Petit détour littéraire qui, ne vous inquiétez pas amis lecteurs, va nous entraîner sur des pistes moins fréquentables pleines de détrousseurs de cadavres . Je viens de terminer la lecture d’un roman formidable, à mi-chemin entre le thriller et le récit historique. Il s’agit d’IMPERIUM, de Robert Harris. Avant de plus vous en parler, quelques mots d’abord sur le Harris en question, qu’il ne faut pas confondre Thomas Harris, le créateur d’Hannibal Lecter et de ses spécialités culinaires. Robert Harris est un de mes auteurs préférés; c’est un historien britannique à qui on doit un paquet d’excellents thrillers , souvent à saveur historique. Je tiens pour son chef-d’œuvre FATHERLAND, un de ses tous premiers livres. Fatherland appartient à un sous-genre que les anglophones appellent «What If» et les français, à ce qu’en m’en dit Robert Aird, le «uchronique». On pourrait aussi utiliser bêtement le terme de politique –fiction. Dans ce genre romanesque, l’histoire (celle avec un petit h), se passe dans une Histoire (avec un grand H) réécrite différemment. Ainsi, dans Fatherland, on assiste à une enquête policière qui se déroule dans l’Allemagne de 1946, mais une Allemagne où Hitler aurait gagné la guerre et attend, triomphal, la visite de politesse du président américain, un dénommé Kennedy, ou plus précisément, Joseph Kennedy, le père des autres. Comme vous le voyez, c’est déjà tout un programme.
Robert Harris a aussi décrit le retour du Stalinisme dans «Archange», ou encore les journées qui ont mené à l’éruption du Vésuve dans «Pompéi»; si vous avez vu le film «The ghost writer» avec Pierce Brosnan, sachez que c’était aussi basé sur un de ses romans. Tout récemment il en a publié un nouveau tournant cette fois autour de l’Affaire Dreyfus, que je n’ai pas eu le plaisir encore de lire.
Mais revenons à IMPERIUM. Le livre décrit la longue montée du célèbre Cicéron vers le pouvoir . Les magouilles auxquels sont mêlés les Catilina, Pompée, César et Cicéron sont passionnantes et n’ont rien à envier aux bassesses qu’on peut commencer à apercevoir dans l’actuelle campagne électorale québécoise. La vie de Cicéron nous est racontée par Tiron, son esclave, un personnage qui a réellement existé. Non seulement a-t-il existé, mais j’ai appris en lisant ce livre 2 trucs qui m’ont proprement stupéfié. D’abord, saviez-vous (en tout cas, moi, je ne le savais pas) que la sténographie n’a pas été inventée par une obscure secrétaire américaine du siècle dernier, mais bien par le Tiron en question, qui avait mis au point cette méthode pour arriver à noter les logorrhées qu’étaient les discours de son maître. L’autre chose que j’ai apprise, ou pour être plus précise, l’autre double chose que j’ai apprise, c’est que Tiron avait aussi inventé l’esperluette ;et c’est là que tout le monde, sauf moi- – mais c’est tout récent- tout le monde, donc, s’exclame : «C’est quoi, l’esperluette ?», Et bien chers lecteurs, l’esperluette, c’est ce qui a fait le succès de Brault & Martineau et leurs meubles : l’esperluette, c’est la patente à gosse (nom que je donnais à la chose jusqu’à ma lecture d’IMPERIUM) entre Brault et Martineau. À mon avis c’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus original dans leur commerce, mais bon…
Pour revenir à IMPERIUM, la lecture de ce livre m’a inévitablement ramené à mes années de latin- 5 ans , quand même- au collège classique St-Ignace où j’ai fait presque tout mon cours classique. Je dis «presque» parce que mes études ont duré sept ans au lieu de huit non pas parce que j’ai abandonné ou qu’on m’a mis dehors, mais bien parce qu’à cause de l’arrivée des infâmes cegeps, on a carrément fermé mon collège. J’y reviendrai un autre jour. Restons-en plutôt à Cicéron et à son ennemi juré, le fourbe Catilina à qui il a dédié ses fameuses Catilinaires que nous apprenions par cœur en latin. Je me souviens encore des premières strophes, mais je vous ne les réciterai pas, parce que réciter en écrivant, c’est un peu tricher. Je me souviens de ces strophes et surtout du mois de juin caniculaire où notre prof de latin, le père Hogue- et, oui, dès la toute première journée de septembre où nous faisions sa connaissance, il était surnommé «pirogue»- nous les avait enseignées. Je m’en souviens parce que c’est le même mois de juin où la direction du collège avait décidé d’exhumer les cadavres de jésuites de notre cimetière personnel.
