BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Un citoyen comme les autres?

L’ancien premier ministre Jacques Parizeau s’est fendu d’une lettre d’opinion ce matin, dans les pages du Journal de Montréal, à propos du controversé projet de Charte des valeurs, mis de l’avant par le gouvernement Marois.

S’il reconnait – comme beaucoup de détracteurs de la Charte – la nécessité de baliser les demandes d’accommodements dits « déraisonnables », il estime néanmoins que le Parti Québécois va trop loin dans sa volonté d’interdire aux employé(e)s de l’État (dans son sens le plus large) le port de symboles « ostentatoires ». Sur les ondes d’une radio de la métropole, Parizeau affirmait aujourd’hui : « Avec cette charte, c’est la première fois que le Québec légifère pour interdire quoi que ce soit de religieux. Passer une législation de ce genre là, essentiellement destinée à un certain nombre de femmes musulmanes, c’est gênant. »

La sortie de l’ancien premier ministre n’a pas manqué d’ébranler les troupes péquistes qui sont restées on ne peut moins disertes au sujet de la sortie publique de leur ancien chef. Attendue par les journalistes de la colline parlementaire, la première ministre s’est contentée de dire que Parizeau était un citoyen comme les autres et qu’à ce titre, il avait le droit d’exprimer son opinion, avant de s’engouffrer par la porte de son caucus sans répondre aux questions qui lui étaient lancées.

Si le PQ a épargné à l’ancien premier ministre l’humiliation de se faire cavalièrement inviter à se taire – comme jadis de « jeunes » députés l’avaient fait, le qualifiant même de « grand-papa » – il y a néanmoins quelque chose de gênant à voir un ancien chef de gouvernement se faire ainsi ignorer par le parti qu’il a lui-même fondé. Si Bernard Drainville a reconnu en point de presse l’importance qu’avait monsieur Parizeau sur la scène politique québécoise, il n’en demeure pas moins que le PQ, et les Québécois de façon générale, entretiennent une relation étrange avec leurs anciens hommes et femmes d’État. Sitôt qu’ils ont quitté le devant de la scène politique, on espère qu’ils se taisent en enrobant cette censure médiatique du terme poli de « devoir de réserve ». S’ils deviennent trop exigeants envers leur ancienne formation ou s’ils ont le malheur d’exprimer une opinion contraire à la sacro-sainte ligne de parti, on les affuble aussitôt du titre de « belle-mère », comme pour mieux éviter d’entendre ce qu’ils ont à dire…

Or, monsieur Parizeau n’est pas et ne sera jamais plus un « citoyen comme les autres ».

Cet homme fut le premier Québécois à graduer de la London School of Economics, avant de se tailler une place comme conseiller dans les cabinets des premiers ministres qui ont fait la Révolution tranquille. Il s’est assis dans le siège de chef de gouvernement avant de manquer de peu son rendez-vous avec l’histoire. Dans certaines démocraties, l’on respecte et espère les avis des anciens hommes et femmes d’État, qui ont encore, de par leur expérience, une contribution à apporter au débat public.

Au-travers de tout ce cynisme ambiant qui touche la chose politique, à une époque où l’opinion-minute des chroniqueurs vaut plus que la réflexion approfondie sur les enjeux de société (on dénonce allègrement ces derniers temps les intellectuels et les « bien pensants »), il conviendrait justement d’accueillir comme il se doit ces contributions rares et toujours mesurées. Alors que tout se mesure à l’aune des gains électoraux espérés et au moment où l’on s’apprête à amoindrir des droits fondamentaux dans l’espoir de décrocher une majorité parlementaire, Jacques Parizeau nous rappelle qu’il existe aussi un peu de noblesse et de grandeur dans le fait de s’engager dans le débat public.

Quant à Pauline Marois, si elle désire éviter le débat ou rejeter les arguments de ce dernier, elle ferait bien de le faire à visière levée plutôt que d’afficher une indifférence contenue devant les médias, banalisant par le fait même l’institution que Parizeau a représenté et qu’elle occupe elle-même à l’heure actuelle. Parce qu’après tout, viendra peut-être un jour où on l’ignorera à son tour, quand elle sera redevenue une citoyenne parmi tant d’autres…