BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Qui lit encore Normand Lester?

Si Normand Lester a déjà été par le passé un journaliste d’une certaine envergure, le chroniqueur du 98,5 fm s’est plutôt fait remarquer ces derniers temps non pas pour la rigueur de son travail journalistique, mais plutôt pour ses dérapages récents contre les représentants de la gauche québécoise (Québec solidaire, CLASSE, ASSÉ, etc.). C’est ainsi que durant le conflit étudiant de 2012, il n’a pas hésité à comparer le manifeste publié par la CLASSE aux méthodes jadis employées par le dictateur fasciste Benito Mussolini – rien de moins! – affirmant que le duce serait « fier » de ses lointains « émules » québécois. Propos aussi stupide que choquant, provenant d’un homme dont la culture générale apparente devrait pourtant le prévenir de verser dans pareille démagogie.

Voilà donc que Lester en rajoutait cette semaine, suite à la proposition faite par Québec Solidaire dans le dossier de la Charte des valeurs, le parti de gauche affirmant notamment que cet enjeu ne devrait pas être l’objet principal des débats d’une future campagne électorale. Il n’en fallait pas plus pour que Lester s’égare à nouveau, établissant maintenant un parallèle entre les méthodes du Parti communiste chinois et ceux de la « dangereuse » formation politique de Françoise David, ne manquant pas au final de souligner les millions de morts causés par les dérives totalitaires des régimes communistes (et si l’on parlait des victimes des régimes conservateurs et fascistes?), comme si cela était d’une quelconque pertinence dans le débat actuel. « Ils ont dit ce qu’ils pensent vraiment des électeurs québécois: tous des cons ignares », d’asséner brutalement Lester.

Or, n’en déplaise à monsieur Lester, David et Khadir ont raison. La Charte ne doit pas être l’enjeu principal de la prochaine élection. Non pas parce que les Québécois n’ont pas l’intelligence de se prononcer sur cet enjeu, mais bien parce que les élections générales à l’échelle provinciale sont un processus infantilisant permettant tout, sauf d’avoir une réflexion le moindrement sereine et approfondie sur un enjeu aussi complexe.

Qui peut croire que nous puissions avoir durant une élection une discussion collective intelligente sur la Charte, alors que l’obsession des appareils politiques est de fournir, quotidiennement, LA clip de 30 secondes qui fera les manchettes des bulletins télé ? Qui peut croire que l’on pourra élever le débat sur les enjeux de l’immigration et de l’intégration, alors que nos débats des chefs sont des exercices formatés par les grands réseaux de télévision (45 secondes d’introduction, 5 minutes d’échanges, 1 minute de conclusion, etc.), où l’on évite soigneusement les confrontations trop « viriles » ? Enfin, comment affirmer qu’un gouvernement élu par à peine le tiers des électeurs (le PQ a recueilli 32% au dernier scrutin) aura un mandat clair sur la question, alors qu’on devra aussi parler d’éducation, de soins de santé, de développement économique, et j’en passe !

On peut certes tenter de faire de l’enjeu identitaire la question centrale du prochain scrutin, mais les campagnes électorales sont des moments qui ont leur mécanique propre et qui répondent à d’autres ressorts : les enjeux économiques et sociaux, sans compter les bourdes de campagne, auront tôt fait de reprendre le dessus.

Non, les élections générales sont de moins en moins le lieu de débats intelligents et édifiants. C’est en ce sens qu’il faut comprendre les récents propos des représentants de QS. Il existe néanmoins un moyen pour consulter la population sur un sujet bien précis : un référendum. Or, personne jusqu’à maintenant n’a proposé que l’on s’engage dans cette voie. L’on préfère, et de loin, noyer le poisson dans une campagne électorale où l’on fera vibrer la corde sensible des Québécois, en parlant de se « tenir debout » et de défendre « nos » valeurs, alors qu’il aurait été si simple d’en venir à un consensus négocié à l’Assemblée nationale, comme le proposait récemment Jacques Parizeau. C’eut été plus profitable pour notre société, mais moins payant électoralement…

Quant aux propos de Normand Lester, je doute fort que Gabriel Nadeau-Dubois et ses amis soient des avatars contemporains de Mussolini, comme il le suggérait l’an passé, ou que Françoise David ait l’intention de marcher dans les pas de Mao et de lancer une nouvelle Révolution culturelle ! Lester sera toujours libre de publier ce que bon lui semble, quitte à fouiller – littérairement ou littéralement – dans les poubelles de la rhétorique pour se fabriquer des hommes de paille sur lesquels se défouler. Mais attention : l’insignifiance guette au tournant …