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Roméo Pérusse pour toujours

Mon ami et chroniqueur au Devoir Sylvain Cormier a été récemment victime d’une catastrophe toute personnelle: suite à un dégât d’eau chez lui, sa précieuse collection de disques en vinyle a été en partie abîmée. Des tas d’amis Facebook, fans comme lui de ce mode d’enregistrement théoriquement désuet mais en pleine résurgence, ont partagé sa douleur et échangé leurs propres histoires d’horreur. De fil en aiguille , cela a emmené des conversations sur le type de trucs aujourd’hui introuvables qu’on…trouvait dans le temps en version trente trois tours –et un tiers, pour être plus précis- sur le marché , et qui ne risquent guère de ressortir en cd ou moins encore en patentes à gosse du genre «streaming» . Comme par exemple des enregistrements de célèbres comiques québécois tels Gérard «nono» Deslauriers , Lucien «Beatle» Stéphano , Lucien Boyer (le prénom «Lucien» était beaucoup plus populaire au Québec dans les années cinquante que maintenant) et surtout le plus grand de tous, Roméo Pérusse , que j’ai eu l’honneur et le plaisir de rencontrer quelques fois, dont la plus marquante est sûrement celle où il n’était vêtu que d’une paire de panties et de deux cache-mamelons. Mais avant d’évoquer mes souvenirs au sujet du regretté Roméo, quelques mots au sujets des 2 ou 3 autres humoristes –je dis «2 ou 3», parce qu’ils étaient à leur trois moyennement drôles- que j’ai nommé plus haut. Incidemment, si vous travaillez fort, vous pourrez arriver à trouver de leurs extraits visuels ou à la rigueur oraux de ces semi-légendes sur Youtube ou des trucs comme ça… Je tiens à préciser que tout ce que je raconte plus bas relève de mes souvenirs personnels, et non de vagues recherches sur un Wikipédia plus ou moins fiable, ce même Wikipédia qui, comme tout le monde le sait, est devenu le refuge des recherchistes paresseux…

Je garde de Lucien Boyer un souvenir ému, parce que son légendaire 33 tours «En r’venant de mon gros jambon» a fait le bonheur des partys de Noel de ma famille vers le début des années 60. Il convient d’ expliquer aux plus jeunes et sans doute aussi à leurs parents ce titre un peu mystérieux; c’est un –heureux?- mélange entre la classique chanson folklorique québécoise «En r’venant de Rigaud» et du non moins célèbre opus «Gros Jambon» de notre Réal Giguère. Je crois qu’un peu plus d’explications s’impose. Il faut savoir que Lucien Boyer était un conteur classique d’histoires cochonnes, mais qu’il avait l’étrange habitude d’émailler ses enfilades de blagues d’un couplet de la chanson portant sur le fameux retour de la ville de Rigaud. En plus, pour un peu plus compliquer les choses, il avait décidé cette année là –il enregistrait un disque par année, jusqu’à épuisement des stocks de blagues ou de patience du public- de faire, comme on dit communément, du millage sur le tube du grand Giguère. Toujours est-il qu’un party de Noel québécois de l’époque n’en était pas un sans une écoute religieuse entrecoupée de rires gras de Lucien Boyer.

De Lucien « Beatle » Stéphano, je n’ai qu’un souvenir marquant dont le nom de scène de l’artiste vous donne un bon indice. Lucien Stéphano était un stand-up plutôt ordinaire- je suis allé confirmer mes souvenirs en allant récemment écouter de trop longs extraits- qui vers 1964 a eu l’idée géniale d’aller s’acheter une perruque cheap des Beatles tel qu’on en vendait à l’époque. Et croyez-moi, quand je dis «cheap», je sais ce dont je parle: mon chum Ti-Gilles, celui-là même dont je parle dans ma chanson «Montréal» s’en était acheté une et même à 2 piastres, il s’était fait avoir. Donc à partir de ce moment, notre artiste a fait carrière sous le nom de Lucien «Beatle» Stéphano; mais je crois que sa carrière a duré ce que durent les perruques cheap.

