venu en personne parler de Spirou, Gaston ou le Marsupilami à nos festivaliers. Ses originaux, eux,  oui par contre. Mais j’ai faut sa connaissance, dans des circonstances particulières, comme il se doit, sinon pourquoi en parlerais-je? Pour faire du namedropping? Ce n’est pas mon genre!

Or donc. J’étais à Bruxelles, avec Sylvie Desrosiers, ma fiancée de l’époque, pour recruter d’éventuels dessinateurs invités pour le Festival ou encore obtenir des prêts de planches original puisque nous accordions beaucoup d’importance et d’espace aux dessins originaux, tant ceux des bédéistes québécois que des grands de la bd européenne. Notre horaire était chargé : le midi, nous mangions avec Henri Desclez, le rédacteur-en-chef de la revue Tintin et le soir, nous avions rendez-vous à souper sur la Grand Place de Bruxelles avec rien de  moins qu’André Franquin, mon idole ,accompagné de son épouse. Encore aujourd’hui, je n’ai pas la moindre idée de la manière dont j’avais obtenu un tel rendez-vous. Faut croire qu’à cette époque, j’étais moyennement culotté.

Henri Declez  ,un homme très gentil, marié à l’époque à une québécoise –salut Henri!- nous invite à manger dans un chic resto grec de Bruxelles. Nous mangeons très bien mais nous buvons surtout beaucoup aussi de la retsina, cette spécialité grecque dont encore aujourd’hui je ne peux pas regarder une bouteille sans frissonner. De retour à l’hôtel nous buvons café sur café dans l’espoir-futile- de retrouver nos esprits. Arrive le soir. C’est Franquin qui invite et il nous entraîne dans un très chic restaurant thai, non loin de la Grand Place. Je suis face à mon idole de jeunesse. J’aimerais dire que je suis bouche bée, mais c’est plutôt le contraire : j’ai tellement la nausée que j’ose à peine ouvrir la bouche. Conséquence : entre chaque service –et il y en a beaucoup dans ce resto thai- je vais vomir aux toilettes, pendant que Sylvie, qui s’y connaît beaucoup moins en bd, assure tant bien que mal la conversation.

J’ai heureusement pu me reprendre quelques mois plus tard, quand Beau Dommage- encore eux-est allé faire un spectacle à Bruxelles. Ça m’a permis d’inviter le grand Franquin et madame au show, et permis à Michel Rivard et aux autres d’à leur tour manger- sans problème cette fois-là – avec un génial créateur qu’eux aussi admiraient beaucoup. Ça m’a aussi permis de confier le récit de mes mésaventures à Franquin, ce qui l’a beaucoup fait rigoler.

Denier détail. Franquin n’est jamais venu au Festival mais nous avait quand même prêté une vingtaine de planches originales pour notre quatrième année. Quand est venu le temps de les lui rapporter, j’ai tenu à le faire moi-même. Comme le paquet enveloppé de papier brun était trop gros, on m’a forcé à mettre mon précieux colis dans la soute à bagages de l’avion. Arrivé à Paris, le paquet avait disparu. Après un énorme moment de panique –mes fidèles lecteurs savent que j’avais déjà égaré 25 planches de Jacques Tardi- j’ai insisté pour faire à rebours le chemin entre l’avion et le tapis roulant à bagages; le paquet était resté accoté , quasi invisible, dans un monte-charge dont les murs étaient du même brun que le papier qui emballait les précieux dessins.