Je sais, ça mérite quelques éclaircissements. Le collège St-Ignace, propriété des Jésuites . était situé sur le terrain de l’ancien noviciat des Jésuites du Québec, au coin de Papineau et Henri-Bourassa. En fait, les locaux de mon ancien collège sont maintenant ceux du collège Mont St-Louis, ce qui n’arrange rien. Mais donc, avant d’être le Mont St-Louis , avant d’être le collège St-Ignace, c’était ma foi un terrain très étendu , luxueux et même luxuriant puisqu’on on y retrouvait entre autres des pommiers, des pruniers et des mûriers. Et un cimetière. Un cimetière réservé aux Jésuites, à ne pas confondre avec l’autre cimetière- public celui-là et qui existe encore- qui le jouxtait du côté ouest. Nous pataugions dans les cimetières. Mais restons-en, si vous le voulez bien à ce que nous, étudiants de St-Ignace, considérions NOTRE cimetière, et qui recélait des dépouilles de Jésuites dont les plus récentes dataient d’à peine 20 ou 25 ans. Avec l’expansion inévitable du collège et sa modernisation, il a un jour été décidé par la direction d’installer des courts de tennis derrière le collège…à l’endroit précis où se trouvait le cimetière. Il fallait donc non-seulement dé-consacrer (ou un autre rite bizarre quelconque de ce genre) ce bout de terrain, mais en plus exhumer toutes les dépouilles mortelles. En pleine canicule. En pleine étude des Catilinaires de Cicéron. Avec, je vous le rappelle, des dépouilles fraîches- si on peut dire- d’à peine 25 ans.
C’est donc ainsi que par un beau mois de juin, les travaux d’exhumation ont commencé. Vous pouvez deviner comment cet ajout imprévu à nos activités parascolaires pouvait exciter les quelques centaines de gars que nous étions. Il faut dire que les filles n’avaient pas encore fait leur apparition dans nos murs; vous me direz qu’il n’y a pas de corrélation directe entre les hormones mâles et des squelettes de jésuites déterrés, mais disons qu’en attendant l’arrivée des filles, nous avions un surplus d’énergie et d’imagination à dépenser. Les travaux d’exhumation avaient lieu à moins de cent mètres de nos fenêtres- ouvertes- de classe, et la vue des travaux était (mal) dissimulée par une haie de cendres. L’odeur, par contre, voyageait très bien. Il n’y a rien comme un vent nord-est, en pleine chaleur, pour vous charrier une odeur fétide par la fenêtre de classe et ralentir votre ardeur pendant que vous essayez tant bien que mal de traduire du Cicéron ou du Virgile. Ça vous laisse une odeur de Rome Antique pas piquée des vers, virgiliens ou pas.
Sur l’heure du midi, nous avions, nous les étudiants, notre propre rituel funéraire. Notre sandwich de lunch à la main, nous nous glissions discrètement entre les branches de la haie de cèdres pour observer le déroulement des travaux, qui possédaient eux-mêmes leur propre rituel. Ainsi, le conducteur de la pépine, à chaque fois que son véhicule déterrait un nouveau cadavre, se levait tranquillement de son siège et allait discrètement vomir son petit-déjeuner. Un autre travailleur avait pour sa part une tâche précise. Il faut savoir que les restes de Jésuites ainsi déterrés s’en allaient être remis en terre quelque part dans le bout de St-Jérôme où la congrégation possédait, j’imagine, un plus grand cimetière. Or, le transport des restes se faisait dans des boîtes de cèdres d’à peu près 4 pieds de long. Quand on a à transporter un ex-St-Martyr-Canadien datant du temps de la colonie, la chose se fait assez bien. Mais quand on a affaire à des dépouilles plus récentes, c’est une autre histoire : après tout, c’était des Jésuites, pas des Hobbits; alors, ils ne fittaient pas tous dans leur moyen de transport temporaire. Il incombait donc au travailleur désigné de couper à la hache la tête et le bas des jambes du défunt, pour entasser le défunt en pièces détachées dans son contenant. Je doute fort qu’on se chargeait de le reconstituer une fois rendu à St-Jérôme.
Je me souviens qu’une des scènes les plus spectaculaires auxquelles nous avions ainsi assisté est celle où la pépine avait sorti de terre un énorme tas de graisse jaune d’où pendaient 2 fémurs, le tout suspendu à une des dents de la pelle par le cordon de chasuble encore intact. Je crois que cette fois-là, le conducteur du véhicule avait pris de l’avance et vomi ses petits- déjeuners des 2 journées à venir. Un dernier détail mérite d’être mentionné : il va sans dire que les travaux d’excavations n’étaient pas exhaustifs : les ouvriers en oubliaient forcément des bouts. C’est ainsi que chaque soir, à la nuit tombante, quelques-uns des plus courageux d’entre les étudiants –ce qui m’exclue- retournaient sur les lieux du crime à la recherche de reliques oubliées. C’est ainsi que mon chum Jean-Luc a pu se servir d’un bout de fémur comme cendrier jusqu’à temps que le respect pour sa santé à défaut de celui envers les morts le débarrasse de cette mauvaise habitude. Quant au grand Jean-Paul, le plus chanceux d’entre nous tous, il a encore quelque part chez lui un crâne entier de Jésuite en souvenir de ses années de latin…
Donc, lisez IMPORIUM; c’est en français : c’est un sine qua non. Ça, par contre, c’est en latin.
Attention aux coquilles! Je n’ai jamais vu de haie de cendres, mais ca doit quand meme absorber un peu les odeurs, non?
Merci Monsieur