Gérard «Nono» Deslauriers; quand un gars choisi lui-même un tel surnom, c’est mal barré. Pour en rajouter, il se faisait appeler également «le péteux de broue», expression aujourd’hui désuète et presque poétique. Un jour, pour mon anniversaire, mon ami Jean-Pierre Plante était arrivé à mon party d’anniversaire avec un 33 tours de monsieur Nono. Déjà ravis à l’idée de bientôt nous esclaffer en gang à l’écoute de ce chef d’œuvre putatif, nous l’avons tout de suite mis sur la table tournante. Bonus, c’était un enregistrement « live » au chic café Lodéo (ceci n’est pas une faute d’orthographe : la légende veut que l‘ancien club « Rodéo » de la rue St-Laurent avait été ainsi rebaptisé par ses nouveaux propriétaires chinois). Quand j’écris « live », c’est une façon de parler : les blagues de Nono étaient tellement mauvaises qu’il semblait régner un silence de mort dans le Lodéo. C’est seulement après que Nono ait conté l’histoire de la fille pas de bras, pas de jambes ,accrochée après la clôture de barbelés- je vous épargne le punch- qu’il y a eu une réaction. En fait, d’expliquer monsieur Deslauriers, c’est qu’il se passait une bataille entre 2 gars sur les « goofballs » (sorte de méchante pilule de l’époque) dans un coin du club. Nous avons rapidement mis fin à notre écoute pour se remettre de bonne humeur en se racontant quelques perles de Roméo Pérusse, comme : « C’est le gars qui s’achète un micro-ondes pis qui veut payer avec sa carte d’assurance-maladie; le vendeur y dit : ‘comment ça? Le gars répond : ça fait des années que chu malade d’en avoir un! »

Roméo Pérusse a croisé 3 ou 4 fois mon chemin; chacune de celle-ci a été mémorable, et en particulier la première. J’étais à l’époque dans la Quenouille Bleue, cette troupe dont je risque de parler souvent dans ces pages parce qu’elle a heureusement marqué ma vie. Nous étions en tournée, dans un club à Val D’Or. Je précise : nous étions dans la salle, pas sur scène : nous faisions plutôt dans la salle de Cegep. Mais nous étions venu voir le grand Roméo Pérusse en personne. Nous étions quelques uns : Guy Berthiaume, l’actuel PDG de la Grande Bibliothèque; Michel Rivard; Serge Thériault et bien sûr Jean-Pierre Plante, déjà friand de ce genre de choses. Après une enfilade d’excellentes blagues non répétables, Roméo quitte la scène pour revenir sous les bravos, dans un éclairage feutré, avec son air le plus sérieux, et là il nous fait le numéro de la Prière du Soldat; dans ce célèbre classique, il raconte qu’un soldat avait été surpris en pleine messe, à l’église, en train de jouer aux cartes. Aux officiers venus l’arrêter pour un tel outrage, il explique qu’ils n’ont rien compris : il est tellement pauvre qu’il n ‘a pas les moyens de se payer une Bible : alors, il se sert de son jeu de cartes pour exprimer sa foi. Car voyez-vous, l’as lui rappelle qu’il n’y a qu’un seul Dieu; le 2, qu’il y a 2 testaments, l’ancien et le nouveau; le 3 évoque la Sainte Trinité…et ainsi de suite pendant que l’organiste du club en remet dans le trémolo, jusqu’au moment final (le roi, bien sûr, dont j’oublie la symbolique) où Roméo prononce la phrase finale : « et ce soldat, mesdames et messieurs, c’était MOI! ». Puis il sort en BOITANT, pour un maximum de pathos. Le public ne se possède plus, tout le monde est debout. Après un court black-out, l’organiste part un air de cha-cha sexy et Roméo revient sur scène, habillé en danseuse- n’oublions pas qu’il était chauve et portait la moustache- et entame un strip-tease. Un strip-tease, qu’il finit en petites culottes et cache-mamelons. C’est sûrement un enchainement de numéros que Robert Lepage lui-même n’a jamais envisagé!

J’ai recroisé Roméo Pérusse 2 ou 3 fois; la fois où, en compagnie entre autres du Grand Antonio et du maire de Drummondville, il avait honoré de sa présence un spécial télé consacré à Croc; une autre fois où en mangeant, il m’avait raconté avoir lui-même cassé son dentier à coups de marteau pour éviter d’aller faire un show qui ne lui tentait pas. Et la dernière je crois, lorsqu’il avait fait un excellent (mais interminable) numéro à Juste pour Rire pour ensuite nous écrire une lettre de remerciements qu’il avait fait rédiger par un écrivain public parce qu’il avait peur de faire des fautes.

Sylvain Cormier, courage pour tes disques abîmés. Si tu en trouves un de Roméo, appelle. Pour Nono Deslauriers, ça peut attendre…